En 2018, le ministère de l’Intérieur a recensé 121 féminicides. Selon l’Observatoire national des violences faites aux femmes, en moyenne, 223 000 femmes de 18 à 75 ans subissent, chaque année, des violences de la part de leur conjoint ou ex-conjoint. En ouverture du Grenelle contre les violences conjugales, le 3 septembre, le Premier ministre a annoncé des mesures pour lutter contre les féminicides et les violences subies par les femmes.
« La première urgence, c’est de protéger les femmes victimes, en leur assurant une mise à l’abri rapide », a souligné Édouard Philippe. Dans cette optique, le gouvernement va mobiliser 5 millions d’euros pour créer, à partir du 1er janvier 2020, quelque 1 000 nouvelles places d’hébergement et de logement d’urgence. Ces places, qui s’ajouteront aux 5 000 existantes, se déclineront en 250 places « dans les centres d’hébergement d’urgence, pour assurer des mises en sécurité immédiates », et 750 places de « logement temporaire », pour des périodes comprises entre six mois et un an. Les associations demandaient la création, avant la fin de l’année, d’au moins 2 000 places d’hébergement dédiées.
À partir du 25 novembre, une plateforme de géolocalisation sera lancée à destination des professionnels afin « d’identifier rapidement » le nombre et la situation des places dédiées ou adaptées aux victimes. Afin de mieux connaître le parc en temps réel, chaque SIAO (service intégré d’accueil et d’orientation, qui gère dans chaque département les plateformes 115) disposera d’une cartographie en temps réel des places labellisées « FVV » (femmes victimes de violences) et disponibles, « avec une attention particulière portée aux personnes en situation de handicap ».
Au total, 5 985 places dédiées aux femmes victimes de violences ont été identifiées dans l’enquête semestrielle relative aux capacités d’accueil, d’hébergement et d’insertion, de décembre 2018. Dans un rapport intitulé Où est l’argent contre les violences faites aux femmes ?, publié en novembre 2018, plusieurs organisations – dont le Cese, la Fondation des femmes et le Haut Conseil à l’égalité femmes-hommes (HCE) – estiment à 193 M€, au moins, le budget annuel nécessaire à l’hébergement des femmes victimes de violences, loin des 15 M€ actuels.
Dans ce même rapport, le HCE soulignait « la nécessité d’une prise en charge en non-mixité et spécialisée pour garantir une mise en sécurité, et non pas une simple mise à l’abri ». Or, d’après les associations d’hébergement de femmes victimes de violences, les nouvelles places créées ces dernières années l’ont été dans des centres généralistes. Par ailleurs, cette prise en charge spécialisée a un coût. Selon les associations, un accompagnement spécialisé coûte entre 52 € et 57 € par jour et par personne. « À titre de comparaison, le coût de certaines places ouvertes aujourd’hui est de l’ordre de 26 € par jour et par personne », précisait le HCE, tout en alertant sur « les conséquences graves » qu’entraînerait la baisse des budgets des centres d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS).
La Fédération nationale solidarité femmes (FNSF) réclame, de son côté, la création de centres d’hébergement ouverts 24 heures sur 24. Marie Cervetti, directrice de l’association FIT-Une femme, un toit, qui gère un centre d’hébergement pour femmes de 18 à 25 ans victimes de violences, demande que des places soient notamment débloquées pour les jeunes. Afin de simplifier l’accès à un hébergement pérenne, le Premier ministre a annoncé que les victimes pourront obtenir une caution locative de la part d’Action Logement.
Le Premier ministre a également annoncé qu’un audit sera réalisé dans 400 commissariats et gendarmeries en vue de repérer les dysfonctionnements en matière d’accueil des victimes et d’y remédier, et le dépôt de plainte dans les hôpitaux sera généralisé à partir du 25 novembre.
Édouard Philippe entend également mettre à disposition des bracelets électroniques, accompagnés de récepteurs, qui pourront être actionnés par les victimes dès lors qu’elles sont en situation de danger, afin de faire intervenir les forces de l’ordre. Prévu par la loi en France depuis février 2017, le dispositif électronique de protection anti-rapprochement (Dépar) n’a encore jamais été testé en France, malgré les demandes répétées de la juridiction de Pontoise (Val-d’Oise).
« Avant la fin de l’année, nous serons en capacité d’avoir vraiment un dispositif », a déclaré Nicole Belloubet, la garde des Sceaux, le 4 septembre sur LCI, avant de préciser : « L’objectif, c’est début 2020. » La mise en œuvre du dispositif nécessiterait un budget de « sans doute 5 à 6 millions pour doter toutes les personnes qui en ont besoin », a-t-elle précisé. Actuellement, le port du bracelet électronique ne peut être appliqué qu’aux personnes condamnées pour violences conjugales. Un texte pour élargir son application a été « déposé au Parlement », a indiqué la ministre de la Justice. Le nouveau dispositif est pensé pour « pouvoir être prononcé, au pénal, tant en post-sentenciel qu’en pré-sentenciel, y compris dans le cadre d’enquêtes préliminaires ou de flagrance, par un juge des libertés et de la détention », avait expliqué, en juillet dernier, le porte-parole du ministère Youssef Badr. La volonté ministérielle est également de pouvoir étendre ce dispositif, dans un cadre civil, « aux mesures prononcées par les juges aux affaires familiales dans les ordonnances de protection ».
Autres outils déjà existants pour protéger les femmes victimes de violences, mais encore sous-utilisés : le recours à l’ordonnance de protection et le téléphone grave danger (TGD). Au nombre de 1 660 en 2011, les ordonnances de protection atteignent 3 417 demandes en 2018, cependant très en deçà des affaires de violences conjugales traitées par les juridictions pénales. « En 2017, un rapport de 1 à 20 existe entre le nombre de demandes introduites devant les juges aux affaires familiales (3 138) et les affaires transmises par les commissariats et gendarmeries aux parquets (70 298) », a précisé le ministère de la Justice. Dans une circulaire en date du 9 mai 2019, Nicole Belloubet rappelait l’utilité d’une saisine des juges aux affaires familiales aux fins d’ordonnance de protection, par les parquets. La possibilité pour un juge aux affaires familiales de prononcer une interdiction de paraître dans certains lieux sera introduite dans la loi. Un guide pratique de l’ordonnance de protection a été réalisé.
Concernant le TGD, un déploiement de nouveaux postes, portant leur nombre de 892 à 1100, est prévu d’ici 2020. « Une attention particulière sera apportée aux DOM-TOM », a souligné le ministère de la Justice. Un point non négligeable quand on sait que le TGD reçoit en moyenne 39 appels par jour sur toute la France, outre-mer compris.
« Dans 80 % des cas, les violences conjugales et les violences contre les enfants sont liées », a rappelé le Premier ministre. Les enfants sont les co-victimes des violences conjugales. En 2018, 21 enfants sont décédés sous les coups de leur père, selon les derniers chiffres de la délégation aux victimes de la police et de la gendarmerie. La loi du 3 août 2018 accentuant la lutte contre les violences sexistes et sexuelles a renforcé les condamnations pour violences conjugales en présence de mineurs. Depuis la promulgation de la loi, 391 condamnations ont ainsi été aggravées.
Si la loi permet déjà le retrait de l’autorité parentale lorsque l’un des parents est violent, le Premier ministre souhaite rendre cette option davantage flexible, dans l’intérêt de l’enfant. Ainsi, en cas de dépôt de plainte, la justice pourra suspendre ou aménager l’exercice de l’autorité parentale. Le ministère de la Justice a précisé que deux modifications législatives interviendront aux fins d’ajouter aux dispositions législatives actuelles la possibilité, pour le juge civil ou pénal, de retirer l’exercice de l’autorité parentale. Enfin, lorsque l’un des deux parents est décédé des suites d’un homicide volontaire, dont les faits font l’objet d’une enquête pénale mettant en cause l’autre parent, ou d’une information judiciaire ouverte à l’encontre de celui-ci, l’exercice de l’autorité parentale sera suspendu de plein droit à l’encontre de ce dernier. En 2018, 149 affaires de morts violentes au sein du couple ont rendu 15 orphelins de père et de mère, ainsi que 55 orphelins de mère et 12 orphelins de père.
Le ministère de la Justice a indiqué, également, qu’une « analyse des pratiques des juges aux affaires familiales et des juges des enfants au regard des situations de violences au sein du couple sera effectuée dans le cadre d’une étude », et ce, en lien avec les travaux d’un groupe de travail de différents professionnels. « Les équipes de recherche de l’École nationale de la protection judiciaire de la jeunesse (ENPJJ) ont été saisies à cette fin. »
Des dispositions devraient être prises pour « favoriser le recours aux espaces de rencontre, développer les dispositifs d’accompagnement protégé ».
Une « augmentation sensible » des moyens destinés aux espaces de rencontre médiatisée a été prévue. La prestation de la Caisse nationale d’allocations familiales (Cnaf) est passée de 6,6 à 13,3 M€ entre 2018 et 2019, soit + 6,7 M€.
Un accroissement conséquent du budget accordé par le ministère de la Justice aux associations fait l’objet d’une procédure budgétaire en cours. Par ailleurs, les modalités procédurales selon lesquelles le juge aux affaires familiales ordonne l’assistance d’un tiers pour la remise de l’enfant seront précisées par un texte, en cours d’élaboration à la direction des affaires civiles et du Sceau, d’ici la fin de l’année, afin de rendre cette possibilité plus effective. Inscrite dans la loi du 9 juillet 2010 sur les violences faites spécifiquement aux femmes, la mesure d’accompagnement protégé (MAP) permet, lors d’un droit de visite, à une femme victime de violences de confier son enfant à une tierce personne, qui le remet ensuite à l’ex-conjoint violent, évitant ainsi les contacts entre les parents. Si la MAP a été appliquée par le tribunal de Bobigny à partir de 2012, elle est peu utilisée dans les autres juridictions.
Si le gouvernement a annoncé des mesures, pour l’heure aucune précision concernant l’effort budgétaire accordé à la lutte contre les violences faites aux femmes n’a été apportée. Les associations féministes souhaitent que le Grenelle débouche sur un « plan Marshall » doté d’« au moins » 500 M€, voire 1 Md€, loin des 79 M€ de crédits spécifiquement alloués à cette lutte. Pour contrer les critiques, Marlène Schiappa, secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, répète à l’envi… qu’« il n’y a pas d’argent magique ».
Défendue par les associations féministes, la question de l’introduction du terme « féminicide » divise les spécialistes du droit. La loi égalité et citoyenneté du 27 janvier 2017 a introduit comme circonstance aggravante le fait de s’en prendre à quelqu’un « en raison de son sexe, son orientation sexuelle ou identité de genre vraie ou supposée ». Et le meurtre commis « par le conjoint ou le concubin de la victime » est également une circonstance aggravante. Dans un avis rendu en 2016, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) jugeait « peu opportun » d’inclure le terme « féminicide » dans la loi, « dans la mesure où [cela] comporterait le risque de porter atteinte à l’universalisme du droit ». La CNCDH recommandait l’usage du mot « à la fois sur la scène internationale dans le langage diplomatique français, mais aussi dans le vocabulaire courant, en particulier dans les médias ».