Que fait une personne âgée dépendante chez elle, la nuit venue ? Que se passe-t-il une fois qu’elle a reçu la visite du facteur, des services à domicile et, occasionnellement, du voisin ou d’un proche ? De telles questions, Elisabeth Dulau, infirmière dans un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) à Mazerolles (Pyrénées-Atlantiques), se les est souvent posées. Plus particulièrement lorsqu’elle faisait du service à domicile chez une personne paralysée. « Elle était particulièrement démunie physiquement et dans l’isolement le plus total de 19 heures à 8 heures du matin. Sans aucune aide technique et réconfortante, explique-t-elle. J’ai donc essayé de trouver une solution pour cette personne qui, malheureusement, n’était pas un cas isolé. » Cette solution ? Un service de gardes de nuit itinérantes totalement gratuit pour les bénéficiaires. Mais cela n’a pas été simple. Si Elisabeth Dulau en a eu l’idée il y a près de cinq ans, ce service n’a démarré qu’en novembre 2017. Faute d’argent.
« J’ai présenté mon projet à de nombreux directeurs d’association et d’Ehpad, relate l’infirmière. Tous les professionnels et élus ont été immédiatement intéressés. Mais il fallait trouver un financement pérenne pour les bénéficiaires, sachant que, comme il s’agit d’un travail de nuit, les tarifs sont majorés. Donc forcément inaccessibles en milieu rural. » Au final, l’agence régionale de santé (ARS) Nouvelle-Aquitaine a décidé d’allouer une enveloppe de 220 000 € pour expérimenter le projet jusqu’en 2020. Mais en quoi consiste-t-il précisément ? Il s’agit d’un service de nuit d’aides-soignantes à domicile visant à favoriser le maintien à domicile 24 h/24 et 7 j/7. Ce qui n’était pas le cas avant la mise en place d’un tel dispositif. En effet, les services d’aide et d’accompagnement à domicile ne viennent pas la nuit, ou alors seulement ponctuellement.
« Il s’agit d’un service unique en France en milieu rural, assure sa fondatrice. Si d’autres associations l’ont déjà mis en place dans de nombreuses villes, elles le font en faisant travailler des auxiliaires de vie sociale. Là, il s’agit d’aides-soignantes. Ce n’est donc pas le même niveau de formation, ni le même niveau de rémunération. » Dès lors, depuis un an et demi, quatre aides-soignantes sillonnent les routes du Béarn toutes les nuits de la semaine, dimanche et jours fériés compris. Elles couvrent 56 communes, réparties entre l’ancien canton d’Arthez-de-Béarn et d’Arzacq-Arraziguet, sur un rayon de 230 kilomètres. « Pour éviter trop de déplacements, nous avons scindé la tournée de nuit en deux cantons : une aide-soignante travaille entre 18 h 45 et 22 h 45 sur l’ancien canton d’Arzacq et une autre de 18 h 45 à 4 h 45 sur l’ancien canton d’Arthez-de-Béarn », renseigne Elisabeth Dulau. Si, à l’origine, le service devait prendre en charge 15 personnes, le dispositif a été élargi pour s’occuper désormais de 23 personnes âgées dépendantes (d’une moyenne d’âge de 86 ans). Et la liste d’attente est longue. « L’intérêt de la garde itinéraire de nuit est d’abord de maintenir les personnes âgées chez elles, de respecter leur souhait. Dans la mesure où il n’y a pas de place actuellement en Ehpad, cela permet donc de retarder l’entrée en établissement », assure-t-elle.
Et de développer plus précisément la mission de ces aides-soignantes de nuit : « Nous couvrons surtout la demande d’aide au coucher, tout en respectant le rythme de vie des personnes. Ainsi, nous ne couchons pas une personne à 18 h 45 parce que cela nous arrange de le faire. Nous la couchons parce que c’est son habitude de vie. Si certains se lèvent de bonne heure et d’autres se couchent tard, alors c’est à nous de respecter le rythme de chacun. Les horaires de visite sont programmés en fonction de leurs besoins. » Quatre salariés alternent donc sur les deux tournées, plus une cinquième qui fait des remplacements. Sur les 23 personnes aidées, cinq sont vues deux à trois fois dans la nuit parce qu’elles sont en attente d’un placement en Ehpad.
Pour les autres personnes âgées, il s’agit essentiellement de les accompagner aux toilettes pendant la nuit. « Ces personnes ne pouvant pas se déplacer seules, cela permet de préserver leur dignité et qu’elles aient une meilleure estime d’elles-mêmes. » Si les bénéficiaires ont une dépendance évaluée de GIR 1 à GIR 4 et que certains d’entre eux sont atteints de la maladie d’Alzheimer, Elisabeth Dulau indique que son service s’occupe aussi « d’accompagner des personnes en fin de vie ». « Dans ce cadre-là, nous avons mis en place un partenariat avec l’hospitalisation à domicile de l’hôpital d’Orthez. A ce moment-là, nous arrivons à faire jusqu’à six passages dans la nuit pour accompagner les personnes. »
Pour aider les équipes mais aussi pour soulager et rassurer les bénéficiaires et leurs familles, une astreinte de nuit d’infirmière a parallèlement été mise en place. Celle-ci peut se déplacer en cas de besoins ou orienter directement la personne vers le Centre 15. Ce qui permet d’éviter des appels inutiles, alors que ce centre est déjà largement saturé. Si l’enveloppe allouée n’a pas évolué, malgré un nombre de bénéficiaires plus important qu’au début de l’expérimentation, ce n’est pas la priorité actuelle d’Elisabeth Dulau. L’infirmière aimerait avant tout pouvoir augmenter les heures de tournées : « Nous souhaitons mettre en place le même créneau horaire (18 h 45-4 h 45) sur l’ensemble du territoire. Les besoins et les difficultés sont en effet les mêmes partout. »
Alors que l’ARS devrait rendre à la fin 2020 ses conclusions sur le bien-fondé de ce projet, sa fondatrice tire un premier bilan : « Incontestablement, la garde itinérante de nuit permet de retarder, voire d’éviter une entrée en institution et a tout son sens, car on imagine mal une personne mourir seule à son domicile dans le silence de la nuit sans aucune intervention ni réconfort. Cela permet aussi de soulager et de remplacer les aidants familiaux, qui peuvent trouver un peu de répit en dormant mieux la nuit. » Et celle-ci d’assurer que son dispositif fait déjà des émules : « Tous les cantons et départements du coin nous appellent pour savoir comment mettre en place un tel dispositif. » De bon augure pour voir l’expérimentation devenir pérenne…
Un financement bien encadré.
L’agence régionale de santé Nouvelle-Aquitaine a accepté de financer ce service de gardes itinérantes de nuit à condition que soit mis en place un groupement de coopération sociale et médico-sociale (GCSMS). « Il s’agit d’un groupement de moyens au service des personnes âgées et des adultes handicapés, de leur entourage et des professionnels de l’accompagnement et du soin, dont l’objet est de développer, de soutenir et d’accompagner les réflexions et les actions communes, explique Elisabeth Dulau. Cela réunit énormément d’associations. En l’occurrence, sur notre canton, il regroupe l’association L’Arribet (quatre Ehpad, une résidence-autonomie, un Ssiad [service de soins infirmiers à domicile], un service de lien social qui gère 150 personnes à domicile, un organisme de formation, le portage des repas), l’association “Pour l’amélioration du cadre de vie des personnes âgées du pays d’Arthez-de-Béarn” (un Ssiad et un service du lien social), l’association Demain ensemble, à Lacq (un Saad [service d’aide et d’accompagnement à domicile]), l’association d’aide à domicile en milieu rural (ADMR) et, enfin, l’Ehpad Les Chênes, à Artix. »