« Il ne peut y avoir de politique du grand âge de qualité sans professionnels en quantité suffisante, bien formés et valorisés de façon adéquate. C’est le socle de toute politique du grand âge. » Par ces deux phrases, Dominique Libault, président du Haut Conseil du financement de la protection sociale résume, dans son rapport sur le « grand âge et l’autonomie », remis en mars dernier(1), tout l’enjeu du secteur de la gérontologie. Aujourd’hui, le socle des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) – et celui des services d’aide et de soins à domicile – vacille du fait d’un manque de personnel combiné à de fortes difficultés de recrutement, notamment d’aides-soignants (Ehpad et services de soins infirmiers à domicile [Ssiad]). Conditions de travail difficiles, faibles rémunérations, fort absentéisme, taux de sinistralité record, manque de reconnaissance, perte de sens… le malaise des professionnels du grand âge est profond. « Les difficultés de recrutement, le manque de temps professionnel utile en proximité de la personne et la forte dégradation des conditions de travail sont trois facteurs du manque d’attractivité des métiers du grand âge. Ces trois facteurs rétroagissent souvent, le manque de personnel entraînant une dégradation des conditions de travail pouvant aggraver par ses conséquences les situations de pénurie et les difficultés de recrutement », souligne le rapport « Libault ». Un cercle vicieux qu’il est urgent de rompre.
En juillet dernier, Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé, a nommé Myriam El Khomri, ancienne ministre du Travail, à la tête d’une mission de revalorisation des métiers du grand âge. Ses orientations devraient être présentées en octobre, en amont du projet de loi « grand âge et autonomie ». Objectif ? Définir une véritable opération de reconquête pour redonner un nouveau souffle, une attractivité aux métiers d’accompagnement et du soin auprès des personnes âgées en perte d’autonomie. Il y a plus de dix ans, en 2008, Valérie Létard, alors secrétaire d’Etat à la solidarité avait, elle aussi, lancé « un plan des métiers au service des personnes handicapées et personnes âgées dépendantes » dont les effets secondaires n’ont pas laissé grande trace dans le secteur. Autant dire que les attentes du secteur sont fortes concernant ce nouveau plan national pour les métiers du grand âge. Pour de nombreux directeurs d’Ehpad – comme pour les responsables de Ssiad –, il s’agit même d’une urgence managériale. Les besoins en termes d’accompagnement des personnes âgées déjà très importants continueront de progresser du fait du vieillissement de la population comme du départ à la retraite des aides-soignants actuellement en poste.
En 2015, le rapport « Les métiers en 2022 » de France Stratégie et de la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) attribuait au métier d’aide-soignant une forte dynamique de recrutement et un taux d’employabilité de 96 %. A l’horizon 2022, les créations nettes d’emplois d’aides-soignants étaient estimées à 103 000 et les départs de fin de carrière à 130 000. Toutefois, les candidats sont loin de se bousculer au portillon. Et c’est de mal en pis. Selon l’enquête « Besoin de main-d’œuvre (BMO) » de Pôle emploi sur la période 2013-2018, 48 % des employeurs estiment difficile de recruter un aide-soignant en 2018, contre 33 % en 2016. Ce pourcentage est encore plus alarmant dans certaines régions, où les difficultés de recrutement sont évaluées à plus de 50 %. C’est notamment le cas en Provence-Alpes-Côte d’Azur, en Auvergne-Rhône-Alpes, dans le Grand Est, dans le Centre-Val de Loire, en Normandie et en Corse. Près d’un Ehpad sur deux est confronté à des difficultés de recrutement, selon une étude de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), publiée en juin 2018. Précisément, 49 % dans le secteur privé et 38 % dans le public. Les difficultés à trouver de nouvelles recrues concernent surtout les besoins en aides-soignants, ainsi 9 % en moyenne des Ehpad ont un poste non pourvu depuis au moins six mois.
Des études plus récentes confirment cet état de fait. En juillet dernier, l’Observatoire de l’hospitalisation privée a publié une étude sur les évolutions des métiers d’infirmier et d’aide-soignant dans les secteurs sanitaire et médico-social privé. Ce document note que le métier d’aide-soignant, « qui concentre le nombre d’intentions d’embauche le plus élevé », rencontre davantage de tensions sur les recrutements que celui d’infirmière. « 44 % des intentions d’embauche d’aides-soignants étaient jugées difficiles en 2013, contre 39 % en 2017. » Les tensions sur les recrutements varient en fonction des régions : de 36 % en moyenne en France pour les années 2015-2017, la part des projets jugés difficiles dépasse 40 % dans certaines régions françaises (Centre-Val de Loire et Pays-de-la-Loire) tandis qu’elle est plus modérée en Ile-de-France (29 %). Pour faire face aux difficultés de recrutement d’aides-soignants, l’observatoire relève que les établissements médico-sociaux mettent en œuvre de nombreuses actions, comme la « formation qualifiante de salariés en poste préparant au métier d’AS » ou des « partenariats avec des acteurs du service public de l’emploi et des organismes de formation initiale ».
Côté revalorisation salariale, Agnès Buzyn a rappelé, en juillet, « la généralisation du versement de l’actuelle prime d’assistant de soins en gérontologie [ASG. Prime forfaitaire mensuelle de 90 € brut maximum] à tous les aides-soignants des Ehpad, en la subordonnant à la réalisation d’une formation sur les spécificités de la prise en charge de la personne âgée ». Une proposition jugée insuffisante pour l’intersyndicale de l’aide aux personnes âgées. Les organisations représentant les salariés du secteur réclame, avec l’Association des directeurs au service des personnes âgées (AD-PA), « en urgence », dès 2019, la création de 40 000 postes sur la filière du grand âge soit deux postes en plus par structure (services d’aide à domicile et établissements). En matière d’augmentations de salaires dans le secteur du grand âge, le rapport « Libault » n’a guère fait preuve d’optimisme mettant en avant « le contexte de tension forte sur la ressource publique ». Il propose des « hausses de rémunération ciblées », en particulier à domicile mais également d’engager une montée en compétence de l’ensemble des professionnels du grand âge, tout en ouvrant des perspectives de carrière. « La fonction de responsable d’unité de vie pour les aides-soignants, supposant un premier niveau d’encadrement de proximité, et un rôle de référent de proximité des démarches qualité, donneraient lieu au versement d’un supplément de rémunération », explique, Dominique Libault, à titre d’exemple.
Alors que les centres communaux d’action sociale (CCAS) gèrent environ 10 % des Ehpad (8 % des places), l’Union nationale des centres communaux et intercommunaux d’action sociale (Unccas) dénonce, de longue date, ce qu’elle qualifie de « double peine » de la fonction publique territoriale. Au-delà de l’obtention d’un diplôme d’Etat, les personnels soignants souhaitant exercer dans des Ehpad relevant de la fonction publique territoriale doivent passer un concours spécifique (en l’occurrence celui d’auxiliaire de soins territoriaux pour les aides-soignants). Ce n’est pas le cas dans la fonction publique de l’Etat, ni hospitalière. Dans un contexte caractérisé par les difficultés à recruter du personnel soignant, ce recours obligatoire à un concours s’avère être une contrainte supplémentaire pour ces établissements. L’Unccas déplore également le manque de formations adaptées au sein du Centre national de formation pour la fonction publique territoriale (CNFPT).
En amont des établissements et services, les instituts de formation d’aides-soignants (Ifas) peinent eux-mêmes à trouver des candidats. Selon la Drees, le nombre d’admis au concours d’aide-soignant est passé de 106 000 en 2013 à 80 000 en 2017, soit une chute de 25 %. De nombreux centres de formation ont été contraints, ces dernières années, de repousser la date butoir des inscriptions à leurs concours. Les opérations « portes ouvertes » et de communication se multiplient sur les territoires. Pour cette rentrée 2019, la région Occitanie – particulièrement touchée par la chute de candidats en Ifas – a mis en place des « contrats de fidélisation ». Ce dispositif prévoit le versement d’une allocation mensuelle de 150 € ou 200 €, sur dix mois de formation, versée aux élèves aides-soignants qui s’engagent à faire leur stage dans un établissement situé en zone rurale et à y rester après l’obtention de leur diplôme sur une période de deux à trois ans. L’aide versée par la région s’ajoutera à une aide d’un montant versé par l’établissement.
Afin de redonner un élan aux instituts de formation, le rapport « Libault » proposait de repenser le format de l’examen du concours d’entrée « en valorisant davantage l’évaluation des aptitudes relationnelles, de la capacité d’écoute et des motivations des candidats. L’équilibre entre ces savoir-faire et les connaissances académiques doit être revu. » Le Synerpa, syndicat patronal des gestionnaires de maisons de retraite privées, va encore plus loin, en appelant de ses vœux la suppression du concours d’aide-soignant « afin de susciter davantage de vocation ».
Un autre chantier décisif pour les aides-soignants est également en cours. Dans ce cadre, stratégie de transformation du système de santé « Ma santé 2022 », et en lien avec la réflexion sur le secteur du grand âge menée par Dominique Libault, un groupe de travail (ministère, organisations syndicales, fédérations d’employeurs, représentants des centres de formation d’aides-soignants, fédérations d’aides-soignants et l’Ordre national des infirmiers) planche, depuis mars 2019, sur « l’actualisation », la réingénierie des référentiels activités/compétences/formation des aides-soignants « afin de mieux répondre aux réalités de leur exercice ». Engagés en 2015 puis stoppés, ces travaux devront notamment tenir compte des spécificités de l’exercice des aides-soignants auprès des personnes âgées, au domicile comme en établissement. Une discussion qui s’annonce à nouveau houleuse, les syndicats d’infirmiers étant hostiles au transfert de certains champs de compétences aux aides-soignants.
Selon l’édition 2019 du baromètre « Appel médical des salaires de la santé », publié en mai, « le manque de professionnels disponibles et les tensions qui en résultent ne se répercutent pas vraiment sur le bulletin de paie »(1). En 2018, les aides-soignants ont gagné en moyenne 1 769 € brut par mois. Un salaire en faible hausse (1,4 %) par rapport à 2017. D’après les statistiques, le secteur public offre les salaires les plus élevés (1 876 € brut mensuel). Le baromètre constate des écarts salariaux très significatifs avec l’associatif (plus de 100 € de moins par mois) et davantage encore avec le secteur privé, qui affiche un salaire moyen inférieur de près de 200 € mensuel.
(1) L’étude repose sur l’analyse de 822 996 fiches de paie d’intérimaires Appel médical, sur les années pleines 2018 et 2017.