Assurément, et sur plusieurs aspects. Il y a un manque de places d’hébergement pour les personnes sans domicile fixe, parmi lesquelles une proportion assez importante de personnes migrantes à la rue. Pour le 115 et les SIAO [services intégrés d’accueil et d’orientation] qui gèrent les demandes d’hébergement, l’inconditionnalité a beaucoup perdu de son sens. Faute de places disponibles, les associations sont contraintes d’opérer un tri parmi les publics à la rue, selon des critères de priorisation imposés par l’Etat. Par exemple, le fait de ne pas héberger les personnes sans titre de séjour ou à droits incomplets, de fixer des critères d’âge des enfants dans le cas de familles à la rue en demande d’hébergement… On constate un épuisement professionnel, une perte de sens du travail social chez les équipes du 115, les équipes de maraude, qui n’ont pas de solution à proposer aux personnes. Par ailleurs, elles subissent l’agressivité des publics, qui ne comprennent pas pourquoi untel est hébergé et pas l’autre, une sorte de « lutte des classes » des personnes à la rue.
Nous observons, depuis le printemps, une orientation de l’Etat qui vise à dissuader les structures d’hébergement généralistes d’accueillir des personnes en demande d’asile, au motif de la spécialité budgétaire. En clair, l’Etat considère que l’hébergement des demandeurs d’asile relève du parc Cada [centres d’accueil pour demandeurs d’asile] et Huda [hébergements d’urgence des demandeurs d’asile] et que son report, faute de places, sur le 115 est trop important. Lorsqu’il n’y a pas de places disponibles, comme en Ile-de-France, les personnes ne sont plus accueillies dans les centres d’accueil généralistes. Cela explique le développement des campements de demandeurs d’asile dans les grandes villes. A Paris, 2 000 personnes vivent Porte de la Chapelle, mais on voit les mêmes phénomènes avec les squats à Bordeaux, à Toulouse, à Nantes.
Il y a une sorte d’obsession du gouvernement à vouloir recenser les étrangers dans les centres d’hébergement. La circulaire qui demande au 115-SIAO d’identifier les demandeurs d’asile et de transmettre des listes individuelles à l’Ofii [Office français de l’immigration et de l’intégration] s’inscrit dans cette idée que les demandeurs d’asile n’auraient rien à faire dans les centres d’accueil pour sans-domicile fixe. Cette orientation serait acceptable si l’Etat annonçait en parallèle la création de places en Cada et en Huda en nombre suffisant.
Nous estimons qu’il manque, a minima, 30 000 places en Cada et en Huda pour pouvoir proposer un hébergement à toute personne en demande d’asile, le temps de la procédure. Selon le ministère de l’Intérieur, 75 000 demandeurs d’asile, donc des personnes en procédure, ne sont pas hébergés dans le dispositif national d’accueil. Ces personnes sont soit dans des campements, soit dans des centres d’hébergement d’urgence (CHU) généralistes, soit parfois hébergées chez des tiers. L’augmentation de la demande d’asile en France ne s’accompagne pas de créations de places en nombre suffisant. La France accumule du retard en termes de solutions d’hébergement, ce qui participe à l’embolisation totale du système d’accueil des sans domicile fixe. Pour pouvoir respecter le principe d’inconditionnalité de l’accueil, il faudrait, à la fois, créer des places d’hébergement en Cada et en Huda et renforcer l’hébergement généraliste, car d’autres publics sollicitent des prises en charge pour lesquelles nous n’avons aujourd’hui pas de réponse. Mais comme l’Etat ne fait pas cet effort, l’objectif de l’inconditionnalité de l’accueil s’éloigne.
Pas de créations de places d’hébergement, une réforme de la carte ADA [allocation pour demandeur d’asile], la circulaire 115-Ofii… tout cela fait partie d’une stratégie globale visant à dégrader les conditions d’hébergement, à dissuader les demandeurs d’asile de venir en France au motif que le taux d’asile continue d’augmenter, alors qu’il diminue dans la majorité des pays de l’Union européenne. Cette stratégie de dissuasion a pour principale conséquence l’augmentation du nombre de personnes à la rue, en situation d’errance, de grande pauvreté. L’argument du ministère de l’Intérieur pour justifier l’absence de créations de places est d’éviter le risque d’un appel d’air. Or c’est une stratégie du pire, qui crée des situations de campements indignes sans pour autant résoudre les problèmes de flux.