Recevoir la newsletter

Demandeur d’asile, persona non grata

Article réservé aux abonnés

Près d’un an après l’entrée en vigueur de la loi « asile et immigration » du 10 septembre 2018 et à l’approche du débat sur la politique migratoire, les associations de solidarité déplorent « un durcissement » dans la politique d’accueil des demandeurs d’asile en France.

A Paris, à Bordeaux, à Marseille, à Nantes, à Caen, à Metz ainsi qu’en de nombreux autres points du territoire, des campements de rue et des squats révèlent « l’insuffisance d’un dispositif de premier accueil et mettent en exergue de nombreuses atteintes à l’exercice du droit d’asile », alertait à nouveau, le 23 juillet dernier, l’association France terre d’asile. Faute de places, le dispositif national d’accueil (DNA) aux personnes en demande d’asile est saturé et n’héberge que 50 % des personnes éligibles. Selon le rapport d’activité 2018 de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii), publié en juillet, le DNA compte plus de 103 000 places, dont environ 43 000 en centres d’accueil pour demandeurs d’asile (Cada) et 34 000 d’hébergement d’urgence des demandeurs d’asile (Huda). Le DNA est occupé à 97 %, ce qui représente 87 000 personnes hébergées. Une capacité d’accueil en deçà des besoins d’hébergement, puisque le nombre de demandeurs d’asile en cours d’instance bénéficiant des conditions d’accueil est estimé à 151 886 en juillet 2019 (contre 127 132 en mai 2018). « En valeur absolue, le nombre de personnes qui sont hébergées n’a jamais été aussi élevé. En revanche, la part a diminué en comparaison à il y a deux ans. Mais elle reste beaucoup plus élevée, par exemple, que dans les années 2010. En 2014, le parc comptait autour de 40 000 places, alors que maintenant on est à 100 000. Il y a eu une création importante de places », explique Gérard Sadik, responsable de la thématique asile au sein de l’association La Cimade. Avant d’ajouter : « L’Etat était parti sur une hypothèse de 65 000 demandes d’asile, or il y en a à peu près deux fois plus. Les pouvoirs publics sont donc obligés de colmater les brèches et, en même temps, ils ont fait des efforts. Mais la France a sous-évalué systématiquement les crédits nécessaires, autrement cela faisait exploser les budgets. Il y a quelques années, le budget “demandeurs d’asile” était de 600 millions d’euros, aujourd’hui on est presque au milliard. »

Instrumentalisation de l’hébergement

Dans ce contexte de pénurie de places, les associations de l’asile s’inquiètent des intentions portées par la circulaire 115-Ofii du 4 juillet dernier(1). Ce texte définit les modalités de coopération entre les services intégrés d’accueil et d’orientation (SIAO) et l’Ofii, pour la prise en charge des demandeurs d’asile et des bénéficiaires d’une protection internationale. Si l’Etat évoque la nécessité d’une meilleure orientation des personnes dans le but d’améliorer leur hébergement, les associations suspectent une intention manifeste d’identifier les étrangers présents dans l’hébergement d’urgence afin de procéder à des contrôles et à leur expulsion ou leur éloignement du territoire. La Cimade appelle à « mettre fin à l’instrumentalisation de l’hébergement comme outil de contrôle et d’expulsion » et à une dénaturation des missions des travailleurs sociaux, contraints de devenir des auxiliaires de police chargés de contrôler les personnes. « La circulaire 115-Ofii remet en cause le travail social au sens de la confidentialité des données personnelles et du secret professionnel, auxquels les travailleurs sociaux sont très attachés. Il y a une violation du code de l’action sociale et des familles, puisque ces critères ne sont absolument pas prévus par la loi, et il y a une violation des principes du travail social », tempête Florent Gueguen, directeur général de la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS). « Nous préparons un recours devant le Conseil d’Etat contre cette circulaire par un référé de suspension et un recours au fond pour demander son annulation. On déposera ce recours la semaine prochaine », annonce-t-il. Et La Cimade d’enfoncer le clou en dénonçant le fait que « la logique d’accompagnement et d’insertion qui est celle du code de l’action sociale et des familles [soit], pour partie, remplacée par celle de contrôle, de surveillance et d’expulsion propre au code de l’entrée et du séjour en France (Ceseda ) ». Gérard Sadik analyse : « Le phénomène de consignes écrites, ou non écrites parfois, disant au 115 de ne pas prendre les demandeurs d’asile dans les structures d’hébergement d’urgence existe. D’autres phénomènes sont apparus, tels que l’échange dans tous les sens, de façon incontrôlée des informations très confidentielles. L’Ofii menace les centres de baisser leurs budgets. Le premier prétexte de ce durcissement de la politique d’asile est l’explosion des budgets, alors qu’en réalité cette explosion est liée au fait que les besoins ont été tout simplement sous-évalués. Le second est de dire que la France est trop attractive. »

Main basse du ministère de l’Intérieur

Pour les associations, la mise en place d’un contrôle au sein de l’hébergement d’urgence aurait, par ailleurs, pour effet de décourager les réfugiés et demandeurs d’asile d’appeler le 115 par crainte de voir leurs informations utilisées contre eux. Pour Gérard Sadik, ce durcissement est le signe que le ministère de l’Intérieur a « fait main basse » sur le dispositif d’hébergement et impose ses critères aux autres ministères concernés (cohésion des territoires, santé). « Ce n’est plus un hébergement inconditionnel qui vise à sortir les personnes de la détresse, mais un hébergement qui vise à les suivre dans la procédure, et notamment à pouvoir éventuellement les éloigner. Les responsables de centres étaient jusqu’à présent sur l’accompagnement social, mais de plus en plus de missions quasiment de puissance publique leur sont attribuées, telles que donner les convocations, saisir la juridiction administrative à la place des préfets, pour que les personnes, quand elles sont déboutées du droit d’asile, sortent de la place », critique Gérard Sadik. Toute velléité de ne pas appliquer ces consignes rencontre la menace d’une réduction des budgets. « Les personnes qui mènent cette politique étaient à la tête de l’administration centrale lors du gouvernement précédent, pointe Gérard Sadik. Ce sont ceux qui ont fait la loi de 2016. »

Débat sur la politique migratoire

A l’issue du « grand débat national », le président de la République avait annoncé, fin avril, un débat annuel au Parlement sur la politique migratoire, pour « rebâtir un patriotisme inclusif ». Ce débat aura lieu après l’ouverture, le 10 septembre, d’une session parlementaire extraordinaire, sans aucune certitude encore sur sa date. Selon une source parlementaire, ce débat sur la politique migratoire devrait avoir lieu le 25 septembre à l’Assemblée et le 2 octobre au Sénat. L’ordre du jour comprend « une déclaration du gouvernement devant l’Assemblée nationale, suivie d’un débat ».

Notes

(1) Instruction interministérielle n° DGCS/SD1A/DGEF/ 2019/143 du 4 juillet 2019.

L’événement

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur