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« Nos noces d’argent »

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Benoît Calmels, délégué général de l’Unccas, s’interroge, à l’occasion de la rentrée scolaire et après vingt-cinq ans de services dans le champ du social, sur ce que réserve l’année à venir dans ce domaine, notamment au sujet de deux dossiers majeurs : la prise en charge de la dépendance et la lutte contre la pauvreté liée à l’emploi.

« Deux moments se prêtent tout particulièrement aux exercices prospectifs : le début de l’année civile et celui de l’année scolaire. Cette année marquera ma 25e “rentrée scolaire” dans le social, avec son lot d’espérances, de bonnes résolutions, et son lot de déceptions. J’entame mes noces d’argent avec un cartable bien rempli, et la même question chaque année : que nous réserve donc cette rentrée 2019 ?

D’abord, un dossier majeur qui est celui de la prise en charge de la dépendance. Le rapport “Libault” a été remis. Nous l’avons annoté consciencieusement, commenté abondamment : tout est sur la table.

Reste le débat parlementaire. Sera-t-il à la hauteur de ce “Dépendance Day” que nous attendons tous ? L’automne le dira, et confirmera si nous sommes enfin prêts à relever le défi ou si nous préférons nous perdre en conjectures, en bonnes intentions, pour n’aboutir qu’à un texte sans consistance ou, pire, sans ambition. A un rendez-vous manqué. Car des lois sur le sujet, il y en a eu autant que des marronniers dans les magazines… et des châtaignes dans nos illusions.

Parfois, je me sens Pénélope, et vous aussi, je le sais, à remettre rentrée après rentrée notre ouvrage sur nos métiers. A buter sur nos ambitions comme sur cette fichue règle de grammaire ou ce satané théorème. Avec cet énervement : au final, nous n’aspirons ni au bon point, ni à la grande image. L’enjeu est celui du choix de société assumé, financé, assorti de solutions concrètes à mettre en œuvre à court, moyen et long termes.

Deuxième sujet au tableau : la stratégie “pauvreté”. La rentrée sera marquée non seulement par la mise en œuvre des mesures inspirées des préconisations des groupes de travail, dont celui coprésidé en son temps par l’Unccas, mais aussi par des sujets en soi tels que le revenu universel d’activité (RUA) ou le service public de l’insertion.

Ici, l’ambition n’est autre que de garantir ou de redonner des perspectives d’emploi tangibles et adaptées à toutes ces personnes qui, bien moins qu’une aide de la collectivité, aspirent tout simplement à travailler et donc à être reconnues à part entière dans la société. Comme dans les copropriétés dégradées, l’ascenseur social est en panne. Nous le savions déjà. Le grand débat l’a confirmé. Les mesures devront là aussi être ambitieuses. Car la déception sera à la hauteur de nos “démissions” ou renoncements.

Cela dit, sur ce sujet comme sur d’autres lorsqu’on touche à la question sociale, on nous invite à faire encore et toujours de la pédagogie. Rentrée aidant, il n’est qu’à voir les débats anachroniques et caricaturaux qui continuent de fleurir çà et là sur l’utilisation de l’allocation de rentrée scolaire au profit d’hypothétiques écrans plats. Le pauvre doit être très pauvre pour que cela nous soit supportable.

“Grand âge” et “emploi”, rien que ça. Comme si nous entamions un double cycle normal sup et polytechnique ! Ces deux dossiers pèsent déjà lourd dans la besace des CCAS. Ils seront sûrement leur lot quotidien dans les mois et les années à venir. Mais si nous voulons résolument et collectivement changer la donne dans ces deux domaines, il nous faudra nous affranchir des mesurettes et du ripolinage au profit de vrais choix politiques. Car ne nous leurrons pas : abordées sous le seul angle technique, ces deux questions majeures ne déboucheront que sur des solutions techniques.

Or, sur le grand âge, les questions de fond demeurent : quel regard portons-nous sur le vieillissement, et que souhaitons-nous transmettre aux générations futures ? Quelle part de risque sommes-nous prêts à accepter, pour nous-mêmes et pour nos proches, dès lors que survient la perte d’autonomie ? Manquons-nous à ce point d’imagination pour déterminer ce à quoi ressemblera ce que l’on nomme aujourd’hui le domicile ? Manquons-nous à ce point d’imagination pour déterminer ce que seront… nos vies ?

S’agissant du RUA ou du service public de l’insertion, l’occasion nous est donnée de réinterroger l’essence même et la finalité des politiques publiques de l’emploi et des politiques sociales en 2019, mais surtout de nous projeter dans dix ou vingt ans. Mais est-ce encore possible, alors même que la pensée politique ne semble pas dépasser la journée ? Le tweet comme une baguette magique ?

S’agit-il d’amortir les effets de l’exclusion, d’étendre le filet de sécurité, de rendre le chômage supportable, de redéfinir le travail et ses modalités ? Tout cela à la fois ? Ce faisant, l’utilité sociale des acteurs de la solidarité doit être requestionnée dans ses fondements, ses pratiques, ses méthodes, tout autant que la capacité des personnes dites “accompagnées” à recouvrer leur pleine autonomie. Des dispositifs exceptionnels finissent par se nourrir d’eux-mêmes et s’institutionnalisent, deviennent des métiers. Nos métiers. Cela pose question.

Annoncés en début d’année, tous les programmes scolaires ne suscitent pas le même intérêt chez les élèves qui auront à y travailler. D’aucuns s’en enthousiasment quand d’autres n’y voient que les manques. Pour ma part, j’aurais bien aimé que cette nouvelle année soit l’occasion d’amorcer une réflexion plus globale sur ce qu’est et ce que nous voulons faire du social.

Non pas le social comme une suite de dispositifs ou de politiques segmentées, ce que nous faisons déjà, mais comme un véritable ferment de la société. Oserons-nous un jour nous poser la question suivante : au-delà des aspirations individuelles, la recherche du bonheur peut-elle constituer une politique publique ?

Bien sûr, la démarche suppose de poser son cartable une minute. De prendre le temps nécessaire à la réflexion. Et si elle ne nous exonère pas du principe de réalité selon lequel il nous faut aussi gérer le quotidien, voire l’urgence qui s’impose à chacun de nous, elle nous oblige à dépasser le court terme et à faire preuve d’imagination, d’inventivité, voire d’audace, quitte à bousculer nos propres représentations.

C’est en tout cas le pari que s’est fixé l’Unccas. Etre présent sur les dossiers qui ponctuent le quotidien des CCAS et des CIAS. Mais aussi leur donner l’occasion de réfléchir à l’action sociale de demain. C’est d’ailleurs dans cette optique que nous menons actuellement un important travail sur le design de service au travers du projet « le CCAS de 2050 ».

N’oublions pas que les CCAS, héritiers des bureaux de charité, de bienfaisance puis d’aide sociale, n’ont eu de cesse de se renouveler au fil du temps. Et du haut de leur plus de deux cents ans d’activité, y sont parvenus. L’action sociale communale ne demande donc qu’à évoluer encore.

Entre autres étapes de leurs possibles mutations, figurent notamment les élections municipales. Celles de mars 2020 n’y dérogeront pas. Dans cette perspective, l’Unccas a mis en œuvre un outil d’acculturation et d’accompagnement des futurs élus, chargés dès demain des politiques sociales sur leur territoire. Son ambition : montrer que leur meilleur atout sera non seulement leur faculté à gérer le quotidien, mais plus encore leur capacité à se projeter à long terme et à impulser un projet social qui emmènera avec lui leurs concitoyens et toute l’équipe municipale. Ceux qui en douteraient encore sont naturellement les bienvenus lors de notre prochain congrès national, en octobre à Amiens !

En cette rentrée 2019, nos crayons sont taillés, nos chaussures sont cirées. Nous voilà prêts à remplir nos cahiers d’une nouvelle page de l’histoire de l’action sociale. Y renoncer reviendrait à accepter tout bonnement de porter le bonnet d’âne. »

Contact : bcalmels@unccas.org

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