La question de l’évaluation durant l’accueil des enfants en protection de l’enfance est au cœur d’un rapport réalisé par une équipe de recherche universitaire, en partenariat avec l’Association nationale des placements familiaux (ANPF), et rendu public fin juillet. En effet, selon les autrices du rapport, un tel processus d’évaluation « n’est pas un concept neutre ni une pratique avec laquelle serait à l’aise l’ensemble des professionnels ». Intitulée « L’évaluation des situations d’enfants confiés en accueil familial », cette étude a été menée par Séverine Euillet, Claire Ganne et Amélie Turlais, chercheuses à l’université Paris-Nanterre au sein de l’équipe « Education familiale et interventions sociales auprès des familles ».
A partir d’une enquête nationale et d’une phase qualitative d’entretien, le croisement des données a permis plusieurs constats. Le premier établit ainsi que les lois de 2007 et 2016 focalisent largement sur l’évaluation de la situation avant la décision de mise en place d’une mesure de protection de l’enfance. Pour évaluer le danger ou le risque de danger, les professionnels peuvent s’appuyer sur de nombreux référentiels. Mais quant au suivi du placement, les textes législatifs sont moins précis, selon Séverine Euillet(1) : « Lorsque l’enfant est protégé, l’évaluation de sa situation semble relativement légère ou peu formalisée, n’ayant pas fait l’objet de travaux ni même de réflexion, alors que la loi de 2016 l’impulse. » Et de préciser : « Cette dernière établit un rapport annuel pour les enfants de plus de 2 ans et tous les six mois pour les enfants de moins de 2 ans. » Face à cette situation, les entretiens exploratoires menés lors de l’étude ont révélé une diversité des pratiques, des postures et des modèles théoriques pour arriver à évaluer la situation de l’enfant pendant qu’il est accueilli. La recherche a également permis de démontrer que cette tâche d’évaluation pendant l’accueil est réalisée dans le milieu associatif depuis très longtemps, mais qu’elle se déploie de différentes manières plus ou moins formalisées et organisées au sein d’une équipe. « Une hétérogénéité qui s’explique par le fait que la perception de l’évaluation peut être différente d’un service à l’autre », commente Séverine Euillet.
Cette étude révèle ainsi qu’une majorité des services ont créé leurs propres supports d’évaluation, adaptés notamment pour évaluer plus finement l’enfant et son développement et majoritairement associés à l’usage concomitant d’outils « réglementaires » tels que le projet pour l’enfant ou le document individuel de prise en charge. Le rapport montre également que cette pratique évaluative est collective, conçue dans les services comme un moyen de renforcer la réflexion collective, de rassembler et de partager les impressions et les points de vue.
Au niveau du contenu de l’évaluation, la santé et la scolarité de l’enfant ainsi que ses capacités d’adaptation et d’intégration, notamment dans sa famille d’accueil, sont des axes fortement évalués. Néanmoins, des points sont à renforcer sur les partenariats autour de la pratique évaluative des professionnels. Séverine Euillet argumente : « Actuellement, l’évaluation de la situation des parents est déconnectée de celle du développement de l’enfant et des modalités d’accueil. On a l’impression que certains professionnels s’occupent des parents et d’autres, de l’évaluation du développement de l’enfant. » Avant de conclure : « Ces deux pans de l’évaluation se rencontrent peu ». Dans les faits, l’évaluation des parents peut être gérée par le conseil départemental, alors que celle de l’enfant est une mission de l’association d’accueil familial. Ce rapport, qui n’a pas la prétention de faire des recommandations mais seulement de fournir des pistes de réflexion, incite à travailler ce rapprochement ainsi que les partenariats, notamment avec le personnel paramédical (orthophoniste, suivi psychologique, psychomotricien) et avec l’école. Concrètement, à propos des réunions de synthèse organisées au moins une fois dans l’année, les chercheuses proposent la présence d’un représentant scolaire qui pourra apporter des éléments sur le rapport aux apprentissages de l’enfant, sur son bien-être à l’école et ses interactions avec ses camarades. Une participation au processus d’évaluation qui peut également prendre la forme d’un lien plus étroit entre le référent de l’enfant et son enseignant. Plus explicitement, le référent doit être l’interface des différents interlocuteurs autour de l’enfant.
Il est indiqué dans les textes que les assistants familiaux participent à la connaissance de la situation de l’enfant, qu’ils ont un rôle d’information, de participation au projet de l’enfant et sont indirectement positionnés dans la procédure d’évaluation. Sur ce point, une grande disparité a été observée quant à l’implication des assistants familiaux. Selon les services, ils participent ou non aux réunions de synthèse. Leur place dans les équipes des services d’accueil familial peut se révéler très différente d’une structure à l’autre. Une situation qui justifie le fait que leur positionnement par rapport à l’évaluation est un sujet central de la recherche. « Certains d’entre eux ne se sentent pas du tout investis et missionnés dans cette procédure d’évaluation de la situation de l’enfant, parce que l’organisation institutionnelle et les pratiques professionnelles ne le permettent pas, explique Séverine Euillet. Cela nécessite de questionner la formation à l’évaluation, parce qu’évaluer est avant tout un processus, et même une pratique socio-éducative, au-delà d’un jugement. Et c’est ce point qu’il nous paraît important de valoriser pour “réconcilier” les professionnels avec la pratique évaluative dans sa visée socio-éducative. » Le rapport met ainsi au jour « l’absolue et nécessaire réflexion sur la place des assistants familiaux au sein de l’équipe d’accueil familial ». Une clarification des missions des assistants familiaux qui sera certainement évoquée par les pouvoirs publics, alors qu’une réforme de leur statut est prévue pour 2020.
Parmi la centaine de pages de l’étude figurent également six fiches repères qui ont pour objectif de contribuer à la visibilité et à l’interconnaissance des pratiques en accueil familial, une grande faiblesse dans ce domaine ayant été signalée plus en amont. Pour l’ANPF et les autrices du rapport, cette interconnaissance est indispensable pour faire naître des réflexions afin d’amener des améliorations de pratiques qui favorisent le partenariat, mais aussi la participation des parents et des enfants dans le processus d’évaluation.
Ce rapport a été remis à la direction générale de la cohésion sociale (DGCS) ainsi qu’à l’Observatoire national de la protection de l’enfance (ONPE), dans l’espoir que ce dernier diffuse largement ce travail de recherche et de synthèse sur une problématique au cœur de la protection de l’enfance.
(1) « Parcours en accueil familial : sens et pratiques », sous la direction de Séverine Euillet, éd. L’Harmattan.