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Accès aux soins des chibanis : le Gisti dénonce une « fake news »

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Réfutant les annonces diffusées par certains parlementaires en juillet, le Groupe d’information et de soutien des immigrés rappelle que les personnes âgées immigrées sont toujours exclues de la prise en charge de leurs frais de santé lors de leur séjour temporaire en France. Un droit pourtant en vigueur depuis le 1er janvier 2016.

« La désinformation bat son plein », critique le Gisti (Groupe d’information et de soutien des immigrés). Le 23 juillet, une conférence de presse s’est tenue à l’Assemblée nationale en présence notamment de l’association franco-marocaine Cap Sud MRE, des députés Olivier Véran, Fiona Lazaar (LREM) et Michèle de Vaucouleurs (Modem) pour annoncer de nouveaux droits, depuis le 1er juillet, dans l’accès aux soins des personnes âgées immigrées, communément appelées « chibanis » et « chibanias » (au féminin).

Le Gisti est monté illico au créneau pour dénoncer une « fake news » reprise par certains titres de presse en France et au Maroc. « Les personnes retraitées résidant à l’étranger doivent voir leur droit à une prise en charge des frais de santé respecté. Et pour cela il faut des actes, pas des paroles trompeuses au service d’une communication politique cynique », fulmine l’association sur son site Internet.

Un « Durcissement » des conditions d’accès

Au cœur de la polémique : l’article L. 160-3 du code de la sécurité sociale (CSS). Applicable depuis le 1er janvier 2016, cet article dispose que tous les pensionnés des régimes de retraite français bénéficient du remboursement de leurs frais de santé par leur régime d’assurance maladie lorsqu’ils résident ou séjournent en France(1). « Cette prise en charge est logique puisque ces personnes, quelle que soit leur nationalité, ont travaillé et cotisé au régime d’assurance maladie pendant de longues années, et continuent du reste à le faire puisque des cotisations spécifiques sont prélevées à cette fin sur les pensions des personnes non résidentes », explique le Gisti.

Mais depuis le 1er juillet 2019, une réforme législative découlant de l’article 52 II. 4° de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2019, adoptée en décembre 2018, a modifié cet article L. 160-3 du CSS. Pour rappel, dans le cadre des discussions sur le budget de la sécurité sociale, un amendement gouvernemental a ouvert la possibilité aux retraités étrangers ayant cotisé à deux régimes de pensions de retraite (dont au moins quinze ans au régime français) de bénéficier d’une couverture de la sécurité sociale lors d’un séjour en France. C’est donc cette mesure qui est entrée en vigueur le 1er juillet 2019. Concrètement, à compter de cette date, les pensionnés du régime français résidant à l’étranger (hors Union européenne [UE]-Espace économique européen [EEE]-Suisse) ne peuvent bénéficier de la prise en charge de leurs frais de santé lors de leurs séjours temporaires en France « que s’ils ont cotisé pendant au moins quinze ans en France ou que, en vertu d’une convention bilatérale de sécurité sociale conclue avec un Etat hors Union européenne, la France reste compétente en matière d’assurance maladie dans cet Etat de résidence », explique le Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale (Cleiss), qualifiant cette disposition de « durcissement des conditions d’accès ».

Qui perd, qui gagne ? « La réforme facilite l’accès au droit pour certaines personnes retraitées, mais en exclut beaucoup d’autres », explique le Gisti. Avant le 1er juillet 2019, les personnes retraitées bipensionnées (percevant à la fois une pension d’un régime français et d’un régime de leur pays de résidence) continuaient de relever de la caisse de leur pays de résidence en vertu de la convention bilatérale de sécurité sociale. Désormais, elles peuvent avoir accès à une prise en charge par l’assurance maladie française lors de leurs séjours temporaires. A condition toutefois… qu’elles répondent à la nouvelle exigence d’avoir validé au moins quinze années de cotisations au titre de la retraite du régime français. Pour l’Association des travailleurs maghrébins de France (ATMF), cette modification de l’article du CSS « exclut de fait les plus précaires et les plus fragiles ». « Le progrès pour certaines personnes retraitées se fait donc au prix de l’exclusion de celles ne justifiant pas de quinze années de cotisations en France, en particulier celles qui résident dans un pays non UE-EEE-Suisse non couvert par une convention bilatérale de sécurité sociale. Cette nouvelle exclusion va toucher en pratique des personnes de nationalité française ou européenne », ajoute le Gisti.

Autre changement avec cette réforme : quand un retraité remplit les conditions, ses enfants mineurs dont il a la charge peuvent désormais bénéficier de la prise en charge des soins de santé en France lors de leurs séjours temporaires. En revanche, « le conjoint qui réside avec le pensionné et qui n’est pas titulaire d’une pension à titre personnel n’a aucun droit à l’assurance maladie en France », précise le Cleiss. « L’amendement et les motivations du législateur demeurent flous et reposent sur un diagnostic approximatif, voire inexistant (nombre de bénéficiaires, public concerné…). L’entrée en vigueur de cet amendement ne s’est pas accompagnée d’instructions claires et transparentes (absence de notes de service, circulaires, règles ou toutes mesures écrites auprès des administrations concernées…) », regrette l’ATMF dans un communiqué en date du 26 juillet.

Une application « discriminatoire »

Pour le Gisti, cette réforme entrée en vigueur le 1er juillet 2019 est l’arbre qui cache la forêt car elle « ne change rien au problème majeur » des chibanis et chibanias. « Avant ou après la réforme, la plupart des personnes retraitées non UE et ne résidant pas en France sont toujours exclues de la prise en charge des frais de santé lors de leur séjour temporaire, non parce qu’elles seraient bipensionnées, mais en raison de l’application contestable de l’article L. 160-3 du code de la sécurité sociale, et ce depuis son entrée en vigueur le 1er juillet 2016 ». En ligne de mire du Gisti et des associations et collectifs d’accompagnement des chibanis et chibanias, « une application discriminatoire » de la réforme du 1er janvier 2016 par l’administration. Le Centre national des retraités de France à l’étranger (Cnarefe), chargé d’examiner les demandes, exige des personnes non ressortissantes d’un pays de l’UE la production d’un titre ou document de séjour. Une « condition de résidence régulière » en France qui n’est pourtant pas prévue par les textes.

« Pire, [le Cnarefe] refuse même des documents attestant de la régularité du séjour, en limitant à certains documents que la plupart de personnes ne détiennent plus et ne peuvent plus obtenir puisqu’elles ne résident plus en France parfois depuis très longtemps. Cet obstacle est rédhibitoire pour la très grande majorité des personnes étrangères non UE qui résident à l’étranger », explique le Gisti. En avril 2018, l’Observatoire du droit à la santé des étrangers (ODSE) a publié une analyse détaillée de la procédure « Cnarefe » pour les ressortissants étrangers non UE. Il apparaissait que le Cnarefe demandait à ce public d’être en possession impérativement d’un des documents suivants, en cours de validité : titre ou visa court séjour autre que visa Schengen, carte de résident, carte de séjour « retraité », certificat de résidence algérien « retraité », titre ou visa long séjour autre que prolongation de visa Schengen. « Les instructions exigent une “condition de résidence régulière” en France pourtant non prévue par l’article L. 160-3, et ceci, très logiquement, puisque la disposition s’adresse à des personnes ne résidant pas et donc ne pouvant remplir aucune condition de résidence en France, argumente l’ODSE dans sa note. La “condition de résidence régulière” pour la prise en charge des frais de santé est prévue aux articles L. 111-15, L. 160-16 et L. 160-57 du code de la sécurité sociale. L’article L. 160-3 est justement conçu comme une dérogation à cette condition : elle prévoit la prise en charge des frais de santé pour des personnes ne remplissant justement pas cette condition de résidence en France (et n’y travaillant pas non plus), en fixant les conditions à une telle prise en charge lors de séjours temporaires en France : être titulaire d’une pension de retraite, d’invalidité ou accident du travail-maladie professionnelle d’un régime français de sécurité sociale. Y ajouter une condition de régularité du séjour non prévue par les textes légaux nous semble en conséquence fortement contestable. » Et d’ajouter : « Quand bien même une condition de régularité serait exigible pour une personne non résidente en France, celle actuellement exigée est très contestable, conduisant à exclure la plupart de personnes non européennes. » Pour qualifier les nombreux obstacles administratifs rencontrés par les chibanis et chibanias pour accéder à leurs droits à la santé, l’ODSE utilise même la formule de « machine à exclure les retraités de nationalité non UE-EEE ».

L’espoir d’un « petit progrès »

Fort de ces constats, l’ODSE avait interpellé le ministère de la Santé et la Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam) de ces dénis de droit, en demandant qu’ils cessent. « Aucune réponse, malgré de nombreuses relances, n’y a été apportée », rappelle le Gisti. En novembre 2018, la députée (LREM) du Val-d’Oise Fiona Lazaar, qui avait porté le sujet, écrivait sur son site Internet que le gouvernement s’était « engagé à faire en sorte que les frais de santé des chibanis et retraités étrangers du régime français installés à l’étranger soient pris en charge en France, quel que soit leur titre de séjour et sans condition de durée de résidence ». A la suite d’un courrier envoyé par Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé, à cette même députée, en juin dernier, le Gisti espère « un petit progrès » dans ce dossier grâce à l’acceptation des visas Schengen, « refusés depuis 2016 » comme justificatif pour les étrangers hors UE lors de leur séjour temporaire en France. « Mais, à ce jour, l’administration concernée n’a toujours pas modifié ses exigences sur ce point », conclut l’association.

Notes

(1) Article 59 de la LFSS n° 2015-1702 du 21 décembre 2015.

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