Elle y pensait déjà lorsqu’elle était juge pour enfants. Fondatrice et présidente de l’association Parentibus, Catherine de La Hougue ne s’arrête jamais d’essayer d’améliorer ce service citoyen de proximité. « Dès 2012, je rêvais d’un bus. La Manche est un beau département, mais il n’y a pas beaucoup de grandes villes et de moyens de transport. Les gens se déplacent peu, il faut donc aller vers eux. » Juge pour enfants pendant dix ans à Coutances, elle observe la dégradation de situations familiales, bien souvent faute de lieux de parole. « J’ai aimé ce métier, mais il n’est pas simple pour les gens de venir devant un juge. Il faut donc les aider plus vite, plus tôt. » Catherine de La Hougue va agir en organisant une grande fête afin de réfléchir collectivement à ce projet qui mûrissait. L’occasion aussi de trouver les fonds, grâce à une vente aux enchères qui rapporte 17 000 €. « J’ai passé un été à chercher les œuvres à vendre », se souvient-elle. Forte de ce premier fonds de caisse, elle sollicite le programme européen Leader, les banques, démarche des députés. « Il a fallu beaucoup d’audace. Et d’énergie… »
En septembre 2014, Parentibus prend la route, avec une coordinatrice embauchée à temps plein (qui change tous les ans) et une personne en service civique. « Je suis allée dans tous les conseils municipaux », explique Catherine de La Hougue, qui devait évidemment avoir l’accord des maires pour le stationnement du bus. Aujourd’hui, l’association dispose de 21 lieux où poser son lieu d’écoute mobile, souvent sur la place du marché, mais également près des maisons familiales rurales (MFR), pour les élèves.
Parentibus n’a pas de sujet de prédilection : divorces, maladies, problèmes familiaux ou relationnels avec les enfants ou les parents, chacun est libre de venir s’y exprimer. « C’est un lieu pour tout le monde. Pas d’âge, pas de catégorie sociale. On parle beaucoup de lien familial dans ce bus. Je me souviens d’un enfant à la famille recomposée qui disait : “Ma famille est très re-compliquée.” Ça résume bien les problématiques des personnes qui viennent nous voir. » Les écoutants bénévoles, toujours en binôme dans le bus, accueillent les visiteurs avec café et gâteaux. Parfois eux-mêmes anciens usagers du bus, ils sont formés à l’écoute active par un psychologue, à raison d’une journée tous les trimestres. D’une vingtaine en 2014, ils sont passés aujourd’hui à plus de 50. Passagers et écoutants se plaisent à dire qu’ici on peut « vider son sac ». « L’idée est de ne porter aucun jugement, insiste la présidente. L’écoute est la règle d’or. On est là pour commencer à mettre des mots, pour que la parole se libère. C’est parfois une première démarche, un premier pas. »
Dominique, retraité, est écoutant pour Parentibus et fait partie depuis deux ans du conseil d’administration de l’association. Ancien enseignant et visiteur de prison, l’homme a d’abord connu le bus en tant que passager après que sa femme est décédée d’un cancer. « Ici on arrive à verbaliser tout ce qu’on ressent. Les gens devant soi aident à le faire. On peut vider son sac, il n’y a pas de conseils, de jugement, ça fait énormément de bien. » Dominique reconnaît qu’il est parfois compliqué pour les gens d’aller voir un spécialiste. « Ce n’est pas toujours ce que les gens attendent, qu’on leur donne des conseils. Nous sommes dans l’écoute, pas dans le conseil. Sauf si ça relève de la justice, bien sûr. » Parentibus est aussi l’écrin d’histoires très fortes et douloureuses, qu’il faut savoir accueillir. L’homme se souvient de cette femme de 85 ans qui a raconté son histoire de vie traumatique pour la première fois dans le bus. « Il paraît qu’on peut parler chez vous », avait-elle dit en arrivant. « Elle n’avait jamais raconté ça à personne. On ne connaît pas les noms, rien, tout ce qui se dit dans le bus reste dans le bus », explique Dominique. Une rencontre qui l’a marqué, qui lui fait dire que, « parfois, on s’en prend plein la figure ». Mais l’écoutant se sent épaulé dans son action par la dimension intra-associative de Parentibus, « qui permet aux écoutants de s’enrichir mutuellement en travaillant sans cesse en binômes différents ».
D’autant que Catherine de La Hougue pense également le bien-être de ses écoutants. Tous les trois mois, une séance d’analyse de la pratique avec un psychologue permet à chacun de mettre son vécu sur la table et de partager ses questionnements. « Parfois, on se demande si on a bien fait, confie Dominique. On voit le monde par le petit bout de la lorgnette. Parfois, des jeunes de 13-14 ans viennent parler de leurs soirées alcoolisées, de leurs problèmes affectifs, des relations aux parents… » Un sas salvateur, au plus près de la société. « Je n’aurais jamais imaginé tous ces problèmes qui nous sont exposés, affirme le retraité. En tout cas, c’est aussi gratifiant, que des gens se confient à vous, c’est un plaisir de rendre service. » Lui remercie souvent les passagers de lui avoir fait confiance en se dévoilant.
De son côté, Katy Swierkowski, la coordinatrice, gère l’administratif de l’association. Avec un budget aujourd’hui financé par la caisse d’allocations familiales, l’agence régionale de santé de Normandie et la mutualité sociale agricole, coordonner Parentibus est un métier à temps plein, d’autant qu’un second bus a vu le jour l’année dernière. Et qu’un troisième est envisagé, pour toucher davantage de localités. « Je m’arrêterai à quatre, avoue Catherine de La Hougue. Les suivants prendront le relais ! » Pour le moment, Parentibus se rend dans des communes à maximum trois quarts d’heure de route autour de Coutances, uniquement en période scolaire et le samedi matin. Demandes de subventions, planning des bénévoles, entretien des bus, réunions avec les partenaires… la jeune femme chapeaute l’ensemble, après un changement de voie. A ce poste, l’ancienne directrice de centre de loisirs sans hébergement (CLSH) s’y retrouve bien. « L’idée est originale et sympa. Le concept me plaît beaucoup, de pouvoir être dans la relation aux autres. » Car Katy Swierkowski peut aussi être amenée à remplacer des écoutants. « Sur certaines communes, nous participons aux “commissions familles”, nous réfléchissons avec les élus et les citoyens à notre présence lors d’actions ou de journées spéciales. »
Ainsi, le bus se promène aussi dans les villages associatifs. Le planning de Parentibus est distribué dans les écoles, les mairies, les médiathèques et se trouve dans les journaux locaux. Une communication qui fonctionne et démontre un besoin dans le bocage normand, puisque le bus ne désemplit pas. Les rares communes qui refusent le stationnement de bus sont celles où les politiques estiment « qu’il n’y a aucun problème chez eux, que tout le monde va bien », soupire Catherine de La Hougue. Or beaucoup de gens n’osent pas aller voir l’assistante sociale ou raconter certaines choses à leur médecin. » Des psychologues conseillent d’ailleurs Parentibus comme un lieu différent, où l’on peut juste boire un café. « Venir dans le bus permet de débloquer une situation qui, en apparence, ne l’était pas. Nous faisons en sorte que la situation s’apaise, devienne supportable. » Depuis septembre dernier, 1 500 Normands sont déjà montés à bord de Parentibus. Qui ne semble pas près d’arrêter de rouler.
MARC ET ANNIE, PASSAGERS DE PARENTIBUS. « Nous formons une famille recomposée de 6 enfants au total, de 16 à 25 ans. Il y a donc eu une période très difficile, qui suivait deux divorces. Nous étions démunis face aux problèmes avec certains de nos enfants. Le côté écoutants neutres nous a séduits. Il y a peu de choses par chez nous, il faut se rendre à Saint-Lô. On avait besoin d’une démarche commune. Sur la place du marché, dans le bus, on est bien accueilli, pas derrière un bureau. Les écoutants ont souvent des passés d’éducateurs, d’instituteurs, de psychologues. Mais ils ne sont plus dans leur cadre professionnel, donc c’est moins formel. Comme l’affect entrait en compte, on manquait d’objectivité. Aller voir Parentibus remet en place les idées que nous avions déjà. Dans cette période de doute, et avec cette écoute bienveillante, nous avons pu reprendre la situation en main. Ça nous a beaucoup aidés. »