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Appels à projets : une logique en perte de sens ?

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Dix ans après la loi « hôpital, patients, santé et territoires », dite loi « HPST », les mesures dérogatoires à la logique d’appels à projets se multiplient. Est-ce le signe que cette procédure n’est désormais plus adaptée aux besoins de transformation de l’offre médico-sociale ?

Plus de simplicité et de souplesse pour accompagner la transformation de l’offre médico-sociale. L’article 18 du projet de loi relatif à l’organisation et à la transformation du système de santé, définitivement adopté le 16 juillet par le Parlement après un ultime vote au Sénat, supprime l’obligation de recourir à la procédure d’appels à projets (APP) pour les opérations de transformation d’un établissement ou service social et médico-social (ESSMS) induisant une extension de capacité, y compris en cas de conversion du sanitaire vers le médico-social. L’exonération d’appel à projets n’est plus conditionnée à un plafond d’augmentation de la capacité d’accueil. Après les protestations de certaines fédérations du secteur de l’aide à domicile et du Syndicat national des établissements et résidences privés pour personnes âgées (Synerpa), l’exonération avait été étendue aux projets de transformation de services avec modification de la catégorie des bénéficiaires, aux services à domicile autorisés à intervenir auprès de bénéficiaires de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) et de la prestation de compensation du handicap (PCH) mais non habilités à recevoir des bénéficiaires de l’aide sociale. Ces opérations resteront soumises, d’une part, à l’obligation de conclure un contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens (CPOM) avec les autorités de tarification, ce qui constitue une garantie de conformité avec la stratégie régionale en matière d’offre médico-sociale et, d’autre part, à l’avis préalable de la commission d’information et de sélection des appels à projets. « L’objectif est d’adapter au mieux l’offre disponible dans le cadre des engagements gouvernementaux d’“une réponse accompagnée pour tous” dans le champ du handicap », a argumenté le gouvernement, citant l’exemple de la transformation d’un institut médico-éducatif (IME) en service d’accompagnement médico-social pour adultes handicapés, avec une augmentation de sa capacité d’accueil. Il s’agit du troisième texte apportant des mesures dérogatoires à la logique d’appels à projets depuis l’adoption de la loi d’adaptation de la société au vieillissement (ASV), fin 2015. Le signe que la procédure d’appels à projets est trop rigide, trop lourde pour répondre aux enjeux de la transformation de l’offre demandée au secteur notamment dans la logique d’inclusion ?

Levier d’évolution

Créée par la loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires (HPST) du 21 juillet 2009 et mise en place par un décret du 26 juillet 2010, la procédure d’appels à projets et d’autorisation des ESSMS représente, selon la formule de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), « l’un des principaux leviers d’évolution de l’offre médico-sociale, dès lors qu’il s’agit de créer des services et des places nouvelles en établissement ». Cette procédure s’applique à l’ensemble des autorisations de création, d’extension ou de transformation des ESSMS délivrées par le président du conseil départemental, le directeur général de l’agence régionale de santé (ARS), le représentant de l’Etat ou conjointement par plusieurs de ces autorités. La loi « HPST » avait institué une commission d’appel à projet social ou médico-social en lieu et place du comité régional de l’organisation sociale et médico-sociale (CROSMS). Il y a près de dix ans, cette nouvelle procédure avait été présentée comme une révolution pour le secteur. Elle devait apporter pour les promoteurs plus de visibilité, d’objectivité et de transparence dans la sélection des projets sur la base d’un cahier des charges mais aussi une rapidité de mise en œuvre et une meilleure articulation entre les projets et la programmation. Ce changement, qui redonne l’initiative aux autorités publiques, visait à organiser de façon plus efficace la sélection des projets par les décideurs, puisqu’ils s’inscrivent en réponse à des besoins médico-sociaux définis de façon collective et concertée. Dans le secteur, plusieurs voix s’étaient élevées alors contre le risque de standardisation des réponses au détriment de l’innovation et des expérimentations, la difficulté de prendre en compte l’adaptation de l’offre existante, la capacité pour les petites associations de se positionner sur les appels à projets et la crainte de la concurrence.

Ingénierie administrative lourde

« Les positions étaient assez bipolaires. Il n’y a pas eu véritablement de front commun. On pourrait distinguer à l’époque les conservateurs du secteur qui considéraient que les appels à projets seraient une mauvaise méthode car on inversait la charge de la preuve et d’autres opérateurs qui y voyaient une forme d’opportunité dans la professionnalisation des initiatives, la valorisation de l’expérience des bonnes pratiques et la possibilité de répondre à ces cahiers des charges et à l’exigence administrative et financière que d’autres pouvaient craindre », se souvient Philippe Gaudon, président délégué général de l’association Efects. « Les pouvoirs publics, au moment de la loi “HPST”, ont mis en place une ingénierie administrative extrêmement lourde avec des cahiers des charges qui préjugeaient que les autorités compétentes pourraient se mettre d’accord sur une planification concertée. L’hypothèse [étant] que dans une nouvelle vision démocratique, l’on pourrait réunir des commissions de sélection d’appels à projets qui seraient suffisamment paritaires et modernes, un nouveau paritarisme entre les usagers et les financeurs. Tout cela a procédé à une belle construction technocratique dont l’expérience a montré qu’elle était très difficile à mettre en œuvre sur les territoires pour des questions de moyens. Le résultat a été une grosse usine à gaz et pas les moyens de la belle ambition de transparence et de démocratie sanitaire », explique-t-il.

Multiplication des dérogations

Dès 2010, soit à peine après la publication du décret, certaines fédérations du secteur – APF France Handicap et la Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne privés non lucratifs (Fehap) – sont montées au créneau pour réclamer une exonération d’appels à projets pour les transformations d’offre sans modification de la catégorie de bénéficiaires. Un décret du 1er juin 2014 avait déjà retouché le dispositif, modifiant notamment le seuil de capacité à partir duquel un projet d’extension était soumis à appels à projets.

Par la suite, un décret d’application du 15 juin 2016 de l’article 65 de la loi « ASV » a exonéré d’appels à projets les transformations ou extensions de certains ESSMS, sous conditions. Le décret d’application du 16 juin 2016 « simplifie et précise » les règles de la procédure « afin d’encourager la restructuration de l’offre sociale et médico-sociale ». Certaines structures étaient désormais exonérées de cette procédure, totalement ou sous réserve de la conclusion d’un CPOM.

Rebelote, avec le décret du 29 décembre 2017 qui autorise les directeurs généraux de quatre agences régionales de santé (Auvergne-Rhône-Alpes, Hauts-de-France, Ile-de-France et Provence-Alpes-Côte d’Azur) à déroger, jusqu’au 31 décembre 2019, au seuil des extensions de capacité échappant à la procédure d’APP et au délai de réponse des candidats. Le décret du 29 juin 2018 a transposé cette expérimentation aux présidents de conseils départementaux des départements situés dans les quatre régions. Ils peuvent, à titre expérimental, déroger au seuil de 30 % prévu pour distinguer ce qui est une petite extension de capacité échappant à la procédure d’APP.

« La procédure d’appels à projets a été mise en place pour favoriser l’organisation plus efficiente de l’offre des établissements et services bénéficiant de financements publics, sans que le droit de l’Union européenne ne l’impose. Or, l’organisation, en amont de l’autorisation, d’une procédure concurrentielle pour les opérations de transformation d’ESSMS apparaît peu pertinente et efficiente alors que le porteur du projet est déjà identifié et prêt à s’engager dans la démarche », reconnaissent les pouvoirs publics dans l’étude d’impact du projet de loi relatif à l’organisation et à la transformation du système de santé. L’article 18 du projet de loi « santé » apporte plus de souplesse attendue par les services chargés de mettre en œuvre la procédure d’APP (ARS, départements, préfets) qui ne parviennent pas à « calculer de manière satisfaisante et incontestable un seuil d’extension pertinent » en cas de transformation alors que les capacités des ESSMS ou des établissements de santé faisant l’objet de la transformation sont difficilement comparables entre elles, compte tenu de l’hétérogénéité du secteur et de l’absence de tarif de référence applicable. « Le cadre juridique de détermination du seuil en cas de transformation n’est donc ni adapté, ni sécurisé juridiquement », écrit la direction générale de la cohésion sociale (DGCS). Loin d’être un levier, la procédure d’appels à projets apparaît comme un frein. « Cette situation a pour effet de freiner les projets de transformation ayant un impact sur le niveau d’activité de la structure, ce qui pose problème en particulier dans le champ du handicap où les directeurs généraux des ARS se sont vu assigner en 2018 l’objectif de faire progresser la part des services proposant un accompagnement en milieu ordinaire dans l’offre médico-sociale à 50 % d’ici cinq ans. L’atteinte de cet objectif nécessite de prioriser les transformations de places en services », reconnaît la DGCS.

Cohérence des projets de transformation

Avec l’article 18 du projet de loi « santé », la liste des exonérations est élargie aux établissements de santé ayant des projets de reconversion dans le secteur social et médico-social. Si l’Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés sanitaires et sociaux (Uniopss) reconnaît que cette disposition permet d’accroître l’offre médico-sociale au bénéfice des publics accueillis par les associations (exemple cité, la transformation d’un établissement de soins de suite et de réadaptation [SSR] en foyer d’accueil médicalisé pour les personnes en situation de polyhandicap), d’un autre côté, elle émet des inquiétudes sur ses éventuels impacts sur l’offre privée non lucrative (en lien avec les réformes actuelles des hôpitaux et hôpitaux de proximité). Et d’en appeler à la vigilance sur le fait que cette disposition n’est pas adaptée à toutes les activités sociales et médico-sociales. « Les projets de transformation doivent se faire en cohérence avec la nature de l’accompagnement et les objectifs poursuivis, et en mobilisant les associations spécialisées sur le territoire. A cet égard, l’exemple de transformation d’activité hospitalière en appartement de coordination thérapeutique (ACT) est incohérent avec les missions remplies par ce type de structure. Les missions des ACT visent l’accès à l’autonomie des personnes dans le cadre de logements diffus situés généralement dans le parc social, missions d’inclusion et d’accès à l’autonomie difficiles à remplir dans un cadre hospitalier, même transformé », expliquait l’Uniopss.

Une procédure chronophage

Dans un rapport en date de décembre 2011, la mission d’appui au secrétariat général des ministères sociaux à l’analyse des processus d’autorisations sanitaires et médico-sociales a estimé à 18 à 36 jours/homme le temps unitaire de traitement d’un appel à projet (selon le degré d’appropriation de la procédure par les services) et à 1,5 jour/homme le temps unitaire de traitement d’une opération d’extension non importante non soumise à appel à projet.

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