Et un de plus ! Chargés d’une mission d’information sur les droits fondamentaux des majeurs protégés en octobre dernier, les députés Aurélien Pradié (LR, Lot) et Caroline Abadie (LREM, Isère) ont remis leurs conclusions et formulé une trentaine de propositions dans un rapport rendu public le 26 juin. Ces dernières années, le secteur de la protection juridique a connu une pluie de rapports : celui du défenseur des droits, de la Cour des comptes, du Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH) et, en septembre dernier, les constats, conclusions et propositions de la mission interministérielle sur l’évolution de la protection juridique des personnes conduite par Anne Caron-Déglise, avocate générale à la Cour de cassation.
En France, début 2017, 730 000 personnes environ bénéficiaient d’une mesure de protection juridique. Parmi elles, 725 000 faisaient l’objet d’une mesure judiciaire de tutelle, curatelle ou sauvegarde de justice. « Les statistiques relatives à la répartition par type de mesure montrent la prédominance des mesures les plus contraignantes, puisque 53,6 % des mesures sont des tutelles et 42,7 % des curatelles renforcées », indique le rapport parlementaire. « Ces publics sont peu bavards, ils s’expriment peu. Une fois la mesure de protection appliquée, ce sont des publics qui vont rarement eux-mêmes se plaindre de la manière dont la mesure est appliquée. Ces 725 000 citoyens sont silencieux, hors de nos radars habituels », a considéré Aurélien Pradié, lors de la présentation des conclusions du rapport en commission des lois de l’Assemblée nationale. « La question des droits fondamentaux est l’enjeu transversal qui s’impose au quotidien pour les acteurs de la protection des majeurs tant au moment de l’élaboration de la mesure par le juge qui doit être soumise à la triple exigence de nécessité, proportionnalité et subsidiarité, qu’au cours de son exercice », a poursuivi Caroline Abadie.
Parmi les trente propositions formulées par les deux rapporteurs, la première consiste à « consacrer à l’article 415 du code civil la primauté du respect de la volonté et des préférences du majeur sur la préservation de son intérêt et adapter en conséquence la formation des mandataires judiciaires à la protection des majeurs et les modes de prise de décision ». Si Sandrine Schwob, déléguée générale de la Fédération nationale des mandataires judiciaires indépendants à la protection des majeurs (FNMJI), salue le choix de mettre les droits fondamentaux des majeurs protégés sous le feux des projecteurs des parlementaires, elle considère que l’enjeu dépasse le secteur et concerne l’ensemble de la société. « L’article 415 du code civil place déjà les droits fondamentaux au cœur de la mesure. Les mandataires n’ont pas attendu ce rapport pour placer les droits fondamentaux au cœur de leurs pratiques et leurs démarches. Ils s’engagent chaque jour sur le terrain pour donner la primauté au choix et aux préférences de la personne protégée. La question est de savoir si la société est prête à accepter qu’une personne protégée puisse faire des choix qui soient en contradiction avec la norme sociale et qui peuvent engager parfois une prise de risque. Le mandataire est confronté chaque jour à cela, faire valoir la volonté d’une personne qui veut vivre dans la rue, d’une personne qui veut vivre dans un appartement sale… Les missions du mandataire sont claires dans les textes mais c’est la vision de la société qu’il faut faire évoluer », juge Sandrine Schwob. Et d’ajouter : « La protection et la vulnérabilité sont l’affaire de tous et pas seulement celle du mandataire judiciaire qui a été nommé pour une mesure de protection juridique. »
Aurélien Pradié et Caroline Abadie préconisent également de faire évoluer la formation des mandataires judiciaires à la protection des majeurs (MJPM) pour « accompagner la mutation de la profession vers l’accompagnement des majeurs et l’objectif de retour vers l’autonomie » et « s’adapter à l’extension des droits reconnus par la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice ». Les rapporteurs proposent de promouvoir la profession de MJPM dans les cursus juridiques à l’université et de prévoir une voie universitaire d’accès à la profession suivant la nomenclature licence-master-doctorat. « La formation initiale des MJPM doit être révisée car le métier s’est complexifié et qu’il nécessite une expertise juridique. Il faut faire évoluer le référentiel métier et inscrire l’obligation d’une formation continue qui est le seul gage d’une professionnalisation », souligne Sandrine Schwob. « Il est plus que temps que l’Etat revalorise la fonction de MJPM dans tous les sens du terme ; un statut avec des conditions d’exercice décentes et un financement respectueux de l’investissement et de l’engagement des professionnels sur le terrain », affirme-t-elle. Et de rappeler que depuis 2014, alors que le coût de la vie augmente, le tarif du mandataire individuel est gelé. Avec en parallèle des attentes et des exigences « toujours plus grandes de la part de l’Etat », critique-t-elle.
Comme bien des rapports portant sur le secteur social et médico-social, le manque de coordination entre les différents intervenants chargés de la prise en charge des personnes est pointé du doigt. « Il est indispensable de faire dialoguer les différents acteurs – en particulier les services judiciaires et les services sociaux – de la protection des majeurs », soulignent les rapporteurs. Pour ce faire, ils proposent, à l’instar de ce qui a été fait dans le Bas-Rhin, des instances réunissant des représentants du monde judiciaire (procureur, greffe, juge d’instance), des services sociaux du département, des maisons départementales des personnes handicapées et des maisons départementales de l’autonomie et de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie. Les associations familiales et des représentants des mandataires judiciaires pourraient également y participer.
En guise de conclusion à leur rapport, Aurélien Pradié et Caroline Abadie insistent sur la nécessité des moyens. « L’affirmation des droits fondamentaux ne peut garantir leur effectivité dès lors que les moyens dont disposent la justice, les mandataires et les établissements restent, malgré leur hausse, insuffisants. L’évolution de l’enveloppe budgétaire […] doit rester en corrélation avec l’augmentation du nombre de mesures. L’effort nécessaire au cours des prochaines années sera d’autant plus important que la place de la protection des majeurs vulnérables dans notre société est appelée à devenir un enjeu considérable », insistent-ils.