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Le fonctionnement des EVARS

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Depuis la réforme de 2018, les EICCF s’appellent Evars. L’emploi de ce nouvel acronyme n’est pas forcément synonyme de changement. Les tâches dévolues à ces « espaces vie affective, relationnelle et sexuelle » sont, certes, à présent clairement définies, mais il reste néanmoins des zones d’ombre quant à l’effectivité du nouveau système de financement et à la reconnaissance du métier de conseiller conjugal et familial.

Qui connaît les EICCF ? « Trop peu de monde », nous indiquait l’Igas, dans son rapport en juin 2011(1), et il a pourtant fallu attendre 2018 pour avoir une action gouvernementale d’envergure. L’inspection dénonce « un défaut de lisibilité et de visibilité », alors que ces établissements abordent des sujets majeurs comme l’IVG. Conscientes de ce paradoxe, Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé, et Marlène Schiappa, secrétaire d’Etat auprès du Premier ministre chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, décident de réformer les EICCF en 2018. Elles étoffent leurs missions dans le but de rapprocher leur fonctionnement de celui des autres établissements sociaux(2). A l’heure où le texte relatif au métier de conseiller conjugal et familial se fait toujours attendre, nous décryptons l’origine, l’organisation, les missions et les enjeux de ce dispositif.

I. Qu’est-ce qu’un Evars (anciennement EICCF) ?

A. Historique et positionnement

1. Historique

L’origine des Evars (anciennement EICCF) se trouve dans le décret n° 72-318 du 24 avril 1972 portant application de l’article 4 de la loi n° 67-1176 du 28 décembre 1967 relative à la régulation des naissances(3), dite loi « Neuwirth ». La contraception légalisée, il faut alors informer le public et trouver des lieux pour le recevoir : les établissements d’information, de consultation ou de conseil familial (EICCF) et les centres de planification ou d’éducation familiale (CPEF) sont nés. S’agissant de la distinction entre les deux (Evars et CPEF), voir l’encadré ci-contre. A côté des consultations médicales, le législateur crée ainsi des lieux, moins techniques, pour échanger sur l’ensemble des problèmes de la vie conjugale et familiale. Compléter l’offre sanitaire par un accompagnement éducatif personnalisé : les missions d’information et de consultations apparaissent déjà au cœur du dispositif dès leur création. Les Evars et CPEF prennent la forme d’associations familiales et d’organismes qualifiés pour cette mission. Dès la création, force est de constater que l’encadrement juridique est flou.

La loi « Neuwirth » promulguée, il faut l’appliquer. Le décret n° 72-318 du 24 avril 1972 s’en charge et détermine les conditions de fonctionnement des Evars (appelés alors EICCF). Ils doivent, au profit de leurs adhérents ou du public, exercer les activités d’éducation familiale et d’information sur les méthodes de régulation des naissances. L’arrêté du 27 novembre 1972 définit les qualifications requises pour les personnes exerçant les activités de conseil conjugal et familial (CCF) dans un Evars ou dans un CPEF et la circulaire n° 42 du 12 août 1974 fixe, quant à elle, les modalités de conventionnement avec l’Etat. En 1980, l’arrêté du 24 octobre revient sur le système de déclaration des Evars (ainsi que sur celui d’agrément des CPEF). L’arrêté nous éclaire sur les formations exigées pour exercer des activités de CCF dans les deux types de structures : Evars et CPEF.

En 1986 et 1993, deux arrêtés respectivement du 20 octobre et du 23 mars viendront préciser les formations nécessaires pour exercer ce métier. Il faudra attendre 25 ans et la réforme de 2018 pour que le sujet soit réellement à nouveau évoqué. Nous verrons plus tard que les professionnels restent sur leur faim.

S’agissant de leurs activités, les Evars ont suivi les évolutions de la société et des législations. En effet, la dépénalisation de l’avortement (loi du 17 juillet 1975) ou la loi de 1991 qui autorise la publicité en faveur du préservatif servent les Evars qui se font alors relais et diffusent largement l’information. Citons également l’obligation d’éducation à la sexualité à l’école inscrite dans la loi du 4 juillet 2001 et qui instaure trois séances annuelles d’éducation à la vie sexuelle du primaire au second degré. Ces trois exemples démontrent l’élargissement du champ de compétences des Evars au gré des évolutions sociétales. Ces mesures ne font pas bloc dans le code de la santé publique mais elles sont, au contraire, éparpillées, ce qui dessert la visibilité des structures et la compréhension des règles. Citons l’article L. 2111-1 du code de la santé publique qui indique que l’Etat, les collectivités territoriales et les organismes de sécurité sociale participent à la protection et à la promotion de la santé maternelle et infantile. La multiplicité des intervenants ne simplifie pas le dispositif. Encore aujourd’hui, deux acteurs sont sur le champ de l’information sexuelle au sens large : les Evars et les CPEF. C’est la multiplication des missions dans le temps qui a conduit le législateur à distinguer les deux, le domaine sanitaire étant exclusivement réservé aux CPEF (voir encadré ci-dessus).

2. Positionnement des Evars

a) Le public

Toujours selon le rapport de l’Igas, en 2010, 500 000 consultations étaient réalisées par an auprès d’un public composé essentiellement de jeunes et de personnes défavorisées, voire vulnérables à l’image des victimes de violences conjugales. Depuis, aucune donnée officielle. Aujourd’hui en Moselle, par exemple, « les mineurs et jeunes majeurs représentent 90 % du public reçu au sein de l’EICCF [nouvellement Evars, ndlr] local », indique Christine Fenot, conseillère conjugale et familiale au sein du Planning familial de la Moselle. Christine Lefebvre, présidente de l’Anceff, confirme l’ordre de grandeur au niveau national. 95 % du public accueilli sont des femmes. A titre d’exemple en 2017, en Moselle, sur 350 consultations physiques, 9 émanaient de jeunes hommes.

b) L’implantation

Il doit y avoir au moins un Evars par département. En théorie, la mission semble remplie puisque la France compte 101 départements et 390 Evars. Mais au-delà du nombre, la répartition sur le territoire et l’accessibilité sont des questions fondamentales. S’agissant de la localisation des établissements, elle est extrêmement variable sur le territoire. Pour les personnes plus vulnérables, la tâche est compliquée et les centres apparaissent peu visibles. L’accès est particulièrement malaisé pour les personnes résidant en zones rurales et périurbaines qui dépendent de l’existence et de la qualité des moyens de transports. « A la campagne, il est particulièrement difficile de se déplacer, les foyers ont parfois un véhicule ou pas du tout. La peur de la stigmatisation est également grande », explique Emilie Lafontaine, médiatrice familiale au sein du Relais familles de Familles rurales à Einville (Meurthe-et-Moselle) qui possède le statut d’Evars. Conseillère en éducation sociale et familiale, Emilie Lafontaine est également titulaire d’un diplôme d’Etat de médiateur familial ainsi que d’une formation en éducation à la vie. « Nous attirons le public parce que nous avons un panel complet de prestations. Les habitants nous connaissent. Ils se retrouvent donc dans un endroit neutre pour une écoute de confiance. » En fonction des problématiques rencontrées, la médiatrice peut être amenée à réorienter les demandeurs vers des spécialistes. « Sans notre réseau fédéral et notre implantation historique en zones rurales, ces personnes n’auraient jamais réalisé une telle démarche. » A travers cet exemple, nous percevons la complexité et la fragilité des missions des Evars.

Les horaires d’ouverture sont également variables d’un centre à l’autre et restreints malgré la volonté de répondre aux besoins du public. Christine Fenot et d’autres responsables d’établissements confirment que les Evars sont quasi inexistants en zones rurales et périurbaines alors que leurs habitants sont les principaux demandeurs ou devraient l’être. Certes, Internet a permis un accès à l’information sans précédent, les jeunes utilisateurs des Evars ne découvrent pourtant pas les prestations offertes à travers ce média. Selon l’Igas, l’offre en matière d’information relative à la sexualité fleurit sur la toile, à l’image du site « onsexprime », géré par l’Inpes, mais ce site ne renvoie pas vers les Evars et les établissements restent peu visibles sur le web. L’inspection déplore d’ailleurs dans son rapport la sous-utilisation de ce média par les établissements, aucun « chat » en ligne par exemple.

B. Organisation, agrément et financement

1. Organisation sous forme d’associations

Le paysage juridique et organisationnel des Evars (anciennement EICCF) s’est construit avec une pluralité d’organismes chargés de missions éducatives et d’informations sexuelles. Dès 1967, lors du débat parlementaire relatif à la loi « Neuwirth », le rapporteur annonce déjà qu’il souhaite que l’information soit « dispensée par les associations familiales et autres organismes qualifiés pour cette mission, parmi lesquels chaque foyer devra pouvoir trouver, s’il le désire, le cadre éducatif correspondant à ses croyances et à son éthique ». Des mouvements associatifs fleurissent alors. Attention : toutes les associations ne sont pas des Evars. Pour le devenir, le respect d’une procédure s’impose. Poussons encore l’analyse : au sein d’un même mouvement associatif, il est possible de retrouver certaines associations avec un statut d’Evars et d’autres sans. Parmi elles, une association particulièrement emblématique émerge après les années 1960 en France : le Mouvement français pour le Planning familial (MFPF), communément nommé « le Planning » ou « Planning familial ». Prenons l’exemple de la Moselle, l’association le Planning de Metz est un Evars, le Planning de Forbach est un CPEF où, en plus de l’accompagnement, des médecins et des sages-femmes prennent en charge le soin de maladies transmises sexuellement, ou encore l’IVG médicamenteuse.

L’explication ne serait pas complète si nous n’y ajoutions pas la notion de planification. En effet l’Etat, toujours via la loi « Neuwirth », a créé les centres de planification (CPEF). Le but est de permettre aux mineurs et aux personnes sans aucune couverture sociale, de bénéficier gratuitement au minimum d’une contraception, du dépistage et du soin d’éventuelles infections sexuellement transmissibles (IST). Ces structures sont publiques et relèvent des conseils départementaux, des communes, des hôpitaux, ou encore d’organismes privés à but non lucratif. Elles sont financées totalement ou partiellement par les départements dans le cadre des missions de protection maternelle et infantile (PMI).

Cette mission de PMI appartient aux départements depuis 1984 et ils l’assurent au travers des centres de PMI mais également grâce aux Evars (anciennement EICCF) et aux CPEF. Faisons remarquer que l’Igas relève dans son rapport une carence des départements qui gèrent, à son sens, l’activité et la planification « sans orientation stratégique ». Le résultat est sous nos yeux : les besoins sont couverts empiriquement. Les Evars sont des structures hétérogènes, fruits d’associations militantes à l’image du Planning ou d’initiatives de professionnels. Outre le Planning, nous pouvons citer, à titre d’exemple, le réseau des unions départementales des associations familiales (Udaf), le CLER Amour et famille ou encore Familles rurales.

2. Agrément

Attention, n’est pas Evars qui veut ! Jusqu’en 2018 l’acteur était soumis à un régime de déclaration préalable, le décret du 7 mars 2018 et l’instruction du 23 août 2018 y substituent un régime d’agrément valable 10 ans. Toute personne physique ou morale qui crée ou gère un ou des Evars doit faire une demande d’agrément auprès du préfet du département du lieu d’implantation de ceux-ci 2 mois au moins avant l’ouverture de l’Evars (ou 2 mois au moins avant le terme de l’agrément dans le cas d’une demande de renouvellement de celui-ci). L’instruction précitée prévoit un régime transitoire pour l’année 2018 durant laquelle les directions départementales, pôle cohésion sociale (DDCS) « restent les interlocuteurs des EICCF [nouvellement Evars, ndlr] et à ce titre instruisent les demandes d’agrément ; elles associeront à ce travail les déléguées départementales aux droits des femmes et à l’égalité (DDFE) ». Les Evars déjà en place et déclarés auprès de l’agence régionale de santé (ARS) avant la parution du décret bénéficient d’une demande d’agrément allégée, l’autorité étatique étant déjà en possession de nombreuses informations. Cette facilité est posée par le second article du décret du 7 mars 2018.

Comment déposer une demande d’agrément ?

Il convient d’envoyer au préfet du département un ensemble de pièces administratives décrites par les dispositions de l’article R. 2311-2-1 du code de la santé publique (CSP). Peu d’originalité : il s’agit des informations relatives à la personne gestionnaire de l’établissement, aux modalités d’accueil du public et de fonctionnement, aux formations et fonctions du personnel (il faut obligatoirement un conseiller conjugal et familial), aux attestations d’assurance ainsi qu’à l’autorisation d’ouverture au public.

Après étude du dossier, l’agrément est délivré, ou pas, par le représentant de l’Etat dans le département, pour une durée de 10 années, à compter de sa notification à la personne qui l’a sollicité, dès lors que les informations mentionnées ci-dessous sont satisfaisantes. La décision d’agrément fait ensuite l’objet d’un arrêté dont le modèle figure en annexe 3 de l’instruction du 23 août 2018. S’agissant du renouvellement, il doit être demandé au plus tard 2 mois avant l’expiration de l’agrément en cours de validité, selon la même procédure que pour la première demande.

Le décret du 7 mars 2018 détaille les modalités de l’agrément des Evars (anciennement EICCF) et il prévoit également que « les personnes qui créent ou gèrent un établissement agréé […] peuvent bénéficier d’une aide financière de l’Etat ». En 2011, selon l’Igas, cette aide s’élevait à 3,46 millions d’euros.

3. Financement

L’aide étatique est facultative dans le texte. Elle dépend du respect d’une convention qui doit être conclue entre le préfet du département d’implantation et le gestionnaire de la structure. Un modèle type figure en annexe 5 de l’instruction du 23 août 2018. Le décret fait apparaître les conditions de détermination de la contribution financière, les conditions de versement ainsi que les modalités de versement. Figure également dans les conditions, l’engagement de mettre en œuvre tous les moyens nécessaires à la bonne exécution des missions règlementaires. La lecture du modèle de convention nous apprend également que des partenariats doivent être mis en œuvre par les Evars pour « faciliter l’orientation, dès qu’elle apparaît nécessaire, des personnes accueillies ou accompagnées vers les services spécialisés compétents, notamment en matière de médiation familiale, de soutien à la parentalité et d’accès à la contraception d’urgence » (instruction du 23 août 2018).

Le financement de ces établissements n’échappe pas à la réforme de 2018, puisqu’il passe d’un système ex-post, à un financement ex-ante, basé sur des budgets prévisionnels. Les modalités de détermination du niveau de soutien financier, la répartition régionale des crédits et le détail des circuits de financement sont aujourd’hui des sources d’inquiétude pour les opérateurs de terrain. Les crédits régionaux ne sont, à présent, plus basés sur la présence historique de l’établissement sur le territoire mais sur les besoins auxquels les Evars répondent pour les jeunes de 12 à 24 ans ainsi qu’en fonction du « nombre de nouvelles affaires » précise l’instruction.

De plus, pour des raisons de simplification selon le gouvernement, « les crédits sont transférés à compter de 2018 du programme 304 “Inclusion sociale et protection des personnes” vers le programme 137 “Egalité entre les femmes et les hommes”. De ce fait, au niveau local, les crédits sont désormais délégués, sous l’autorité du préfet de région, à la direction régionale aux droits des femmes et à l’égalité entre les femmes et les hommes (DRDFE), responsable de BOP et d’UO, et de nouveaux circuits de décision doivent être mis en place. Il est prévu que la DRDFE arrête, en lien avec le niveau départemental, la répartition infrarégionale des crédits nationaux » (instruction du 23 août 2018).

En 2018, 2,5 millions d’euros ont été alloués aux Evars ainsi que 100 000 € supplémentaires pour accompagner la réforme. La somme varie en fonction des spécificités locales et le texte prévoit une péréquation lissée sur 10 ans afin de « mettre en œuvre les stratégies adéquates pour répondre au plus près des besoins des usagers par un maillage territorial adapté. La réforme a pour objet de rompre les inégalités antérieures en matière de couverture de territoriale des EICCF [nouvellement Evars, ndlr] »(1).

II. Les missions et les acteurs des Evars

Les Evars traduisent en actions les décisions étatiques, d’une part en matière d’information et d’accompagnement dans les domaines affectif et sexuel, d’autre part lors de l’apparition de nouveaux besoins sociaux et sociétaux. Il a pu s’agir lors des années sida d’apporter des explications et des informations quant au virus, il s’agit aujourd’hui par exemple, d’accompagner les jeunes transgenres.

A. Deux missions obligatoires au terme de la réforme de 2018

« Nous sommes très contents que la réforme de 2018 reprenne, enfin, noir sur blanc les missions et les compétences des EICCF [nouvellement Evars, ndlr] », affirme Christine Lefebvre, présidente de l’Anceff depuis le 23 mars 2019. En effet l’inorganisation, l’absence de pilotage et le manque de visibilité ont été clairement posés dans le rapport de l’Igas en 2011 et ce constat est toujours partagé à ce jour par l’association. Sept ans après, en 2018 la réforme était « plus qu’attendue » par les professionnels de terrain. Le décret du 7 mars 2018 introduit dans le code de la santé publique notamment un article dédié aux Evars (anciennement EICCF) qui fixe clairement leurs deux missions.

1. Première mission : informer

Informer sur les droits en matière de vie affective, relationnelle et sexuelle et éduquer à leur appropriation, ainsi que contribuer au renforcement de l’estime de soi et au respect de l’autre dans la vie affective, relationnelle et sexuelle. Le décret décline cette mission obligatoire en sept points. Dans le désordre, il s’agit de « la délivrance d’informations […] tenant notamment à la contraception, l’IVG et à la prévention des IST », d’assurer « la conduite d’entretiens préalables à l’IVG prévus à l’article L. 2212-4 », de veiller à « la promotion du respect de l’intimité des personnes âgées, des personnes en situation de handicap et de toutes les personnes vulnérables », ainsi qu’à « la prévention des violences, notamment celles faites aux femmes, et des violences sexuelles » (décret du 7 mars 2018). Les Evars ou EICCF doivent également proposer « une éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle dans une approche globale, neutre et bienveillante ». Vaste sujet. Cette mission est déclinée via les informations obligatoires en milieu scolaire mais également lors des consultations.

Interrogée, en qualité de conseillère conjugale et familiale, la présidente de l’Anceff apporte son éclairage : « Les jeunes baignent dans une hypersexualité constante, ils se construisent parfois dans une représentation faussée de la réalité basée sur la génitalité. Notre rôle est d’aborder les sentiments, la vie affective et de les amener à s’interroger. Nous leur posons des questions comme : “C’est quoi être amoureux ?” Mais notre mission consiste également à répondre à des questions très concrètes qui perturbent leurs représentations de la sexualité. Les plus fréquentes touchent à la durée des rapports, aux dimensions des organes, à l’épilation et à la chirurgie esthétique. Ils ont une vision totalement tronquée par la téléréalité, Internet et l’ultra sexualité de notre société moderne. Ils cherchent la normalité, notre rôle est de les rassurer et de les accompagner dans la singularité que sera leur vie amoureuse. »

La promotion de l’égalité entre les filles et les garçons et entre les femmes et les hommes trouve naturellement sa place dans la liste, et ce, dans la suite logique de la loi du 8 juillet 2013 pour la refondation de l’école de la République, ainsi que dans la droite ligne de la convention interministérielle pour l’égalité dans le système éducatif (2013-2018) qui démontre la volonté gouvernementale de faire passer le message dès et par l’école. « “C’est quoi être une fille ?” “C’est quoi être un garçon ?” Voici les questions posées en intervention scolaire, précise Christine Lefebvre. Y répondre sert à mieux décliner ensuite un travail sur les représentations. Le dernier point traite de “la promotion du respect des orientations sexuelles, des identités de genre, des personnes intersexuées”. » Christine Lefebvre insiste à propos de cette mission sur la nécessaire adaptation des Evars à la société. « Certes, nous ouvrons des espaces de discussion sur l’homosexualité, mais nous sommes face à de nouvelles interrogations des jeunes notamment liées au transgenre. Suis-je un homme, une femme ou un peu des deux ? Les EICCF, nouvellement Evars, sont là pour offrir des espaces où le public peut s’exprimer sans tabou. »

2. Seconde mission : accompagner

Accompagner les personnes dans leur vie affective, relationnelle et sexuelle. Cette tâche comprend notamment « l’accompagnement des situations de crise conjugale et familiale ; l’accompagnement du désir ou du non-désir d’enfant […] ; l’accompagnement des situations fragilisantes pour la famille » (décret du 7 mars 2018) et, innovation décrétale, qui a surpris les professionnels interviewés : « le soutien, l’accompagnement et l’orientation des personnes et des familles confrontées à des situations de dérive sectaire ou radicale et d’emprise mentale ». L’étonnement passé, les professionnels interrogés indiquent, à l’image de Christine Lefebvre, que « le métier de CCF est d’accueillir, d’écouter et d’informer les personnes, de favoriser la parole dans un cadre sécurisant, de faire émerger les émotions, les doutes, les peurs les questionnements… Nous sommes formés à prendre en charge les personnes sous emprise comme dans le cadre des violences conjugales. Dans les situations de dérives sectaires comme le laisse entendre l’article, les EICCF [nouvellement Evars, ndlr] ont des personnels formés et sensibilisés pouvant repérer ces problématiques. Il s’agira alors de déployer les ressources territoriales et de mener un travail en réseau avec les différents professionnels institutionnels ou associatifs afin d’orienter et d’accompagner vers des services plus spécialisés. »

A l’instar de l’IVG, les Evars sont le relais de l’Etat dans l’accompagnement des phénomènes sociaux complexes. Comme nous l’avons indiqué, les établissements sont organisés sous forme d’associations. Ils sont peu visibles et le pilotage national fait défaut. Dans le même temps, et de l’avis des personnes interrogées, ces structures sont d’une extrême souplesse dans leur fonctionnement, ce qui permet une réelle réactivité face aux demandes et aux situations nouvelles. Elles vont au-devant de publics très différents, à travers des actions innovantes à l’image des actions partenaires sur les mariages forcés, des actions auprès de classes de section d’enseignement général et professionnel adapté (Segpa) (voir encadré page 44), elles réalisent un travail de fond sur le sexisme et à la violence entre garçons et filles. Les Evars (anciennement EICCF) sont un outil de désenclavement et d’appui social auprès des personnes en situation de précarité (bénéficiaires du RMI, résidents en foyers Sonacotra).

Rappelons que la liste complète des missions des Evars est rappelée en annexe 1 du décret du 7 mars 2018. Toutes les missions sont désormais obligatoires par opposition au régime précédent dans lequel certaines missions pouvaient être facultatives.

B. Les acteurs : Le conseiller conjugal et familial ou La personne formée à la vie affective

Le décret de 2018 nous indique que les Evars (anciennement EICCF) doivent faire appel à « des personnes formées à l’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle ou au conseil conjugal et familial en matière de vie affective, relationnelle et sexuelle ». Il est directement précisé dans le décret qu’un arrêté des ministres chargés de la famille et de la santé viendra préciser le contenu et les conditions de délivrance de ces formations. A l’heure où nous rédigeons ce dossier, l’arrêté tant attendu n’est toujours pas paru. Les professionnels du conseil conjugal et familial réclament une reconnaissance de leur métier depuis des années : « Notre métier pourtant réglementé et défini par le code de santé publique n’est pas valorisé par un diplôme mais reconnu par une qualification. Nous espérons vivement que dans un futur proche la profession de CCF soit inscrite au RNCP – registre national de la certification professionnelle. L’Anccef travaille depuis des mois avec un collectif composé des différents organismes de formation, FNCF, AFCCC, ISF, FNEPE, MFPF de l’Ancic et du Cniddf(1) afin de répondre aux nouvelles demandes gouvernementales. A ce jour notre dossier est en attente de validation. La CNCP – Commission nationale de la certification professionnelle qui est devenue, en 2019, France Compétences – a reçu notre dossier, qui a été déposé une première fois au mois de décembre 2018 en format papier, puis sous forme dématérialisée au mois d’avril 2019 répondant ainsi à la nouvelle loi de formation. Depuis le mois de janvier, l’Anccef a donc participé aux différentes réunions du Collectif des EICCF [nouvellement Evars, ndlr] et du CCF conformément à son engagement pour la reconnaissance du métier. »

A ce jour, les conseillers conjugaux et familiaux possèdent uniquement une attestation de qualification délivrée par des organismes de formation souvent privés. Certes, ces organismes doivent être agréés par le ministère de la Santé, ce qui leur confère sérieux et fiabilité. La formation au conseil conjugal et familial comprend 400 heures d’enseignement réparties sur 2 années et deux stages de 40 heures chacun ciblés sur les activités suivantes : entretiens de conseil de soutien sur l’ensemble des problèmes liés à la sexualité, à la contraception, à l’IVG, aux maladies sexuellement transmissibles, aux relations conjugales et familiales, animations de réunions collectives, de groupes de jeunes ou d’adultes sur les questions relatives à la vie relationnelle, sexuelle et affective, participation au diagnostic de besoins nouveaux sur leur territoire d’intervention, précise l’arrêté du 3 décembre 2010 relatif à la formation des personnels intervenant dans les CPEF et dans les Evars (anciennement EICCF)(2).

Signalons que l’agrément nécessaire à l’ouverture d’un Evars offre une garantie quant à la probité du personnel qui y intervient. Le décret du 7 mars 2018 et l’instruction du 23 août 2018 imposent qu’il n’ait pas été condamné pénalement ou sanctionné disciplinairement pour des faits contraires à l’honneur, à la probité et aux bonnes mœurs ou encore condamné pour une infraction au titre II du livre II du code de la santé publique. L’Etat s’en assure en exigeant, pour les personnes concernées, une déclaration sur l’honneur et un extrait de casier judiciaire vierge (bulletin numéro 3). De la même manière, ces mêmes textes imposent que le personnel, salariés ou bénévoles, qui exerce des missions au sein des Evars, et donc au contact des usagers, soit formé à l’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle ou au conseil conjugal et familial en matière de vie affective, relationnelle et sexuelle. S’agissant de ce point, l’administration déconcentrée s’en assure également en exigeant des attestations de suivi des formations. Notons que la présence d’un CCF est indispensable pour permettre l’ouverture d’un Evars.

Eu égard aux missions lourdes qu’ils ont à gérer, les professionnels interviewés souhaitent tous une reconnaissance de leur métier par un diplôme d’Etat, ou au minimum, une certification professionnelle. « Pour assurer mes missions, je dois connaître parfaitement l’anatomie, avoir des notions médicales, une solide dimension psychologique et pourtant mon métier n’est pas reconnu », confie Christine Fenot. Déjà en octobre 2006, l’Igas faisait remarquer, dans le rapport relatif au « statut des conseillères conjugales et familiales RM2006-148P » que, même si la profession s’adaptait, les difficultés rencontrées restaient multiples. En cause, le poids du bénévolat, l’absence de reconnaissance statutaire dans des conventions collectives et dans le statut de la fonction publique ainsi que la lente structuration de la représentation professionnelle face à des employeurs multiples.

Ce métier se caractérise par son indispensable adaptation aux évolutions législatives. Citons les principales lois qui ont influencé ce métier. La loi du 13 décembre 2000 sur la contraception d’urgence et le décret du 9 janvier 2002 relatif à la délivrance aux mineurs des médicaments ayant pour but la contraception d’urgence, ou encore la loi relative à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception, ont conduit à une adaptation du discours et du comportement des professionnels. Autre exemple, les champs d’intervention des conseillers ont été modifiés à la suite des textes d’application de la loi du 4 juillet 2001, qui suppriment l’obligation d’entretien social préalable à l’IVG pour une femme majeure. Les textes qui modifient le droit de la famille peuvent également avoir des conséquences sur l’activité des conseillers conjugaux et familiaux, à l’image des lois relatives à la bio­éthique du 29 juillet 1994, qui portent notamment sur l’assistance médicale à la procréation, et de celle du 4 mars 2002 relative à l’autorité parentale conjointe. Ainsi, chaque changement législatif est une adaptation nécessaire du métier de conseiller.

Outre les conseillers conjugaux et familiaux, des personnes formées à l’éducation à la vie affective peuvent également intervenir. La formation « Education à la vie » est de 160 heures. Elle concerne les personnes exerçant des activités d’accueil ou d’information relatives à la vie relationnelle, affective, sexuelle. Elles peuvent ensuite assurer par exemple des activités dans des services sociaux et intervenir dans les établissements scolaires sur la vie relationnelle, affective et sexuelle. S’agissant de l’avenir de leur profession tous attendent des précisions. Le décret du 7 mars 2018 énonce expressément qu’« un arrêté des ministres chargés de la famille et de la santé précise le contenu et les conditions de délivrance de ces formations ». Espérons que l’arrêté qui doit réglementer la profession ne se fasse pas trop attendre.

Evars

La dénomination « Evars » est inscrite à l’article 5.3, de l’annexe 5 « Modèle-type de convention de financement », de l’instruction du 23 août 2018 relative à la réforme des EICCF : « L’établissement s’engage à se présenter au public principalement sous le nom d’“espace de vie affective, relationnelle et sexuelle”, par les moyens présentés en annexe 2.

L’annexe 2 de cette même instruction reprend in extenso les missions obligatoires des Evars et renvoie à l’article R. 2311-1 du code de la santé publique.

Evars et CPEF : quelle est la différence ?

Une même mission d’information et d’accompagnement de la sexualité mais des spécificités.

Les Evars (anciennement EICCF) : une orientation sociale

Ils insistent sur les aspects relationnels, affectifs et psychologiques. Ils sont dans l’écoute et l’accompagnement dans une approche préventive et informative. Il s’agit de structures associatives dont le financement ressort de l’Etat via ses services départementaux.

Les CPEF : une orientation sanitaire avec une compétence médicale

Ils assurent des consultations et des prescriptions contraceptives. Ils sont en charge de la pose de dispositifs contraceptifs, du dépistage et du traitement des maladies transmises par voie sexuelle et peuvent délivrer une contraception d’urgence (code de la santé publique (CSP), art. L. 2311-4 et 5). Depuis 2007, ils peuvent réaliser des IVG médicamenteuses (CSP, art. L. 2112-2). Il s’agit de structures publiques avec un financement décentralisé au niveau régional.

Interventions en milieu scolaire

« Je ne crois pas qu’il y ait une seule bonne raison pour refuser aux enfants les explications sexuelles qu’exige leur soif de savoir », déclare Sigmund Freud en 1907. 110 ans plus tard, les conseillers en Evars y répondent et réalisent des séances d’information auprès des enfants, des adolescents et des jeunes adultes tant en milieu scolaire qu’en établissements spécialisés ou encore en filières adaptées.

Au terme des dispositions de l’article L. 312-16 du code de l’éducation, « une information et une éducation à la sexualité sont dispensées dans les écoles, les collèges et les lycées à raison d’au moins trois séances annuelles et par groupes d’âge homogène ». Voilà pour la théorie, s’agissant de la pratique, de fortes disparités existent. Tous les lieux d’apprentissage scolaires sont visés.

Christine Fenot, conseillère conjugale et familiale au sein du Planning de Moselle, anime des réunions sur le thème de la vie sexuelle au sein des sections d’enseignement général et professionnel adapté (Segpa). « Pour un public en situation de difficultés notamment scolaires mais aussi souvent sociales, il existe des problématiques spécifiques liées à la sexualité. Mon rôle est avant tout de proposer une éducation à la vie sexuelle adaptée au développement psychosexuel de ce public. Mais l’information est la même, j’adapte simplement mes supports et mes exemples. L’enjeu en section spécialisée est la confiance. Je vais axer mon travail tant sur l’information que sur les approches affectives de la sexualité. La sexualité humaine est pour tous liée aux sentiments, aux valeurs, aux émotions et participe à notre construction. Elle se fonde sur des représentations sociales. Face à des adolescents en difficultés majeures, issus de milieux sociaux très souvent défavorisés, les enseignants sont confrontés à ces questions sans pouvoir y répondre. Notre rôle est de repositionner les choses dans le contexte d’une société hypersexualisée et de préparer ces jeunes à leur future vie d’adulte en les sensibilisant du mieux possible. »

Penchons-nous sur la notion d’emprise mentale

Elle se retrouve dans le code pénal via les dispositions de l’article 223-15-2 alinéa 1 qui posent le principe de l’infraction d’abus de faiblesse ainsi que sa répression. La personne sous emprise mentale est « une personne en état de sujétion psychologique ou physique résultant de l’exercice de pressions graves ou réitérées ou de techniques propres à altérer son jugement […] ». Plus généralement, l’emprise mentale se définit comme l’exploitation et la manipulation d’une personne pour parvenir à ses fins.

Lexique

Anceff : Association nationale des conseillers conjugaux et familiaux.

CCF : Conseiller conjugal et familial.

CPEF : Centre de planification ou d’éducation familiale.

CSP : Code de la santé publique.

EICCF : Etablissement d’information, de consultation ou de conseil familial.

Evars : Espace vie affective, relationnelle et sexuelle.

Igas : Inspection générale des affaires sociales.

IST : Infection sexuellement transmissible.

IVG : Interruption volontaire de grossesse.

MFPF : Mouvement français pour le Planning familial.

PMI : Protection maternelle et infantile.

Notes

(1) Inspection générale des affaires sociales (Igas) – Rap. n° RM2011-088P – Juin 2011.

(2) Décret n° 2018-169 du 7 mars 2018 relatif aux conditions de fonctionnement des EICCF et instruction n° DGCS/ SD2C/SDFE/2018/202 du 23 août 2018 relative à la réforme des EICCF.

(3) Et abrogeant les articles L. 648 et L. 649 du code de la santé publique.

(1) Réponse du secrétariat d’Etat auprès du Premier ministre, chargé de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations à la question écrite n° 08440 – J.O. Sén. du 30-05-19, p. 2871.

(1) Fédération nationale couples et familles, Association française des centres de consultation conjugale, Institut des sciences et de la famille, Fédération nationale école des parents et des éducateurs, Mouvement français du Planning familial, Association CLER Amour et famille, Association nationale des centres d’interruption de grossesse et de contraception, Centre national d’information sur les droits des femmes et des familles.

(2) Arrêté du 3 décembre 2010, NOR : SCSA1029743A, J.O. du 10-12-10.

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