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“Beaucoup d’immigrés sont analphabètes”

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En France depuis cinq ans, le jeune Guinéen Ousmane Bah a créé Solodou, une méthode d’apprentissage gratuite du français destinée aux réfugiés et aux immigrés qui ne savent ni lire ni écrire. Soutenu par la caisse d’allocations familiales de Loire-Atlantique, son projet vient d’être testé.

Ousmane Bah est réfugié politique. Arrivé en France en janvier 2014 après avoir traversé neuf pays et la méditerranée, il n’aime pas trop s’attarder sur les raisons qui l’ont conduit à quitter son pays, la Guinée. « Je commence une nouvelle vie », lâche-t-il. Pour preuve, à 36 ans, l’ex-instituteur vient de créer une méthode d’apprentissage du français pour faciliter l’intégration des primo-arrivants et des immigrés. Elle s’appelle Solodou : solo pour « seul » et dou (« do » en anglais) pour « faire ». L’idée lui est venue de son expérience personnelle. Il y a cinq ans, quand il a débarqué à Paris, Ousmane Bah ne connaissait personne : « Il faisait froid, c’était l’hiver. Je sillonnais les rues et je dormais un peu partout, dans le métro, dehors. Je prenais les bus Noctilien, je m’asseyais à l’arrière et je voyageais toute la nuit en Ile-de-France. » Sans ressources, il vit sans toit pendant plusieurs mois, jusqu’au jour où il rencontre une personne qui l’informe de l’existence de foyers pour travailleurs migrants où il trouvera sûrement quelqu’un de sa communauté pour l’héberger. Le jeune Guinéen cherche. Au bout d’un mois, il tombe sur un gardien dans un foyer du XIXe arrondissement qui lui présente une famille guinéenne. Celle-ci accepte de le loger. Le mari est agent de ménage dans une entreprise et sa femme garde des enfants à domicile. Ousmane Bah remarque immédiatement que le couple ne parle pas bien le français, alors qu’il habite Paris depuis longtemps : « J’ai été surpris et, en creusant la question, j’ai su qu’ils n’avaient jamais été à l’école dans leur pays. Et, une fois ici, ils ont été pris dans les démarches administratives puis dans la routine du métro-boulot-dodo. Comme eux, beaucoup d’immigrés sont analphabètes. Or, quand on réside dans un pays, il faut parler correctement sa langue. »

Lui maîtrise parfaitement le français. « J’ai pensé que je pouvais faire quelque chose pour eux en attendant de savoir si j’allais pouvoir rester en France ou non », précise-t-il. Son défi ? Donner une seconde chance aux personnes qui ne savent ni lire ni écrire, à commencer par les étrangers. Pour les toucher, il estime que les cours doivent venir à eux plutôt que le contraire car ils n’ont pas forcément le temps et l’envie d’aller dans les dispositifs d’alphabétisation. Ousmane Bah commence alors à réfléchir à son propre mode d’enseignement : « Les manuels existants sont trop compliqués. Du coup, les gens se découragent et laissent tomber. » Il n’invente rien mais combine les trois méthodes syllabique, globale et semi-globale, avant de rédiger son premier manuel, plus facile d’accès. La famille qui l’accueille va lui servir de cobaye, puis leurs voisins et enfin presque tous les locataires de l’immeuble. « Grâce au bouche-à-oreille, tout le monde voulait apprendre », s’étonne-t-il encore. Durant quatre mois, le trentenaire se rend chez les uns et chez les autres pour leur enseigner l’alphabet, les voyelles, les syllabes, les mots… L’histoire prend fin quand sa demande d’asile est acceptée. Pris en charge par France terre d’asile, il doit déménager en banlieue, dans le Val-de-Marne, ce qui rend difficile les allers-retours quotidiens dans le XIXe arrondissement. Ousmane Bah veut aussi se concentrer sur sa situation personnelle. Mais beaucoup de ses élèves le relancent. Pour qu’ils continuent à apprendre hors de sa présence, en plus du format papier, il va développer une plateforme numérique disponible gratuitement sur Internet, via un ordinateur ou un smartphone.

En toute autonomie

Le principe est simple : l’élève étudie la langue en regardant des images et des vidéos, en écoutant la sonorité des mots sur son téléphone portable ou son ordinateur. Ensuite, il le ferme, ouvre les manuels « Solodou » et essaie de lire et d’écrire ce qu’il a appris. S’il bloque, il rouvre son application en deux clics pour revoir le mot une fois, deux fois ou dix. « L’avantage, c’est que la personne peut apprendre toute seule en toute autonomie et à l’abri du regard des autres. Parfois, dans les cours d’alphabétisation, elle a honte quand elle se trompe et n’ose pas faire répéter l’enseignant ou demander des explications. Là, elle peut regarder la vidéo autant de fois qu’elle veut, elle ne sera pas jugée », pointe Ousmane Bah. Autre atout : l’apprenant peut se servir de l’« appli » partout, dans le métro, le bus, à la pause déjeuner au travail, dans un square, un café… Pour l’heure, le projet est soutenu par la caisse d’allocations familiales (CAF) de Loire-Atlantique, qui a aidé le jeune entrepreneur à produire 200 kits comprenant un guide de lecture, un guide d’écriture, un crayon de papier, une gomme et une trousse, qu’elle a distribués à des primo-arrivants bénéficiaires de ses services. Une chance incroyable pour Ousmane Bah qui, pour le moment, vit du revenu de solidarité active. « La CAF est intéressée par ma démarche car elle veut que ses allocataires réfugiés puissent, notamment, utiliser ses services en ligne », explique-t-il.

Pour évaluer Solodou, la caisse de Loire-Atlantique a testé le programme pendant six mois auprès de 28 participants. Terminée en juin dernier, l’expérimentation s’avère positive : tous les participants ont fait des progrès, lisent et écrivent, font des dictées… Le seul inconvénient est que les migrants habitués à des cours d’alphabétisation déclarent être plus motivés quand les exercices se font en groupe. Un écueil que le réfugié guinéen avait anticipé. Une campagne de crowdfunding (financement participatif) lui a permis de collecter 20 000 €… De quoi concevoir 200 jeux, accessibles bientôt, avec lesquels les « apprenants » pourront s’instruire en s’amusant, seul ou en réseau. Aujourd’hui, Ousmane Bah a besoin de moyens financiers pour finaliser sa petite entreprise et révolutionner l’alphabétisation. La Fondation BTP Plus (sous l’égide de la Fondation de France), qui subventionne des actions sociales, est prête à lui octroyer 50 000 € pour financer les 11 programmes d’apprentissage qu’il souhaite développer. En attendant, il va tenter de présenter Solodou à une cinquantaine de structures d’alphabétisation en France, mais également en Belgique et au Luxembourg. Un courrier a été envoyé par l’intermédiaire de la CAF au délégué interministériel chargé de l’accueil et de l’intégration des réfugiés afin d’envisager que Solodou soit officiellement validé et associé aux formations prescrites dans le cadre du contrat d’intégration républicaine que tout réfugié doit respecter en arrivant sur le sol français. « Je veux améliorer la vie des migrants, confie Ousmane Bah, mais je veux aussi lutter contre l’illettrisme dans le monde. » A suivre.

Solodou est une méthode d’apprentissage

mise au point par Ousmane Bah, réfugié guinéen, afin d’aider les migrants à lire et à écrire le français en neuf mois. Elle s’appuie, à la fois, sur des supports papier et numérique (https://solodou.com).

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