Ces 12es Assises nationales de la protection de l’enfance ont été marquées en ouverture, certes, par le discours d’Adrien Taquet mais également par la présence d’une centaine de manifestants – tous professionnels de la protection de l’enfance. Ces derniers ont fait entendre leur voix, à défaut d’être reçus par le secrétaire d’Etat chargé de la protection de l’enfance. C’est donc sous des slogans tels que « plus de moyens pour la protection de l’enfance ! », « le social n’est pas à vendre ! » qu’Adrien Taquet a fait le tour des stands de ces assises.
C’est néanmoins devant une assistance plus calme et moins militante que le secrétaire d’Etat a introduit ces 12es Assises nationales de la protection de l’enfance, organisées par l’Action sociale, en collaboration avec l’Observatoire national de l’action sociale (Odas).
Devant 2 000 congressistes, Adrien Taquet a tenu tout d’abord à témoigner de sa reconnaissance : « Votre travail est aujourd’hui parfois malmené par des injonctions contradictoires et des discours qui vous heurtent. […] Les travailleurs sociaux ne se sentent pas souvent soutenus et compris. » Une entrée en matière plus que consensuelle avant de présenter les orientations de son futur « pacte pour l’enfance », qui sera finalement présenté à l’automne prochain, et non ce mois-ci comme cela avait été préalablement annoncé.
Son plan d’action aura pour objectif de « faire des enfants protégés des enfants comme les autres ». Adrien Taquet propose ainsi une charte des droits des enfants protégés afin que les intéressés connaissent mieux leurs droits. Concernant l’accès à la santé, la décision est prise d’étendre dès 2020 l’expérimentation du parcours de soins coordonnés créant une consultation complexe tarifée à 46 € pour les médecins qui réaliseront les bilans de santé des enfants de l’aide sociale à l’enfance (ASE). Alors que le handicap touche 20 à 25 % des enfants protégés, Adrien Taquet, sans rien préciser, a dit soutenir un plan de développement et de création d’équipes mobiles et de services adaptés aux problématiques croisées ASE/soins/handicap ou encore le fait que la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie fixe dans les objectifs des maisons départementales des personnes handicapées un suivi particulier des enfants de l’ASE.
Etre un enfant comme les autres implique aussi de pouvoir choisir son parcours scolaire. Un travail est ainsi en cours avec le ministre de l’Education nationale, sur de possibles places réservées en internats scolaires, la mobilisation des outils numériques d’enseignement à distance ou encore sur le fait que des enseignants puissent intervenir auprès des enfants protégés en rupture. Là aussi rien n’est acté, il s’agit seulement d’une réflexion. Avec Nicole Belloubet, ministre de la Justice, un travail a également été abordé sur la co-saisine de deux juges des enfants pour les décisions les plus complexes et lourdes de conséquences.
Adrien Taquet s’est dit également favorable à une clarification des conditions de délégation de l’autorité parentale et à la distinction entre actes usuels et non usuels. Un point important pour le quotidien des enfants alors qu’il est aujourd’hui impossible d’improviser une sortie scolaire ou une soirée chez des copains, l’accord parental étant obligatoire. Concernant le droit à leur histoire, revendiqué par de nombreux anciens de l’ASE, un album de vie réunissant des souvenirs et des photos va certainement être mis en place.
Moins consensuel, Adrien Taquet a également abordé la question de l’évaluation des services et établissements, protestant que « parler de performance dans le social n’est pas un gros mot ». La Haute Autorité de santé (HAS) travaille ainsi sur la création de référentiels pour l’évaluation interne et externe des établissements et celui de la mesure de satisfaction des usagers, c’est-à-dire des enfants.
Le secrétaire d’Etat a ainsi énuméré des orientations, souvent des pistes de réflexion qui sont encore en cours, sans jamais aborder le volet financier de ce plan, alors que tous les acteurs du secteur savent bien que cet aspect est le nerf de la guerre.
Mais les professionnels et les anciens enfants placés attendent autre chose. Une enquête réalisée par l’Action sociale et l’Odas au printemps dernier révèle que 70 % des professionnels ont besoin de plus de repères. Pour eux, ce besoin pose la question du sens de leur mission.
Pour Jean-Marie Vauchiez, président de l’Organisation nationale des éducateurs spécialisés (Ones), les associations qui portent le travail social depuis la guerre sont devenues des opérateurs de politique publique : « Un changement de paradigme qui se traduit par un immense flou qui amène à une logique comptable pure qui vient prendre la place du sens. » Le système est ainsi au cœur des dysfonctionnements, une vision partagée d’une certaine façon par Sophie Bouttier-Véron, membre de l’Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille (Afmjf) qui explique que la perte de sens n’échappe pas aux juges des enfants : « Nos jeunes collègues se demandent à quoi bon chercher des solutions pour mettre plus d’audience dans la journée, finir plus tard, si au final les mesures ne sont pas mises en œuvre. » Elle fait aussi le constat du décalage entre les textes et la réalité du terrain qui fait que les juges ne peuvent pas les appliquer faute de temps. Sophie Bouttier-Véron concède que, malheureusement, aujourd’hui, son repère c’est sa pendule alors que les dossiers s’amoncellent sur son bureau.
Lors de ces assises, les anciens enfants de l’ASE ont eu leur place et auront eu le mérite de rappeler le sens du travail des professionnels. Stéphanie a 31 ans aujourd’hui, elle a été placée de 3 mois à 19 ans dont 18 ans dans une famille d’accueil. Pour elle, comme pour de nombreux enfants, le repère essentiel est affectif et induit tous les autres. Elle raconte qu’elle a compris assez vite que ses parents biologiques atteints de lourdes maladies psychiques ne pourraient jamais s’occuper d’elle : « Protéger les enfants, ce n’est pas seulement les éloigner d’un danger temporaire mais c’est créer d’autres repères car l’enfant ne peut pas se construire sans. Et d’ajouter : En tant qu’enfant placé, on peut avoir l’impression que les adultes ne prennent pas en compte nos repères et nos besoins. Pour ma part, je ne remettais pas en question le statut de ma mère mais j’avais besoin que les professionnels intègrent qu’elle n’était pas un repère pour moi alors que ma famille d’accueil, oui. »
L’écoute de la parole de l’enfant semble être au programme du futur « pacte pour l’enfance », une attention que tous les enfants placés souhaitent. Comme les professionnels, ils seront attentifs à ce qu’Adrien Taquet va annoncer à l’automne.