A l’occasion de la restitution des travaux des cinq chantiers nationaux de la 5e Conférence nationale du handicap (CNH), le 10 juillet, les co-rapporteures Edith Christophe, directrice de l’autonomie de l’agence régionale de santé (ARS) Grand Est, et Marine Dupont-Coppin, responsable de la cellule « affaires internationales » de l’ARS des Hauts-de-France, ont présenté les principales propositions issues des travaux engagés de décembre 2018 à mai 2019 et consacrés à la problématique du départ de personnes handicapées en Belgique et à celle du retour des personnes déjà prises en charge dans des établissements wallons. L’accueil, en Wallonie, de personnes handicapées françaises fait l’objet d’un accord-cadre, conclu le 22 décembre 2011, entre la France et la Wallonie et entré en vigueur le 1er mars 2014. « Il permet l’échange d’informations administratives sur les personnes accueillies, le contrôle des établissements d’accueil et la possibilité de passer des conventions avec ces établissements », a rappelé Marine Dupont-Coppin.
Un plan de prévention des départs non souhaités est en vigueur depuis la publication d’une instruction ministérielle le 22 janvier 2016. Concernant les enfants handicapés, la régulation des départs a porté ses fruits et 25 établissements wallons sont conventionnés pour accueillir jusqu’à 1 500 enfants. En revanche, pour les adultes handicapés, les départs, faute de solutions d’accueil et d’accompagnement en France, sont en progression constante. Il y avait 4 502 adultes handicapés accueillis en Wallonie en 2013 contre 6 109 fin 2017, ce qui représente une moyenne de 350 départs par an. 32 % d’entre eux sont originaires des Hauts-de-France, 42 % de l’Ile-de-France, et pour 13 % de la région Grand-Est. 48 % des adultes font l’objet d’une orientation MDPH (maison départementale des personnes handicapées) en foyer de vie, 32 % en maison d’accueil spécialisée (MAS), 19 % en foyer d’accueil médicalisé (FAM) et 1 % en établissement et service d’aide par le travail (Esat).
« Ces départs sont essentiellement liés à l’absence de réponses adaptées en France, au manque de places en MAS, FAM et en internat, à un refus de prise en charge en France, à l’existence de filières de soins entre des établissements français, notamment psychiatriques, et wallons, à l’épuisement des aidants qui sont à la recherche d’une réponse institutionnelle mais également à l’attractivité de certains établissements wallons du fait de leur polyvalence, de leurs savoir-faire, de leur amplitude d’ouverture de 365 jours par an et de l’existence de l’enseignement spécialisé pour les jeunes. Les personnes sans attaches familiales sont particulièrement concernées par les départs en Belgique notamment les jeunes qui relèvent de l’aide sociale à l’enfance », a expliqué Marine Dupont-Coppin.
La prise en charge des 7 600 personnes françaises en situation de handicap accueillies en Belgique représente un coût financier global de 513 millions d’euros. « 73 millions d’euros pour le secteur “enfants”, 180 millions pour le secteur “adultes” sous compétence de l’Etat, 250 millions pour le secteur “adultes” sous compétence des conseils départementaux », a détaillé Edith Christophe.
A l’instar du rapport de l’inspection générale des affaires sociales (Igas) en 2016, le groupe de travail a conclu à la nécessité de mettre en place une politique commune Etat/conseils départementaux pour conventionner ce secteur « adultes ». Afin d’instaurer « une régulation quantitative et qualitative », à l’instar de ce qui a été réalisé sur le champ des enfants. Les deux co-rapporteures ont pointé du doigt l’inégalité de la qualité de la prise en charge dans les établissements wallons. « Il y a des établissements de grande qualité, notamment les établissements dits “historiques”. En revanche, ceux qui ouvrent aujourd’hui, en six mois, dans des conditions limites ne présentent pas forcément les mêmes garanties », a déploré Edith Christophe. Actuellement, 190 établissements wallons accueillent presque exclusivement les 6 109 adultes français qui sont en Belgique. Pour pouvoir conventionner, le groupe de travail propose que soit défini le nombre d’établissements et de places sur un modèle identique à celui mis en œuvre en 2015 sur le secteur « enfants ».
« Cette proposition a soulevé des inquiétudes de la part des conseils départementaux, des MDPH et des représentants des usagers, qui craignent que cette limitation prive les territoires de solutions par défaut. C’est pourquoi il est proposé en complément de reverser aux trois ARS principalement concernées [Ile-de-France, Hauts-de-France et Grand Est] les crédits qui correspondent aux départs évités ou qui peuvent être évités afin de pouvoir développer des réponses de proximité en France », a assuré Edith Christophe. L’enveloppe nécessaire pour renforcer l’offre en France a été estimée à environ 21 millions d’euros par an, sur une période de trois ans. Les co-rapporteures recommandent également de poursuivre le développement de solutions alternatives en France dans le cadre de la politique de transformation de l’offre médico-sociale « pour aller vers des réponses plus inclusives ». Trois axes ont été particulièrement privilégiés : la généralisation des pôles de compétences et de prestations externalisées (PCPE) qui permettent d’éviter les ruptures de parcours, le développement de solutions de répit pour les aidants et de nouvelles solutions d’habitat inclusif. « Nous souhaitons étendre les initiatives qui commencent à voir le jour dans certains départements pour faciliter les retours en France. Une expérimentation est menée depuis septembre 2018 en Meurthe-et-Moselle qui se fonde sur le volontariat des familles qui s’engagent par écrit sur le principe qu’elles souhaitent que l’on travaille avec elles sur une solution de retour en France. Nous sommes pour l’instant à deux retours effectifs. Les choses se font dans le cadre d’un accompagnement important », a cité, à titre d’exemple, Edith Christophe.
Après avoir présenté leurs pistes d’action qui figureront en détail dans leur rapport qui sera publié d’ici 15 jours, Edith Christophe et Marine Dupont-Coppin ont listé les travaux à poursuivre. Les adultes handicapés accueillis en Belgique relèvent du Centre national des soins à l’étranger. Les co-rapporteures préconisent de négocier dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2020 le transfert de ces crédits de l’assurance maladie vers la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie pour avoir la même organisation que sur le champ « enfants ».
Par ailleurs, la mise en œuvre du conventionnement de 200 établissements wallons devra se faire « de manière progressive », sur trois ans. « 58 en 2020 en commençant par les établissements qui accueillent majoritairement les personnes avec une orientation MAS, 55 établissements en 2021 et 77 en 2022 », a précisé Edith Christophe. Et de poursuivre : « L’idée est d’associer les conseils départementaux sur la base du volontariat à compter de 2020. Par ailleurs, des échanges avec les autorités wallonnes dans le cadre de la commission mixte à réunir d’ici la fin 2019 seront nécessaires. Nous n’avons pas eu le temps de travailler sur l’élaboration d’une convention de partenariat avec l’ARS Hauts-de-France et les conseils départementaux volontaires en s’appuyant sur l’article 63 de la LFSS 2018 qui permettrait à l’ARS de tarifer l’intégralité des prises en charge MAS, FAM, foyers de vie sur la base d’un système d’avance de fonds et ensuite de remboursement par les conseils départementaux. »
Dans son discours de clôture, Sophie Cluzel, secrétaire d’Etat auprès des personnes handicapées, a qualifié ces départs contraints en Belgique de « situation scandaleuse qui concerne tout autant l’Etat que les départements ». « Nous avons réussi à établir le conventionnement pour les enfants, il est temps de le faire pour les adultes », a-t-elle poursuivi. « Je veux que nous engagions ce conventionnement qui va à la fois permettre la régulation de cet exil et garantir la qualité attendue dans l’accompagnement des personnes qui souhaitent y rester. Les sommes mobilisées pour le financement de l’offre belge doivent être mobilisées sur nos territoires. Nous ne devons plus admettre la séparation des familles comme une fatalité. Les personnes handicapées doivent pouvoir vivre et bien vieillir auprès de leurs proches. C’est un enjeu colossal de co-responsabilité. »
Marie-Christine Tezenas du Montcel, secrétaire générale du Groupe polyhandicap France a rappelé que 437 adultes polyhandicapés étaient partis en Belgique faute de solutions. « Les personnes sont dans leur famille, dans des situations humainement tragiques. Nous avons immédiatement besoin de places en établissement. » Même constat pour l’Union nationale de familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques (Unafam) : « La stratégie quinquennale d’évolution de l’offre médico-sociale de 2016 avait bien ciblé deux volets spécifiques : un volet polyhandicap et un volet handicap psychique », a rappelé sa vice-présidente, Roselyne Touroude. Et celle-ci de déplorer : « Il a une carence de réponses et de trop nombreuses personnes sont sans solutions, voire abandonnées. »