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Mieux les identifier pour les rendre visibles

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Le premier colloque organisé en France sur les jeunes aidants s’est tenu à Paris le 24 juin dernier afin d’alerter les professionnels et les pouvoirs publics sur cette population invisible mais pourtant nombreuse. Certains jeunes vont bien, d’autres ont besoin d’être soutenu pour que leur rôle d’aidant n’envahisse pas leur quotidien. Une priorité qui, selon l’association Jade, exige de mieux les repérer.

Faire les courses, donner des médicaments, surveiller… Quand un parent est en situation de handicap, de perte d’autonomie, d’addiction, de maladie chronique ou psychique, les enfants sont parfois obligés de l’aider, passant subitement de l’insouciance à l’inquiétude. Mais qui sont-ils ? Que font-ils ? Quelles sont leurs difficultés et leurs forces ? Pour mieux les connaître, l’association nationale des Jeunes aidants ensemble (Jade) et le Laboratoire de psychopathologie et processus de santé de l’université Paris-Descartes ont organisé, le 24 juin dernier à Paris, le premier colloque sur ce thème(1).

En fait, tous les aidants n’ont pas le profil type annoncé, à savoir une femme âgée en moyenne de 50 ans. « La proposition de loi qui vise à favoriser la reconnaissance des aidants familiaux a été adoptée en mai. C’est une bonne nouvelle, souligne Françoise Ellien, psychologue, cofondatrice et présidente de Jade. Il semble néanmoins important de rappeler l’existence de centaines de milliers de jeunes en situation d’aidance. Ils sont dans les salles de classe et à chaque coin de rue. Ils font partie des 11 millions d’aidants recensés en France, sans qu’on ne leur reconnaisse de place ni de droits. »

Comparativement au Royaume-Uni, qui a introduit cette notion pour la première fois dans son recensement de 2001, ou encore à la Suisse, qui a proposé en 2014 une stratégie pour les aidants familiaux de plus de 16 ans, la France est en retard. Pourtant, les jeunes aidants existent bel et bien dans notre pays comme ailleurs. Ils sont nombreux mais on ne les voit pas, tant ce qu’ils font est considéré naturel, y compris par eux-mêmes. « Nous, les jeunes aidants, on a tendance à se fondre dans la masse, l’air de rien. Vous ne voyez aucune différence avec les autres et, pourtant, nous sommes différents. Nous avons des responsabilités que tout le monde n’a pas », déclare Mariama, 17 ans, dont la mère souffre de polyarthrite. En 2008, une enquête de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Dress) en comptabilisait 2,6 % chez les moins de 18 ans. Un chiffre largement sous-évalué, puisqu’on estime aujourd’hui à environ 500 000 le nombre de jeunes en situation d’aidance dans l’Hexagone. Selon une enquête Ipsos-Novartis de 2017(2), parmi eux, 40 % ont moins de 20 ans et 13 % ont entre 13 et 16 ans. Et c’est sans compter les plus petits : dans 18 % des cas, ils ont commencé à s’occuper d’un proche à partir de 6 ans. Rien d’étonnant, pour le professeur Saul Becker, de l’université du Sussex, spécialiste du sujet depuis 1992 : « Il y a des enfants qui commencent juste à leur entrée à l’école primaire. En 2011, date du dernier dénombrement au Royaume-Uni, 10 000 enfants de 5 à 7 ans étaient identifiés comme jeunes aidants et 1 600 épaulaient leurs proches plus de 50 heures par mois, soit plus d’une heure et demie par jour. Ils sont toujours sur le qui-vive et plus ils grandissent plus ils en font. »

Un travail d’adulte

Les études indiquent que les jeunes aidants – en majorité des filles – aident principalement leurs parents (la mère, le plus souvent), mais aussi leurs frères et sœurs ou leurs grands-parents. Il n’est pas rare non plus que certains soutiennent plusieurs personnes. Ainsi, Martin, 17 ans, dont le père est en situation de handicap à la suite d’un accident : « On vit tous au rythme de mon père. Je l’aide tant que je peux, indirectement, c’est ma mère que je soutiens. Elle ne fait jamais rien pour elle, mon père occupe tout son temps. Si elle s’écroule, c’est catastrophique… Je suis un peu l’aidant de l’aidante. » Ils leur apportent un soutien moral, un réconfort, une écoute, les assistent au quotidien dans la gestion des tâches domestiques (courses, ménage, lessive, gestion de l’argent…) et dans les soins médicaux (suivi du traitement, préparation du pilulier, piqûres…), les accompagnent chez le médecin, à la pharmacie… Environ 20 % sont contraints de s’occuper de leur intimité (douche, habillement, toilette…). « Ils accomplissent des tâches qui devraient être l’apanage des adultes. De qui est-ce la responsabilité : de la famille ou de la société ? interroge Saul Baker. En tout cas, il faut s’en occuper, les aider à grandir, les protéger afin qu’ils puissent s’épanouir et avoir du plaisir. » D’autant que l’aide peut durer longtemps, plus de dix ans parfois, et qu’elle ne s’arrête pas d’un coup à la majorité. Selon Saul Baker, « il faut s’intéresser aussi aux jeunes adultes aidants car, à partir de 18 ans, on commence à avoir envie d’être autonome, de faire des études supérieures, de se marier… » En Angleterre, où 800 000 jeunes aidants sont dénombrés, les young carers de moins de 18 ans sont distingués des young adult carers de 18 à 24 ans. En France, aucun seuil d’âge n’étant fixé, les aidants mineurs sont exclus des dispositifs et le congé de proche aidant destiné aux salariés est inadapté aux jeunes majeurs aidants qui poursuivent leurs études.

Une souffrance pour certains

Cette situation n’est pas sans conséquences. L’enquête Ipsos-Novartis montre que, pour 21 % des jeunes, l’aidance est un « fardeau » modéré à lourd, que 67 % déclarent avoir des douleurs, 57 % ont du mal à se concentrer et 23 % ont un retard scolaire. L’étude Adocare, réalisée auprès de 1 448 lycéens dans huit lycées des régions Ile-de-France et Occitanie, a comparé des adolescents aidants à d’autres non confrontés à la maladie ou au handicap d’un proche. Elle relève que les premiers ont moins d’amis que les seconds, qu’ils ont plus souvent déjà redoublé une fois, qu’ils souffrent davantage de maladies comme l’asthme ou le diabète, qu’ils sont en moins bonnes conditions de vie financières et davantage exposés à des troubles du sommeil et de l’anxiété. « Ce sont des facteurs de risque, des signaux d’alerte. Certains vont très bien, d’autres peuvent être en souffrance », prévient Eléonore Jarrige, la psychologue qui a mené l’enquête. Certes, tout n’est pas noir. L’accompagnement d’un proche a aussi des retentissements positifs : le sens des responsabilités, la maturité, le sentiment d’utilité, la fierté, la résilience… Malgré tout, 41 % des jeunes aidants ne parlent de leur situation à personne, ni à leurs copains, qu’ils n’osent pas inviter chez eux par honte, ni à leurs enseignants, estimant que ça ne les regarde pas.

A l’association Jade, le temps est venu de braquer les projecteurs sur cette face cachée de l’aide, en sensibilisant les professionnels de l’éducation, de la santé et les travailleurs sociaux afin d’essayer d’identifier les jeunes aidants. Sous son impulsion, un travail d’enquête a déjà commencé dans des écoles primaires, des collèges et des lycées, qui indique que 88 % des enseignants, des chefs d’établissement et des professionnels du médico-social n’ont jamais entendu parler de l’expression « jeune aidant ». Ceux qui connaissent le mieux les jeunes concernés sont les infirmières scolaires et les conseillers pédagogiques.

Il arrive parfois qu’un aménagement des cours soit proposé ou qu’une assistante sociale cherche une solution extérieure pour aider le parent dépendant. Une situation délicate qui exige d’approcher la famille sans la bousculer. Car jeunes aidants et proches aidés partagent une même peur : être séparés les uns des autres. « La famille et les jeunes gardent le silence car la menace d’un placement plane, explique Saul Baker. Au Royaume-Uni, après les agressions sexuelles, le handicap d’un parent est le deuxième motif de retrait des enfants par les services de la protection de l’enfance. » Autrement formulé par une mère : « La maladie est déjà dure, si en plus on nous enlève nos enfants. »

Pour Amarantha Bourgeois, directrice de projet de Jade, « les enfants ne sont pas dans la plainte, ils ont avant tout besoin d’être écoutés ». A cet effet, l’association à mis en place des séjours « cinéma-répit » (voir encadré ci-dessous). A Genève, en Suisse, Biceps est un lieu de soutien psychologique par le biais d’entretiens ou de jeux de rôle qui reçoit gratuitement des jeunes de 7 à 25 ans dont les parents souffrent de troubles psychologiques. Ils y viennent quand ils veulent, le temps qu’ils veulent, et leurs parents peuvent aussi être accueillis. « L’objectif est de les aider à prendre leur place d’enfants, ce qu’ils ne s’autorisent pas, explique Julie Bordet, psychologue à Biceps. Ils se culpabilisent à l’idée de quitter le domicile familial un jour, certains croient même que c’est de leur faute si leur parent est malade. »

Le besoin d’être écouté

A Bruxelles, en Belgique, les jeunes aidants ont également la possibilité de disposer d’un moment de pause, d’un cocon au service des jeunes aidants proches. L’espace ressemble à une maison, avec un salon, une cuisine, un bureau… « Le cadre est rassurant. Les jeunes y viennent pour paresser, s’éloigner un peu de la famille, se vider la tête, étudier plus tranquillement que chez eux, dormir car il arrive qu’ils soient obligés d’aller à l’infirmerie scolaire pour se reposer », raconte Julie Dupont, psychologue. Il y a aussi des chats, des chiens, des lapins, avec lesquels ils peuvent s’amuser et qu’ils peuvent câliner dans un moment de tristesse. Le lieu propose aussi des massages, de la relaxation, l’entretien d’un potager…

A la mi-juillet, un programme de mobilisation pour les aidants familliaux (dont la journée nationale se tiendra le 6 octobre prochain) devrait être annoncé par Emmanuel Macron. Un volet concernera les jeunes aidants. Mais attention, prévient Laure Grisinger, ex-jeune aidante (voir témoignage ci-contre) : « Sous couvert d’une reconnaissance nécessaire à l’octroi de droits, il faut rester vigilant et ne pas enfermer le jeune aidant dans un statut qui lui colle une étiquette à un âge où il est en quête d’identité. Chacun a un vécu particulier, aucune situation n’est identique et tout peut évoluer. Il ne faut donc rien systématiser au risque de lui rajouter des difficultés supplémentaires. » En un mot, le jeune aidant n’est pas un produit marketing.

Faire son cinéma

Pour que les jeunes aidants puissent souffler, se faire des copains et raconter ce qu’ils ont sur le cœur, l’association Jade a mis en place des ateliers « cinéma-répit »(1). Situés dans l’Essonne, ceux-ci accueillent des jeunes de 8 à 20 ans deux fois six jours, aux vacances d’automne et d’hiver. Chacun d’eux est guidé par des professionnels du cinéma et des animateurs pour réaliser un film (histoire ou documentaire, selon l’âge) qui parle de lui. Sur place, un psychologue intervient à la demande ou propose des petits groupes de parole informels. A l’issue du séjour, les films sont projetés dans un cinéma de Ris-Orangis (Essonne). Une initiative soutenue par plusieurs partenaires, et, notamment, la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA).

Notes

(1) « Les jeunes aidants, qu’en est-il de leur accompagnement et de la recherche ? »

(2) « Qui sont les jeunes aidants aujourd’hui en France ? »

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