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« Je ne savais plus où était ma place, j’ai endossé tous les rôles »

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Laure Grisinger a 31 ans. De 19 à 23 ans, elle a pris en charge sa mère atteinte d’un cancer et sa sœur cadette. Devenue dramaturge, elle participe aujourd’hui à des ateliers d’écriture pour les jeunes aidants(1) et à la réflexion pour les accompagner sans les stigmatiser.

« Pendant quatre ans, j’ai accompagné ma mère dans la maladie, j’avais 19 ans. J’ai pris soin d’elle, j’ai pris des décisions pour elle, pour moi, pour ma sœur. J’ai assumé des responsabilités. Cela m’a pris du temps, beaucoup de temps. J’ai appris, beaucoup, de façon soudaine, rapide. Devenir jeune aidante, c’est se retrouver tout à coup dans une situation “extra-ordinaire”. C’est vivre un grand moment de transformation, une série de mouvements désordonnés, intérieurs et extérieurs, souvent plus grands que soi. C’est être confronté au tabou qu’il y a dans la société sur la maladie, la mort, le handicap, la vulnérabilité… Ma vie a pris une tournure particulière et m’a demandé une grande capacité d’adaptation et d’imagination. Pour penser les jeunes aidants, il faut d’abord sortir des schémas et des réflexes habituels. Prendre référence sur ce qui est admis comme un fonctionnement familial ordinaire est non seulement vain mais dangereux. L’enjeu n’est pas de normaliser une situation qui, de toute façon, est anormale au risque de stigmatiser les jeunes aidants. Sous couvert de bienveillance, on peut, parfois, imposer des valeurs, des façons de vivre et de penser… Cette maman malade, c’est ma mère. M’en occuper, c’est pouvoir continuer à l’aimer. C’est aussi prendre part à ce qui arrive, être acteur et ne pas seulement subir. Ma jeune sœur, pour laquelle j’ai bouleversé mon quotidien de jeune aidante, n’a pas représenté un sacrifice mais une façon de résister, de trouver du sens et une continuité à ma vie. Cette situation a été ma réalité comme elle l’est pour d’autres jeunes aidants. Elle est là, elle existe et nous ne pouvons pas vivre sans. En revanche, nous cherchons comment vivre avec et, pour cela, on a besoin d’aide. »

« Personnellement, je crois que je me suis perdue dans cette immensité-là. J’ai manqué de contours. Je ne savais plus quelle était ma place, alors j’ai endossé tous les rôles et j’ai fini par disparaître. Etre jeune aidant, c’est tisser de nouveaux liens avec le parent malade car toute la configuration familiale bouge, les âges se redistribuent : l’enfant devient le parent. De nouvelles priorités et connaissances apparaissent, de nouveaux besoins aussi. Les jeunes aidants développent spontanément des stratégies créatrices incroyables. C’est de cette force dont il faut partir pour les accompagner, les soutenir et les protéger. Sinon, le risque est de s’enfermer dans ce qui nous détruit. Face à l’impuissance qui s’abat, il faut aider le jeune aidant à découvrir sa propre puissance, pour ne pas être écrasé, se décharger, donner du sens au non-sens, ne pas laisser les soucis et la peine envahir son propre temps, apprendre à pouvoir dire “stop, j’ai peur, j’ai mal”, afin de ne pas être qu’un monstre de résistance, pouvoir retrouver le sommeil, se consoler, respirer, envisager demain. Surtout, et c’est primordial, se projeter autrement que dans ce statut de jeune aidant. S’en libérer, en sortir. Lorsque la maladie frappe comme elle a frappé ma mère, pour le malade, c’est un grand combat qui débute et, pour l’aidant, c’est le début d’un véritable périple. Mais de cela, je n’ai pris conscience qu’après. Adolescent, on s’engage à corps perdu, sans limites. Comme si on était invincible jusqu’à ce qu’il n’y ait plus rien à faire, comme disent les médecins. Ou plutôt tout à faire : accepter de lâcher et aider ma mère à mourir sans mourir avec elle. La maladie, la conscience de la fragilité de l’être fait partie de mon éveil au monde et à moi-même. C’est en moi pour toujours. »

« Le massacre du printemps »

En 2017, Laure Grisinger a écrit et mis en scène avec Elsa Granat, une autre jeune aidante, une pièce de théâtre retraçant le parcours et la reconstruction d’une adolescente ayant soutenu sa mère malade. Elle sera jouée en off au Festival d’Avignon jusqu’au 24 juillet au théâtre du Train bleu. Puis elle sera présentée dans des collèges et des lycées à la rentrée afin de sensibiliser le milieu éducatif à cette problématique et d’aider les élèves concernés à en parler.

Notes

(1) Dans le cadre de l’association Jade.

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