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“Faire le pari que la relation, c’est déjà du soin”

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Educatrice spécialisée, Fabienne Diebold est cheffe de service du réseau Intermed Auvergne-Rhône-Alpes créé en 2008. Ses équipes pratiquent un « aller vers » tout en nuances à l’égard des personnes disposant d’un toit mais dont l’isolement extrême a fini par les soustraire au regard des institutions.
Quelles lacunes des structures médico-sociales le réseau Intermed cherche-t-il à combler ?

Nous nous inscrivons dans les interstices d’un système qui, ces quinze dernières années, a exigé des personnes en difficulté qu’elles répondent à des courriers, se rendent à des bureaux sociaux, utilisent la médecine de droit commun… Cela en a évidemment laissé de côté. C’est un système trop cloisonné, trop normatif, excluant les plus isolés, notamment dans leur habitat. La pratique d’« aller vers » – fondement même du travail social, voire médico-social – s’est délitée faute de moyens et parce qu’il a été affirmé que c’était à la personne d’être demandeuse. Nous touchons donc des gens perdus de vue par les institutions, y compris parce que leurs situations étaient considérées comme bloquées, trop complexes, épuisantes.

À quels types de souffrances ou de pathologies faites-vous face ?

L’isolement à domicile entraîne des problématiques de santé très complexes, des troubles du comportement et psychosociaux, des pathologies du lien… Cela peut aller jusqu’à un syndrome d’auto-exclusion. C’est un phénomène paradoxal : cela protège la personne tout en la coupant complètement du monde. Elle n’est donc plus en capacité d’être demandeuse. Quelquefois, ces problématiques sont cumulées avec des addictions. Nous rencontrons aussi des personnes âgées avec des débuts de démence non repérée ou en rupture de soins psychiatriques.

Quelle méthode déployez-vous pour intervenir auprès de ces personnes ?

Tout part de signalements d’intervenantes sociales, des bailleurs, du voisinage, de travailleurs sociaux ou de soignants en hôpital. A partir de là, nous sommes dans une démarche d’« aller vers ». Nous tentons de rencontrer la personne dans son environnement. Cela peut être dans son logement, en bas d’immeuble, sur un banc, au café du coin… Oser la rencontre est notre postulat de départ. Nous faisons le pari que la relation, c’est déjà du soin. Nous pouvons rester très longtemps devant une porte fermée, communiquer au début par petits mots ou par textos : il y a des gens qui préfèrent cela. Nous utilisons tous les supports possibles. Nous faisons le premier pas ; après, la personne nous guide.

Dans quelle mesure cela vous oblige-t-il à revoir vos postures professionnelles ?

Nos équipes d’infirmiers et la psychologue clinicienne prennent une position de « soignant citoyen », à l’égal de la personne. Nous ne nous affirmons pas comme « sachant », toute-puissance soignante, cela empêche ses possibilités de s’exprimer, ses potentialités de s’exercer. Nous nous positionnons en écoute du savoir de l’autre. La personne en sait plus que nous, même si elle ne l’exprime pas toujours clairement ! Nous n’avons donc pas d’exigences surdimensionnées, et calibrons nos propositions sur leur acceptabilité.

En quoi votre « aller vers » est-il différent de ce qui se pratique en général dans le médico-social ?

Les équipes n’ont ni protocole ni durée d’accompagnement préétablis. La relation peut s’inscrire dans le temps comme elle peut s’arrêter rapidement. Il me semble que c’est assez rare aujourd’hui, les financements des institutions étant souvent calibrés pour une mesure qui dure six mois, un an ou deux… Intermed est au contraire sur du soin relationnel pouvant prendre différentes formes ainsi qu’une durée très élastique. Ce contexte de travail permet une forme de compagnonnage. La personne décide avec nous. Il n’y a aucune obligation vis-à-vis de ce lien qui, par là même, devient précieux et intéressant. Cette méthode peut se transposer à une pluralité de contextes : gens du voyage dont le domicile est une caravane, centres d’accueil pour demandeurs d’asile…

Le regard porté sur les personnes s’en trouve-t-il modifié ?

Nous essayons de ne pas regarder seulement le pire de ce que nous avons sous les yeux. La mort sociale génère des pathologies du mal-être très graves. Parfois, dans les situations d’incurie, la personne ne peut plus dormir dans son logement, où vivent toutes sortes d’animaux… Cela peut être très saisissant. Penser toutes les étapes avec elle et avec des partenaires d’autres disciplines nous aide à lutter contre la tentation de ne regarder que le pire. Il faut voir le potentiel d’une personne et ce que nous pouvons apporter. Pour nous, il ne s’agit pas d’un patient – c’est d’ailleurs nous qui patientons le plus souvent devant les portes ! –, ni d’un problème social ni d’une pathologie. C’est M. Durand ou Mme Dupuis, un citoyen avec son histoire, ses émotions, ses problèmes, avec qui nous allons penser des solutions concrètes. Les soignants d’Intermed sont capables de parler vélo, échecs, de faire le pas de côté qui permet à la personne de revenir dans le monde des vivants et de retrouver une place d’alter ego dans le regard de l’autre. C’est ce qui fait exister quelqu’un de très abîmé.

Avez-vous des personnes qui demandent à arrêter ?

Cela peut se produire lorsque nous avons suffisamment travaillé avec la personne, qu’il y a une reprise de liens avec un médecin traitant, des spécialistes, des travailleurs sociaux, des loisirs… Nous pouvons alors nous mettre en veille, voire nous dire au revoir. Il y a aussi des personnes dans le refus, mais elles sont peu nombreuses. Même sans harceler la personne, nous y retournons et ne nous contentons pas de constater que la porte est fermée, que nos appels ne sont pas décrochés… Il faut trouver des stratégies de rencontre. Dans les six premiers mois, nous donnons une chance à la relation de s’établir. Psychiquement, la personne en a besoin : peut-être qu’il lui faut du temps pour accepter de nous ouvrir, de nous rencontrer après un petit mot glissé dans la boîte aux lettres. J’appelle notre réseau la « clinique des nuances ». Nous travaillons sur la honte et la pudeur, et mettons beaucoup de délicatesse dans le lien.

Quels types de relais médicaux ou sociaux mettez-vous en place ?

Notre mission s’appelle « médiation et coordination santé » parce que nous servons de plateforme : le lien se refait avec la personne, mais aussi avec les partenaires. Nous travaillons avec les professionnels du soin (psychiatrie de secteur, hôpitaux, médecins traitants…), mais aussi avec tout ce qui fait la vie sociale (loisirs, centres sociaux, médiathèque…). Nous proposons des stimulations quand nous estimons que la personne peut raccrocher à autre chose que du soin et du soutien administratif. Bien sûr, nous sommes en lien avec toutes les assistantes sociales de secteur, les associations spécialisées en addictologie, sur l’accueil des réfugiés… Nous tentons de construire des alliances autour de la personne. C’est pour cela qu’à un moment nous visons à nous retirer. Nous sommes seulement des passeurs, des intermèdes.

Créé en 2008 par Adoma,

le réseau Intermed Auvergne-Rhône-Alpes est financé par l’agence régionale de santé, des conseils généraux, le Grand Lyon et des municipalités (www.intermed-reseau-sante.fr).

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