Je m’appelle Florestan, j’ai 7 ans.
Je suis comme tous les enfants de 7 ans. Je chausse du 31 et je cours presque aussi vite que Mathis. J’ai des cheveux moins courts que ceux de Kévin et plus frisés que ceux de Bastien. J’ai les yeux marron, comme Maëla. J’ai les mêmes baskets que Sacha. J’ai un prénom un peu vieillot, comme Hortense. Plus tard je voudrais être pilote d’avion, comme Nathan. J’ai deux poumons, un cœur, plein d’organes et plein d’os, comme les autres enfants de ma classe (enfin, sauf Valentine, parce qu’elle a un orteil en moins, mais ça se voit pas, sauf à la piscine). Comme eux, je parle, lis et écris en français. Comme eux, j’apprends à compter, à additionner, à soustraire… Comme eux, j’apprends l’histoire et la géographie de mon pays. Je sais que Paris en est la capitale et qu’on y est 66,99 millions d’habitants. Et moi, je suis l’un d’entre eux.
Je suis tout ça. Je sais tout ça. Et pourtant…
Pourtant, je ne suis pas comme eux, et ils me le font bien sentir. Je ne dois pas toucher le joli pull blanc de Valentine avec mes mains pas forcément très propres, je pourrais le salir. Mes cheveux crépus sont incoiffables, ça doit être galère si j’attrape des poux, non ? Au fait, on peut toucher ?
Et sinon, j’écoute quoi comme musique ? A part les tam-tams, bien sûr… Je ne dois pas m’asseoir trop près de Sacha, parce que je sens un peu fort quand même. Le bruit et l’odeur. Maëla est d’origine bretonne, mais moi, c’est pas possible, forcément.
D’ailleurs, bien entendu, je suis pas français. Enfin, pas vraiment.
Et au fait, j’ai combien de frères et sœurs ? Nan parce que, c’est bien connu, les gens comme moi ont toujours des grandes familles, c’est culturel, il paraît. Et sinon, en vacances, je retourne au pays ? Comment je fais, là-bas, sans électricité ni Internet ? Et pour l’eau, faut aller la chercher au puits ? C’est galère, non ? Et plus tard, je veux faire quoi ? Médecin ? Nan, tu rigoles ? Mais tu te rends pas compte, c’est super dur ! Infirmier ou aide-soignant, à la limite, mais médecin… Et… euh… si c’est pas trop indiscret, ça rapporte beaucoup, les allocs ? Et ton père, il a combien de femmes ?
Ils me disent tout ça, l’air innocent, l’air de rien. L’air de ceux qui ne se rendent pas compte. Et moi, je les écoute, et je ne dis rien, parce que je n’ai rien à dire. De toute façon ça servirait à quoi ? Mais bon, ils sont pas racistes hein, d’ailleurs ils ont tous un copain noir.
Moi, je suis Florestan, leur copain noir. Noir mais sympa quand même, hein, normal, je suis bien intégré. Et puis, bon, ça va, je suis le seul ici… Quand il y en a un, ça va… C’est quand il y en a beaucoup qu’il y a des problèmes.
Je suis Florestan, j’ai 7 ans et je suis né ici. Comme mes parents, comme mes grands-parents.
Je suis Florestan et je suis français. Français mais noir, désespérément noir, comme mes parents, comme mes grands-parents. Noir, et j’ai bien dit noir, pas « de couleur », pas « black ». Noir.
Je suis Florestan, j’ai 7 ans, je chausse du 31 et je veux être médecin.
Et puis aussi, je voudrais être blanc.