Dès le début du colloque, la gravité des violences conjugales a été posée, avec des chiffres édifiants mais loin d’être surprenants : en date du 27 juin, 70 femmes sont mortes depuis le début de l’année à la suite de violences de leur conjoint ou ex-compagnon. Les femmes ne sont toutefois pas les seules victimes : 8 hommes et 13 enfants sont décédés sur la même période des suites de ces violences. Chaque année, ce sont ainsi plus de 120 femmes qui sont tuées, ce qui représente presque 20 % des homicides.
Pour les enfants « victimes » ou « exposés », le constat fait par les intervenants du colloque est identique : de telles violences ont des répercussions à court terme et sur leur avenir. Marie-France Hirigoyen, psychiatre spécialiste notamment des violences familiales, a ainsi rappelé que les enfants ayant vécu des violences au sein du couple parental ont eu un modèle de couple inégalitaire et risquent de reproduire à l’âge adulte ce qu’ils ont vécu dans leur enfance. Un propos confirmé par Muriel Salmona, psychiatre et présidente de l’association Mémoire traumatique et victimologie, qui s’appuie sur une enquête de flux. Celle-ci révèle que, pour une femme, le fait d’avoir subi dans l’enfance des violences physiques et sexuelles intrafamiliales multiplie par 19 le risque qu’elle subisse à l’âge adulte des violences conjugales et sexuelles. Et, pour un homme dans le même contexte, le risque qu’il commette des violences conjugales est multiplié par 16.
Des données inquiétantes quand plus de 140 000 enfants vivent dans un foyer où une femme a déclaré des violences physiques et/ou sexuelles. Un chiffre corroboré notamment par le fait que 83 % des femmes appelant le 3919 (numéro d’écoute national destiné aux femmes victimes de violences, à leur entourage et aux professionnels concernés) ont des enfants.
A l’image de leur mère, victime de violences conjugales, les enfants sont susceptibles de développer des psychotraumatismes, ce qui aura potentiellement un impact très lourd sur la santé mentale, avec des risques de dépression, de conduite addictives, de troubles de l’humeur, alimentaires, de suicide (50 % des victimes peuvent passer à l’acte), ainsi que sur la santé physique, avec des risques de problèmes cardiovasculaires, de diabète…
Outre la reproduction possible des comportements parentaux à l’âge adulte, il faut prendre garde à ne pas sous-estimer l’impact des violences sur l’enfant en termes de santé mentale, prévient Muriel Salmona : « Les enfants ont un cerveau beaucoup plus fragile et vulnérable aux violences, ils vont avoir des processus de dissociation bien plus importants. » Une réalité neurologique prise en compte notamment par le « 5e plan de mobilisation et de lutte contre toutes les violences faites aux femmes », qui établit, dès lors qu’il y a un homicide conjugal en présence des enfants, que ces derniers soient hospitalisés afin d’évaluer leur état et le traitement adéquat pour affronter une telle situation dramatique. Depuis quelques années, la loi a également évolué dans le sens de la reconnaissance de l’enfant comme victime, le fait d’exercer ces violences conjugales devant, en présence ou au contact des enfants constituant désormais une circonstance aggravante. Cependant, aujourd’hui encore, il est nécessaire de former les professionnels, en particulier ceux de la magistrature, constate Marie-France Hirigoyen. « La dissociation ou encore l’amnésie traumatique peuvent porter préjudice aux victimes (femmes et enfants), car ces dernières peuvent paraître bien », rappelle Muriel Salmona. Et d’ajouter : « C’est quand elles se sentirons protégées que le système de disjonction qui protège leur cerveau du stress extrême va se reconnecter. Et c’est à ce moment-là que les victimes ressentiront de nouveau leurs émotions. » Un processus de survie complexe à comprendre pour ceux qui n’y sont pas formés.