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Personnes âgées immigrées : sortir de l’invisibilité

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Pas complètement d’ici, plus vraiment de là-bas. Cette formule résume la situation des 330 000 personnes âgées immigrées vivant en France. En grande précarité sociale, souffrant d’un état de santé dégradé et d’un vieillissement précoce, cette population silencieuse peine à accéder à ses droits et à des conditions de logement adaptées à sa perte d’autonomie.

« Le point de départ d’une prise de conscience. » Telle était, en 2013, la promesse du rapport d’information parlementaire intitulé « Une vieillesse digne pour les immigrés âgés, un défi à relever d’urgence ». Pourtant, parmi les 82 propositions formulées il y a six ans, très peu ont vu le jour. Alors que le gouvernement s’apprête à lancer cet automne le chantier du projet de loi « grand âge » pour répondre aux enjeux de la perte d’autonomie des personnes âgées, la question de la prise en charge des migrants âgés demeure, au regard des associations, encore problématique.

Les immigrés des Etats hors Union européenne âgés de plus de 65 ans, représentent près de 350 000 personnes en France, 205 000 sont des hommes et 145 000 des femmes. Les deux tiers sont ceux que l’on appelle les « chibanis », ces anciens travailleurs venus du Maghreb entre les années 1950 et 1970, surtout d’Algérie, du Maroc et de Tunisie, et aujourd’hui à la retraite.

« Les personnes âgées immigrées ne sont pas que les chibanis qui sont en train de rentrer au pays ou de mourir. Ce public n’est pas sur le point de disparaître car il y a les femmes âgées immigrées, les “chibanias”, les Africains subsahariens et les Asiatiques qui arrivent à la retraite », souligne Maïa Lecoin, directrice de l’association parisienne Ayyem Zamen, qui développe, depuis 2000, des actions auprès des migrants âgés.

« Les difficultés rencontrées par les personnes âgées immigrées, quels que soient leurs pays d’origine et leur statut (citoyen français ou non), se vérifient tout particulièrement dans quatre domaines : les ressources, le logement, la santé et l’environnement relationnel », rappelle l’Observatoire national de l’action sociale (Odas).

Difficultés administratives multiples

Les démarches et les procédures administratives d’accès au droit en France sont souvent complexes pour ces personnes qui ne maîtrisent pas toujours la langue française, sont analphabètes et en isolement relationnel. Au moment de la reconstitution de carrière pour la retraite, les difficultés sont multiples et décourageantes pour certains. En effet, 55,6 % d’immigrés âgés ont du mal à retrouver les pièces de dossier pour reconstituer leur carrière, et plus de 20 % ont des problèmes de validation des périodes travaillées.

Depuis 1993, la défense de l’accès aux droits à la retraite et au logement des chibanis est un cheval de bataille de l’Action méditerranéenne pour l’insertion par le logement (Ampil), association basée à Marseille, dans le quartier populaire de Belsunce dans le Ier arrondissement qui compte 31 475 habitants dont 11 140 migrants. « Rien n’a changé. Pour les chibanis, 80 % de l’accès à leurs droits est une bataille constante. Arrivés à l’âge de la retraite complètement déglingués avec des maladies chroniques, la Carsat [caisse d’assurance retraite] ne les retrouve pas dans les fichiers car leurs employeurs ne les avaient pas déclarés à l’Urssaf. Il a fallu mettre en place un médiateur pour dénouer les situations les plus complexes », explique Abdelkader Atia, directeur de l’association. « Depuis sept ou huit ans, les caisses d’allocations familiales ont délocalisé les dossiers de ces personnes à Toulouse, les services des impôts ne délivrent plus d’avis d’imposition car il y a une suspicion sur le fait que ces personnes vivent en Algérie. On n’est pas dans un accompagnement social traditionnel mais davantage dans une situation de défense de personnes en danger », s’agace-t-il. « Les chibanis ne sont pas des personnes qui ont fait la “marche des Beurs” de 1983, ce public est toujours resté discret, silencieux, invisible et pas revendicatif. Ils sont, selon l’expression du sociologue Abdelmalek Sayad dans la “double absence”. »

Lieux de convivialité, de solidarité mais aussi de soutien administratif et de conseil, plusieurs cafés sociaux (La Maison des sages à Grenoble, le K Fé social à Lyon, le Café social 57 à Metz…) ont vu le jour, ces dernières années, pour accompagner ces personnes dans leurs démarches « aller vers ». Depuis 2003, Ayyem Zamen coordonne sur Paris le Café social de Belleville et le Café social Dejean dans le XVIIIe arrondissement. L’association Batik International a, la même année, initié le projet 13’Sâges, dans le XIIIe arrondissement parisien, qui regroupe plusieurs structures accueillant les personnes âgées d’origine du sud-est asiatique (Laos, Vietnam, Cambodge, Chine).

« On s’est spécialisés sur l’accès à la retraite et à la santé. Nos travailleurs sociaux sont très au point sur les questions de l’Aspa [allocation de solidarité aux personnes âgées] mais on réoriente beaucoup vers le droit commun », précise la directrice d’Ayyem Zamen. « On ne s’est jamais considérés comme un service social pour personnes âgées immigrées mais comme une plateforme d’accueil, un lieu chaleureux, de confiance, qui va permettre l’accès aux droits », ajoute-t-elle.

Mal-logement, malnutrition

Peu voire pas présents dans les établissements pour personnes âgées, les vieux migrants sont restés après des années de labeur, hébergés dans leurs lieux de vie habituels tels que le foyer, l’hôtel, le meublé. Ce, pour des raisons économiques, de mode de vie et d’inadaptation de ces structures aux spécificités de cette population. Une précarité locative aujourd’hui inadaptée à la perte d’autonomie de certains.

D’après les statistiques de l’association Ayyem Zamen, en 2018, plus d’un tiers des adhérents du Café social est en situation de mal-logement : personnes en errance, hébergées chez un tiers, à l’hôtel, en foyers de travailleurs migrants… « Pour celles et ceux ayant la chance d’avoir pu accéder à un logement privé, les conditions d’hébergement sont souvent très précaires : habitat insalubre et inadapté à l’avancée en âge », précise l’association. « Un grand nombre d’entre eux sont en situation de clochardisation et hébergés en centre d’hébergement et de réinsertion sociale ou en accueil de nuit. Pour faire face au phénomène de la malnutrition, l’Ampil a mis en place une cafétéria sociale qui accueille tous les matins entre 80 et 150 personnes pour un petit déjeuner très consistant qui sera pour beaucoup le seul repas de la journée », explique Abdelkader Atia.

Adoma (ex-Sonacotra) est, depuis plusieurs années, particulièrement confrontée à la problématique du vieillissement des travailleurs migrants qui résident dans ses foyers et résidences sociales. Près de 23 000 personnes ont 60 ans ou plus, soit 40 % de la clientèle totale, et les chibanis représentent à eux seuls 54 % des résidents âgés. En 2018, Adoma a mis en œuvre à leur intention 12 projets de médiation sanitaire et sociale sur 47 résidences et 1 536 dossiers concernant le maintien à domicile, précise le rapport d’activité 2018 de l’opérateur de logement accompagné.

Depuis 2014, l’association Ayyem Zamen a permis le relogement de 24 personnes, au travers de huit appartements – et bientôt dix – dans le cadre de l’expérimentation « Domiciles partagés ». Le principe est de transformer un grand appartement en petites unités de vie pour trois personnes afin de les proposer a` la colocation. « Ce mode d’hébergement coûte moins cher et a des effets très positifs sur la sociabilisation des personnes, sur leur état de santé, sur leur recours aux droits s’il est accompagné. Les domiciles partagés fonctionnent parce qu’il y a un poste dédié de conseiller en économie sociale et familiale qui intervient au domicile », précise Maïa Lecoin. Nous souhaiterions que les pouvoirs publics s’approprient ce dispositif et le développent. Mais Paris Habitat considère que l’on n’est plus sur une action expérimentale et rechigne à nous suivre. Les domiciles partagés risquent alors de se retrouver en déficit comme le sont les cafés sociaux aujourd’hui », craint la directrice de l’association. L’Ampil développe pour sa part des résidences sociales, des logements en colocation avec un reste à charge de 40 à 50 € et certains logements individuels pour les chibanis qui voudraient un regroupement familial. Une centaine de personnes a pu être relogée. « Nous travaillons avec la Carsat sur du logement social éclaté, avec du portage à domicile de repas et l’intervention d’un service de soins infirmiers à domicile. » Ce projet concernerait une cinquantaine de personnes. « La colocation ce n’est pas évident. Il faut discuter avec les gens, mettre de la médiation. La misère est une pathologie qui désocialise l’humain. Comment dire à des gens qui ont vécu de nombreuses fractures de revivre en habitat partagé », analyse Kader Atia.

L’obstacle des « allers-retours »

Selon Fatima Mezzouj, docteure en sociologie et actuellement directrice territoriale adjointe à l’Office français de l’immigration et de l’intégration, les limites de la politique vieillesse à l’égard des personnes âgées immigrées consiste en la non-prise en compte de leur parcours migratoire, notamment lorsqu’il s’agit, pour cette population, de faire la navette entre la France et le pays d’origine. « Une grande partie de cette population fait régulièrement des allers-retours entre la France et leur pays d’origine, ces séjours peuvent parfois durer plusieurs mois, surtout si l’épouse et les enfants y vivent », rappelle-t-elle. Adoma propose d’ailleurs sur certaines résidences sociales, des dispositifs de location alternée et adapte le contrat d’hébergement à leur temps de présence. Concrètement, les résidents se partagent le logement dans le temps, selon un planning de séjours alternés.

Pour continuer à bénéficier de certaines prestations sociales, telles que l’Aspa ou l’aide personnalisée pour le logement, les personnes âgées immigrées doivent être présentes un certain nombre de mois par an sur le territoire français. « Or, par manque d’informations ou incompréhension, certains vieux immigrés dépassent ce temps, ce qui engendre des situations compliquées lorsque ces prestations sont suspendues, voire supprimées », souligne Fatima Mezzouj.

En novembre dernier, dans le cadre des discussions du projet de loi de financement de la sécurité sociale 2019, un amendement gouvernemental a été adopté qui étend la prise en charge des frais de santé des pensionnés résidant à l’étranger et ayant travaillé plus de quinze ans en France lorsqu’ils sont soignés lors de leur séjour temporaire en France. Jusqu’alors, une fois à la retraite, les chibanis avaient pour obligation de séjourner six mois en France pour être couverts par la sécurité sociale.

Dans une réponse à Fiona Lazaar, députée LREM du Val-d’Oise, parue au Journal officiel du 18 juin 2019, le ministère des Solidarités et de la Santé a indiqué que cette mesure est effective « à partir du 1er juillet 2019 ». « En pratique, les personnes concernées pourront, pour la prise en charge de leurs soins, s’adresser au Centre national des retraités de France à l’étranger et pourront, pour attester de la régularité de leur séjour, faire valoir tout titre de séjour valide, y compris les visas Schengen », précise-t-il.

Un recueil de bonnes pratiques

En décembre dernier, l’Observatoire national de l’action sociale (Odas) a publié un document intitulé « Soutien aux personnes âgées immigrées – Recueil de bonnes pratiques », fruit d’une recherche action conduite en 2014. Objectif : « Apporter des repères méthodologiques aux responsables des associations et collectivités territoriales concernées par l’accompagnement social des personnes âgées immigrées. » Ce document comporte 17 fiches présentant des initiatives issues du terrain. Téléchargeable sur www.odas.net.

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