Un grand bâtiment en plein centre-ville, dans un quartier recherché, à deux pas de la gare, du centre hospitalier et des commerces. Créés dans d’anciens locaux de la protection judiciaire de la jeunesse, la résidence Key Baco et ses 46 logements ont vite fait le plein, lors de l’ouverture en juillet 2018. Ce projet remonte à 2013, quand l’espace Barbara, hôpital de jour et centre de soins ambulatoire en addictologie du CHU de Nantes, spécialisé dans le suivi de jeunes souffrant de troubles alimentaires ou liés aux jeux vidéo, a vu s’arrêter un partenariat avec un foyer aujourd’hui fermé. Les soignants ont alors sollicité l’association Habitat humanisme 44 pour penser un nouveau projet. L’idée étant de concevoir une petite structure uniquement pour un public jeune. Mais des partenaires institutionnels se greffent au projet et rejoignent Habitat humanisme : l’association Abela (Anorexie et boulimie en Loire-Atlantique), le centre de formation d’apprentis (CFA) de Saint-Herblain, dans l’agglomération nantaise, la Maison des adolescents du département.
Ainsi voit le jour l’association Hajir (Habitat associatif jeunes interréseaux), qui va porter l’idée d’un équipement intergénérationnel. « Il nous fallait évoluer dans notre conception de l’habitat », explique Bruno Allais, président d’Hajir et d’Habitat humanisme 44. Qu’à cela ne tienne, l’association cherche un foncier dans le centre-ville, avec le soutien de Nantes Métropole, qui propose un bâtiment inoccupé appartenant à l’Etat. Ce dernier vend alors le bâtiment, à très bon prix, au groupe Gambetta. « Ce groupe nous a fait confiance, en sachant que nous allions créer un projet social. » Grâce à un financement issu des collectivités territoriales complété par des subventions d’investissement, l’immeuble longtemps muré entame sa mue. « Nous avons ensuite travaillé autour de l’aménagement des lieux. Nous souhaitions une résidence ouverte, ancrée dans sa ville et son quartier. C’est un véritable projet de territoire », assure Bruno Allais.
Un projet accessible au public cible de l’association puisque, par son choix de l’option « résidence sociale », celle-ci permet à ses résidents d’obtenir une aide au logement conséquente. « Par exemple, pour un apprenti avec un studio loué 343 € par mois, il aura 310 € d’APL. C’est très avantageux. » Le lieu est donc un tremplin pour « l’après, la vraie vie », où les jeunes et les mères solos peuvent rester au maximum deux ans. Quant aux seniors, ils sont ici chez eux « tant qu’ils sont autonomes ». Les résidents ont majoritairement été orientés par la mission locale, le CFA, Habitat humanisme ou une assistante sociale.
Un grand espace coloré au rez-de-chaussée, avec cuisine, espace-détente et coin-bébé. Des plantes, des jeux, une bibliothèque et une « zone de gratuité » où sont mis à disposition des objets inutilisés. Des logements meublés, du studio au T2. Un des logements est même loué à la semaine, en partenariat avec le CFA coiffure de Saint-Herblain. Une colocation « tournante », pour que les apprentis puissent faire leurs études dans les meilleures conditions. Et huit logements sont priorisés pour des jeunes qui seraient envoyés par l’espace Barbara. Aujourd’hui, Key Baco accueille une trentaine de jeunes – du chercheur d’emploi à l’étudiant italien en Erasmus –, cinq femmes avec enfants de moins de 3 ans et cinq seniors, dont un couple. « Cette résidence trace peut-être une ligne nouvelle en termes d’habitat. » Une ligne à laquelle participe activement Elise Blot, coordinatrice de la résidence et art-thérapeute. « Des liens se créent entre les résidents. Ils échangent des services, des amitiés se sont tissées, explique l’ancienne éducatrice spécialisée. Un senior et un jeune ont même accompagnés une maman enceinte à l’hôpital. Une jeune souffrant de TCA [troubles des conduites alimentaires] a retrouvé goût à la nourriture. »
Le mercredi soir, des résidents cuisinent pour d’autres et partagent un repas. Madeleine, une des cinq mères, vit ici depuis l’ouverture. Elue présidente des résidents, elle gère le conseil de vie sociale (CVS), porte la parole des habitants, et se sent parfaitement bien dans cet environnement. « J’ai eu de la chance. Ici, c’est parfait pour moi. J’étais avant hébergée par une autre association, mais en colocation. Là, j’ai un appartement pour moi et mon fils Ivan. J’aime ce côté intergénérationnel, il y a une véritable vie d’immeuble. Libre à nous d’y participer ou non. Et puis le quartier est top, hypervivant. Culturellement parlant, c’est génial. » Elise Blot, la coordinatrice, apprécie elle aussi cette diversité sociale. Une cinquantaine de personnes, bébés compris, de 3 mois à 70 ans, est un microcosme riche. « On a l’habitude de dire que Key Baco est un logement, mais pas que ! Je suis contente de travailler dans une jeune association pleine de projets, d’avoir vu la résidence se peupler. » Cet immeuble « point d’étape », qui accompagne si besoin ses résidents dans leurs démarches (santé, logement, emploi), est vite devenu une ruche à l’aise dans son quartier. Pour aider Elise dans cet accompagnement polyvalent, Mathilde Cosme, animatrice, a complété l’équipe en mars dernier. La jeune femme a rapidement trouvé « le bon positionnement avec les résidents ». Deux aides, de l’Etat ainsi que de la caisse d’allocations familiales, qui souhaitait appuyer un projet innovant en termes de logement, ont rendu possible cette embauche. Les jeunes femmes sont présentes du lundi au vendredi, dès 9 heures et certains soirs jusqu’à 22 heures. Et privilégient lors des admissions « des jeunes qui sont dans une dynamique de projets, des mamans très actives, engagées. Leur présence est précieuse, les bébés ont un côté apaisant pour le collectif ».
Elise Blot a une journée de comptabilité par semaine. Les professionnelles sont là pour aider « à tisser des relations entre résidents » mais aussi sur l’extérieur, et accompagnent sur des démarches variées, de l’insertion aux loisirs en passant, évidemment, par l’administratif. Le maître-mot semble aujourd’hui l’« entraide ». Madeleine observe « des relectures de CV entre résidents, certains sont allés rendre visite à une senior hospitalisée. C’est une ambiance légère, les gens viennent d’horizons différents. On sent que certains ont des parcours difficiles, on est tous là, mais on n’en est pas au même moment dans nos vies. » La jeune mère sait qu’elle devra partir d’ici un an, et s’en accommode. En attendant, elle s’amuse « de voir les seniors chouchouter les petits. Ce n’est pas un immeuble comme un autre ». Pour la coordinatrice, qui voulait « quitter le social pur », le côté « multicasquettes » est appréciable. « Je suis parfois agent immobilier, parfois travailleuse sociale. Et c’est parfois agréable de pouvoir travailler avec des personnes qui ne vont pas forcément toutes mal. » Key Baco se tient au courant de la vie locale, dispose de partenariats avec la maison de quartier et avec une association, juste à côté, pour emprunter des livres. Une résidence comme une autre dans le quartier. « Il y a beaucoup de possibles quand on démarre, on peut essayer des trucs », confient les deux professionnelles. L’équipe réfléchit à ouvrir l’espace collectif à d’autres associations du quartier, qui pourraient y pratiquer une activité avec les résidents. « On est entreprenants, renchérit Bruno Allais. Nous sommes dans une approche globale des choses : gérer à la fois l’économique et le social. » Des besoins réels, une liste d’attente existant déjà. Celle-ci ne devrait pas désemplir au vu du caractère accueillant d’un lieu hybride, peut-être précurseur de nos futurs habitats.
Et la suite ?
En juillet, la résidence Key Baco fêtera sa première année. Mais l’association envisage déjà la suite. Malgré un turn-over régulier, il existe une liste d’attente, notamment pour le public jeune. Le bouche-à-oreille fonctionne très bien. Le conseil d’administration projette d’étendre la capacité d’accueil d’une dizaine de logements, dans un bâtiment à rénover, toujours au centre de Nantes. Ces logements auront vocation à être plus transitoires que ceux de Key Baco, et seront intégrés à un parc immobilier « ordinaire ». « On sait les besoins importants sur la ville, explique Bruno Allais. Et Nantes Métropole promeut beaucoup ce genre de dispositifs, qui plus est lorsqu’ils font dans l’intergénérationnel. » Les membres de l’association et les professionnels observent aujourd’hui la cohérence d’un tel projet. « On est un peu dans les prémices de ce qui devrait se développer à l’avenir. »