Un papa, une maman.
Un papa amoureux, une maman aux yeux bleus. Au début, c’est beau, c’est bien. Mes parents s’aiment et m’aiment. Joli petit couple, joli petit bébé, jolie petite famille… Jolie petite vie.
Un papa, une maman.
Un papa licencié, une maman débordée. Et puis la vie, le travail, le chômage… Les ennuis commencent. Maman cumule les petits boulots, est tout le temps fatiguée… Et papa… Papa, il cherche du travail, n’en trouve pas, et déprime.
Un papa, une maman.
Un papa qui picole, une maman sans parole. Papa boit, crie, nous fait peur. Et maman, elle, promet. Elle promet de venir me chercher à l’école, mais elle ne vient pas. Elle promet de m’aider à faire mes devoirs, mais elle n’a jamais le temps. Elle promet de me protéger, mais elle a trop peur de lui. Elle promet qu’on partira, mais on reste. Elle promet que demain sera différent, mais demain est toujours pareil. Des bouteilles et des cris. Des promesses, et puis rien.
Un papa, une maman.
Un papa qui tabasse, une maman dans sa crasse. Papa boit, crie et cogne. Un coup pour moi, un coup pour elle. Une gifle, une beigne, une baffe, une torgnole, une tarte… Enrichissez votre vocabulaire avec les violences domestiques. Et maman ? Maman, rien. Elle laisse faire. Elle ne se défend même plus. De toute façon, maman ne fait plus rien. Elle ne travaille plus, ne se lève plus, ne se lave plus, ne mange plus. Elle se laisse vivre ou, plutôt, elle se laisse mourir. La maison est jonchée de bouteilles vides, de linge sale et de poubelles… Je survis au milieu de cet amas de détritus. A l’école, c’est l’enfer. A la maison, c’est l’enfer. C’est l’enfer partout.
Un papa, une maman, et une assistante sociale.
Au milieu de cet enfer, un ange aux yeux bleus vient me sauver. Un jour, une jeune femme me prend par la main et m’emmène loin d’ici, loin de cette maison qui n’est plus la mienne, loin de ces gens qui n’ont de parents que le nom. Loin de tout.
Un papa, une maman.
Un papa en prison, une maman en carton. A force de taper sur tout ce qui bouge, papa a fini en prison. Maman revit doucement. Elle vient me voir au foyer. Elle me regarde, je la regarde, et puis rien. J’espère un sourire, un mot doux, un geste tendre, mais elle se contente de me dire que je ressemble à mon père. Il paraît que j’ai ses yeux. Je ne suis qu’un sale mioche qui ressemble à son père. Une victime qui ressemble à son bourreau.
Un papa, une maman, et un beau-père.
Il est sympa, le nouveau mec de maman. Souriant, calme… et sobre. Maman va mieux, et j’ai même le droit de rentrer à la maison le week-end. Je suis plein d’espoir et de rêves.
Un papa, une maman, un beau-père, un petit frère.
Mon beau-père amoureux, ma maman aux yeux bleus, leur bébé merveilleux. Joli petit couple, joli petit bébé, jolie petite famille… Jolie petite vie. Sans moi. Moi, je suis de trop. Je suis le premier, le raté. Je suis ce gosse qui rappelle à sa mère sa vie d’avant, un mauvais souvenir qu’elle voudrait oublier. Je ne suis que Floyd, l’enfant du week-end, celui dont le père est un salaud. Je n’ai plus ma place dans la vie de ma mère.
Un papa, une maman… et l’ASE.
Finis les week-ends en famille, retour à la case foyer. Je suis l’enfant placé, l’enfant dégagé, l’enfant oublié. Je suis Floyd, l’enfant de personne.