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“La pair-aidance, valeur ajoutée au travail social ?”

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Les personnes en situation de handicap, d’addiction, de grande pauvreté… ont un savoir et un vécu qui peuvent servir à d’autres. A condition qu’ils soient formés et qu’ils disposent d’un statut, plaide Alain Bonnami dans son dernier ouvrage.
Quand la notion de « pair-aidant » est-elle apparue, et que signifie-t-elle ?

Ce terme a fait son apparition à la fin des années 1930, avec la création aux Etats-Unis des Alcooliques anonymes, qui sont à l’origine des premiers groupes d’entraide. Mais il s’est vraiment imposé dans les années 1960, avec le mouvement américain « Independent Living » sur les droits civiques. En s’appuyant sur la capacité d’agir – l’empowerment – des groupes sociaux défavorisés pour se faire reconnaître, il a beaucoup modifié le rapport aux personnes en situation de handicap. En France, les notions de « pair-aidant », d’« auto-support » ou encore de « pair-émulation » n’émergent que dans les années 1990, d’abord dans le champ de la psychiatrie, avec des pratiques innovantes menées à l’établissement public de santé Maison-Blanche, puis dans le champ du handicap, avec des associations pilotes comme celle des Paralysés de France [devenue APF France handicap]. La pair-aidance est apparue très récemment dans le champ de l’exclusion, avec Emmaüs et ATD quart monde. Elle définit toute approche réunissant, dans diverses structures, des personnes partageant les mêmes expériences au sein de groupes ou d’organismes. Le pair-aidant utilise son savoir expérientiel pour intervenir auprès d’autres personnes concernées par des problématiques similaires aux siennes. En même temps qu’il devient acteur de son rétablissement, il redonne de l’espoir, sert de modèle d’identification, de vecteur d’information et de soutien. C’est une forme d’institutionnalisation par le « bas », qui commence à être considérée comme une valeur ajoutée au travail social. Des études montrent que la pair-aidance donne des résultats dans les addictions, la santé mentale et le handicap. Dans le champ de la grande pauvreté, il est trop tôt pour faire le bilan.

Comment ce phénomène est-il perçu par les travailleurs sociaux ?

Pour écrire mon livre, j’ai rencontré beaucoup de professionnels acquis à la cause de la pair-aidance. D’autres sont plus réservés – ce sera d’ailleurs l’objet d’une autre publication. De fait, les pairs-aidants interrogent les travailleurs sociaux sur leur place à côté d’eux, leur statut, leur rôle dans la relation d’aide. La question de leur légitimité est évoquée : les pairs-aidants ne sont pas des professionnels, dans le sens où ils ne sont pas diplômés d’Etat. Au nom de quoi agiraient-ils ? se demandent certains. Dans un contexte de forte professionnalisation des travailleurs sociaux, et même si la pair-aidance est une illustration de la volonté de faire participer les personnes aux dispositifs d’accompagnement et aux centres de formation, cela peut créer des tensions. Les jeunes professionnels arrivant sur le marché ont un niveau de qualification beaucoup plus élevé qu’avant, les pairs-aidants n’ont pas le même bagage. Autre interrogation soulevée : celle de la distance à mettre en place avec l’autre et du contre-transfert. Une trop grande collusion pourrait exister entre un pair qui a eu de grandes difficultés dans sa vie et les personnes qu’il est censé aider. Tous ces points relèvent d’enjeux éthiques importants.

Les pairs-aidants sont-ils amenés à se professionnaliser ?

Tout le monde ne peut pas être pair-aidant. Cela ne s’improvise pas et exige un apprentissage spécifique. C’est ma position, mais il y a un débat sur le sujet. Ce qui est sûr, c’est qu’un pair-aidant doit être engagé dans un processus de soins et de rétablissement. Cela suppose l’acceptation d’une prise en charge, car il faut être un peu avancé dans sa démarche pour mobiliser un savoir et pouvoir le transmettre à d’autres. Cela signifie également d’avoir une qualification pour apprendre les techniques professionnelles d’usage et d’intégrer une culture du travail social. Mais il y a un ajustement économique à trouver. En effet, à quelles conditions peuvent-ils intervenir ? Sont-ils bénévoles ou rémunérés ? Si oui, sont-ils en contrats aidés, comme c’est le cas actuellement ? Sinon, quelle pourrait être la forme juridique de leurs contrats ? Dans les expériences menées par l’association Les Enfants du canal, à Paris [voir reportage des ASH n° 3083 du 9-11-18, page 26] ou encore par l’Armée du salut, la pair-aidance se fait par le biais d’un chantier d’insertion. C’est le modèle économique qui prédomine ; il sort du domaine de la solidarité pour s’inscrire dans celui de l’économie sociale et solidaire. Il s’agit de prendre une place non pas comme travailleur social mais d’être salarié sur une fonction particulière. On n’est plus dans l’assistanat. Le défi majeur est que les pairs ne deviennent pas le nouveau prolétariat du travail social. Il y a déjà des travailleurs sociaux précaires. Au nom de la pair-aidance, ils ne doivent pas être embauchés n’importe comment et payés trois francs six sous. Il faut des mesures fortes et, peut-être, que leur emploi via des chantiers d’insertion permettrait d’éviter cette dérive. C’est une piste.

Y a-t-il des pays plus avancés que nous en la matière ?

Outre-Atlantique, les Etats-Unis ont été les pionniers du soutien par les pairs. Le Canada aussi est en avance. Au Québec, des programmes de formation sont organisés pour développer cette pratique et les institutions sont tenues de faire participer les personnes concernées à la vie des établissements. Plus proche de chez nous, la Belgique a mis en place une théorie appelée « Les experts du vécu », qui est intégrée à son dernier plan de lutte contre la pauvreté. Les Belges réfléchissent depuis longtemps à la nécessité de former les pairs-aidants, à leur utilité sociale, au management mixte où les pairs sont associés au travail des professionnels. Ils vont jusqu’à dire que les pairs sont des diamants bruts et que les connaissances n’émanent pas seulement de paradigmes conceptuels et objectivables, mais que le vécu, la subjectivité, les émotions… sont également intéressants. La France commence à bouger aussi. De plus en plus d’instances de l’Etat interviennent sur cette question dans le secteur sanitaire, social et médico-social, et se positionnent clairement. Pour exemple, un rapport du Haut Conseil en travail social(1), adopté en juillet 2017, met l’accent sur la nécessité de développer la participation des personnes accompagnées aux décisions prises en leur faveur et à la formation des futurs travailleurs sociaux. La France y est poussée par les recommandations européennes et par le Conseil de l’Europe, qui a noté sa frilosité à l’égard des droits politiques des personnes vulnérables et sur la façon dont elles peuvent passer d’objets de soins à sujets de droit. Notre pays a très bien pensé la solidarité, mais il doit faire plus aujourd’hui, en reconnaissant que les personnes accompagnées ont un savoir qui a autant d’intérêt que le savoir académique largement imposé dans le travail social.

Responsable

de formations supérieures et de formation à la pair-aidance à l’IRTS de Montrouge-Neuilly-sur-Marne, Alain Bonnami est l’auteur de Le pair-aidant : un nouvel acteur du travail social ? (éd. ESF, 2019).

Notes

(1) « Participation des personnes accompagnées aux instances de gouvernance et à la formation des travailleurs sociaux », HCTS.

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