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Genre et logement social

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« On peut vous laisser si vous voulez ! », lance un des deux seuls hommes présents dans la salle. « Mais non, on a besoin des hommes aussi ! », répond une femme amusée. Le public de l’atelier « Un logement pour chacune », tenu à l’occasion du Festival international du logement social de Lyon, est quasi exclusivement masculin – la remarque circule entre les organisatrices. C’est que « comprendre les usages des femmes au sein du parc social » est une idée maîtresse tout à fait émergente de cet atelier. Les problématiques de genre au sein de l’habitat restent un point aveugle des politiques publiques et de l’accompagnement par les professionnels.

Fort de ce constat, le groupe « Toutes Expertes » s’est noué à l’occasion du Congrès HLM de Marseille en octobre 2018. Encore informel, il réunit neuf professionnelles du logement : elles sont responsables d’associations, de bailleurs ou d’entreprises de construction… Et souhaitent « changer les rapports entre ceux qui conçoivent le logement social et ceux qui le vivent », en particulier les habitantes, qu’elles aiment à nommer « expertes des quartiers ».

« Il y a très peu de littérature sur le genre et le logement, plutôt sur les femmes et l’urbanisme », expose Perrine Cantin-Michaud, directrice du développement à Linkcity Auvergne-Rhône-Alpes. Hormis un ouvrage collectif de sociologie paru récemment, « Le monde privé des femmes », indique la professionnelle. Dans la préface de ce livre, Olivier Schwartz, professeur de sociologie à l’université Paris-Descartes et membre du Centre de recherche sur les liens sociaux, pose les interrogations suivantes : « S’agissant du logement comme espace de vie, dans quelle position les femmes aujourd’hui se trouvent-elles ? Qu’en est-il […] de leur place au sein de cet espace, des charges qui y pèsent sur elles, de la liberté dont elles disposent étant donné l’état actuel de la division des rôles entre les sexes et des conditions d’existence des familles ? »

Pour tenter d’apporter des réponses concrètes, « Toutes Expertes » a mené des ateliers avec des femmes des Noirettes, un quartier populaire de Vaulx-en-Velin, dans la banlieue lyonnaise. L’idée était d’organiser des temps de concertation autour de leur façon d’habiter le logement social, en soulevant leurs problématiques et les potentielles améliorations. Le premier atelier a regroupé huit habitantes autour du rapport au chez-soi et des améliorations à envisager. En premier lieu, les habitantes étaient demandeuses de « plus de rangements pour stocker le lave-linge, les poussettes… », rapporte Agnès Jolivet Chauveau, designer et co-fondatrice de l’agence La Formidable Armada. Mais aussi d’« avoir plus d’espace d’intimité », des rideaux ; tandis que plusieurs femmes musulmanes indiquaient vouloir « un sas d’entrée dans les cas où quelqu’un rentre chez moi et que je n’ai pas le temps de me voiler ».

Enfin, l’envie d’avoir « une cuisine fermée, pour ne pas embaumer toute la maison, et parce que c’est aussi un lieu important de rencontre et de discussion entre femmes » est revenue de manière récurrente. Au-delà de la seule cuisine, ces femmes ont à plusieurs reprises exprimé le « besoin d’espaces pour se retrouver entre soi, prendre soin de soi ; d’espaces entre elles et seulement entre elles ! » S’est alors posée la question de la non-mixité. Faut-il l’encourager, au risque de pousser vers davantage de stigmatisation des femmes au sein même de leur foyer ? Ou faut-il au contraire y voir un espace où les femmes peuvent puiser des ressources d’émancipation ? « Pour les femmes, le logement est une charge et une responsabilité, en même temps qu’un point d’appui, une ressource personnelle, un vecteur d’identification », écrit dans « Le monde privé des femmes » Michel Bozon, sociologue à l’Ined.

La non-mixité en débat

« Cette expérience nous a posé question, a remué nos propres paradoxes et interrogé notre féminisme », relaie Agnès Jolivet Chauveau. Les débats ont été parfois tendus entre professionnelles, avant que celles-ci ne se rendent compte que « finalement, ces habitantes voulaient faire comme nous… Se rassembler entre femmes pour échanger sur nos problématiques propres ! ». Reste qu’en présentant leurs travaux lors de leur recherche de financement, le groupe s’est heurté à une certaine frilosité. « Avec des questions comme la non-mixité […] certains financeurs nous ont dit qu’ils ne souhaitaient pas se mouiller à cause de cela », regrette Sarah Tayebi, designer d’usage de La Formidable Armada.

Le second atelier consistait en un exercice de prospective : si ces femmes devenaient propriétaires d’un logement social en 2030, qu’aménageraient-elles ? Les habitantes ont alors surtout imaginé des espaces communs : une garderie partagée, un toit-terrasse, avec un hammam, un potager… A Lyon, les animatrices de « Toutes Expertes » sont venues livrer aux professionnels du festival toutes les propositions, les invitant à en identifier les freins, les possibilités de réalisation, et à les enrichir de leur expérience. Elles ont promis aux habitantes des Noirettes un compte-rendu. Quant à la forme que prendront ces projets affinés – support méthodologique pour diffuser le modèle de concertation professionnels-habitantes dans d’autres départements ? Investissements concrets dans du réaménagement ? –, elle reste à déterminer.

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