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Une économie associative contre vents et marées

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Baisse des subventions publiques, commande publique incertaine, inflation législative et réglementaire… Entre le « tout public » et le « tout marchand », les associations de l’action sociale tentent de conserver, coûte que coûte, une place de partenaire plutôt que de prestataire.

« La particularité associative est un atout dans un monde qui recherche du sens. Les associations fondent leurs actions sur l’économie humaine, celle qui met l’homme au cœur de ses ambitions », a déclaré Olivier Baron, directeur général de l’Association laïque pour l’éducation, la formation, la prévention et l’autonomie (Alefpa), le 4 juin, à Lille. A l’occasion de ses 60 ans, l’Alefpa, qui gère plus de 130 établissements, services et lieux d’accueil dans 16 départements de France métropolitaine et d’outre-mer, a organisé un colloque sur la place du fait associatif entre le « tout Etat » et la marchandisation. « Il y a un au-delà de l’Etat dans l’ambition associative, mais il y a aussi un au-delà de l’économie classique dans l’ambition associative. Notre économie mérite d’ailleurs mieux que d’être seulement définie par une formule négative, fût-elle encourageante, du non-lucratif », a assuré, pour sa part, Michel Caron, président de l’Alefpa.

Pour Philippe Jahshan, président du Mouvement associatif, les associations doivent défendre leurs éléments de différenciation « au moment où se développe, notamment avec la loi “Pacte” (relative à la croissance et à la transformation des entreprises), les réflexions sur les entreprises à mission, sur le renforcement de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE), sur l’intégration des missions sociales et environnementales au sein de l’entreprise marchande ».

Les mutations des ressources

La question de la place des associations se pose avec d’autant plus d’acuité que leur modèle économique subit, ces dernières années, des évolutions majeures et de fortes mutations dans les composantes de leurs ressources du fait de la baisse des financements publics. Comme l’a souligné Viviane Tchernonog, chercheuse au Centre d’économie de la Sorbonne (CNRS, université Paris 1) et coauteure avec Lionel Prouteau (université de Nantes), en 2018, de l’étude Le paysage associatif français(1), les financements publics sont passés de 51 % du budget total des associations en 2005 à 44 % en 2017. L’un des changements significatifs est l’inversion des poids respectifs des subventions et des commandes publiques dans les budgets associatifs. Les subventions publiques, qui ont pour objectif de soutenir l’initiative associative et qui représentaient 34 % de leur budget en 2005, n’en représentent plus que 20 % aujourd’hui. Et ces aides de l’Etat ou des collectivités sont nettement moins importantes encore dans le secteur « humanitaire-santé-social », puisqu’elles y alimentent à hauteur de seulement 14 % le budget des associations. « Nous avons une nécessité politique à réhabiliter la question de la subvention et du subventionnement. La subvention est un investissement public d’intérêt général. Cet argent, c’est de l’impôt, c’est notre argent qui transite par l’Etat et qui est réinvesti dans de l’action d’intérêt général assurée par les associations, et donc qui revient aux citoyens. Cela ne signifie pas pour autant que ce sont des contrats à vie et qu’il n’y a pas d’exigences derrière », a souligné Philippe Jahshan, président du Mouvement associatif.

Les subventions, sérieusement revues à la baisse, ont laissé place aux commandes publiques, dont la part dans les budgets des associations passe de 17 % en 2005 à 24 % en 2017, et représente même 32 % des ressources pour le secteur médico-social. La nécessité de trouver des ressources pour compenser la contraction des financements publics s’est traduite par une augmentation rapide de la participation des usagers aux services rendus par l’association (+ 4,2 % par an en euros courants). « Ce qui est considérable. En six ans, elle a augmenté de 25 % », a commenté Viviane Tchernonog. Dans le secteur sanitaire et social, dominé par des associations de grandes tailles, les ressources tirées des ventes apparaissent plus importantes puisqu’elles représentent 48 % de leurs budgets, contre 42 % pour l’ensemble des associations.

Derrière cette transformation des subventions en commandes publiques, se dessine le risque d’une instrumentalisation des associations en limitant leur rôle à celui d’exécutantes des politiques publiques. Le risque aussi d’une standardisation de l’action associative, puisque c’est la puissance publique qui choisit le cadre et les règles dans lesquelles les associations doivent s’inscrire. Olivier Baron a pointé du doigt la marchandisation, qui se traduit par des notions comme le coût à la place, les appels à projets ou les appels d’offres, où les associations deviennent des acteurs économiques régis par les mêmes règles que les entreprises. « C’est oublier que les associations sont avant tout des acteurs du lien social, et non des entreprises occupant un secteur d’activité, un marché », a souligné le directeur général de l’Alefpa. Et de poursuivre : « Les appels à projets, les calculs de coûts permettent de rationaliser le fonctionnement de certaines associations et d’objectiver les choix d’acteurs, c’est un mouvement indispensable. Néanmoins, les associations doivent à chaque fois pouvoir se positionner sur ces appels à projets en conservant leur liberté associative. Les associations ne sont pas des agents des autorités publiques, mais des partenaires de ces autorités. »

Des dérives technocratiques

Même s’il reconnaît au milieu associatif « une capacité historique à s’adapter, inégalée par les autres secteurs », Philippe Jahslan a égrené la série de mesures qui ont « touché de plein fouet » ce secteur : la fin des emplois aidés, la suppression de la réserve parlementaire, la réforme de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) et, peut-être à venir, la réduction de la défiscalisation pour le mécénat. Fort de ce constat, il alerte sur « la fragilisation du système ». Selon l’étude Deloitte 2018 sur les difficultés spécifiques des associations, ces dernières citent notamment le poids des contrôles et des contraintes croissantes imposées par les pouvoirs publics, les modifications législatives et réglementaires des conditions d’exercice de l’activité, la baisse des financements publics de toutes formes et la concurrence entre associations intervenant dans des domaines voisins. Autant de contraintes qui mettent à mal l’ADN des associations.

« Les restrictions budgétaires s’imposent et nous imposent de faire des économies. Il faut donc ajouter à chaque fois plus de contraintes aux opérateurs parce que l’initiative libre est censée coûter plus cher », a analysé Roland Janvier, docteur en sciences de l’information et de la communication et directeur général de la Fondation Massé-Trévidy (Finistère). Et de déplorer : « Dans cette période de rationalité instrumentale, on est en train de considérer que l’aide aux personnes est avant tout un coût qui doit se compter, et non pas un investissement pour l’avenir de notre projet de société. Le travail avec et pour autrui est le fondement de l’action sociale. L’accompagnement des personnes fragiles ou en difficultés s’accommode mal des algorithmes. L’altérité n’est pas une comptabilité débit-crédit mais elle est l’expérience de la différence et de la similitude, c’est-à-dire la reconnaissance de l’autre à la fois dans ce que nous avons de commune humanité partagée, mais aussi dans ce que nous avons de différent. La rencontre avec autrui dans le travail social est une œuvre qui ne peut être réduite par le fantasme de la rationalisation du monde. Vouloir enfermer la complexité de ce jeu relationnel dans des normes est une ineptie. Le champ des possibles doit être largement ouvert afin que les hésitations, les aléas, les ruptures de parcours de l’usager n’entraînent pas la rupture de la relation d’aide. La relation dans le travail social, avec et pour autrui, est génétiquement incompatible avec toute tentative de standardisation des pratiques. »

« On parle d’“entrepreneurs associatifs”, on arrive même à des groupes associatifs et, bientôt peut-être, à des conglomérats associatifs. Cette évolution pourrait amener à la constitution de groupes proches des groupes de sociétés ou au développement de dérives technocratiques, voire technicistes. La technocratisation se traduit par le développement de normes de calcul de performance, de maîtrise des coûts, de retour sur investissement. Et le technicisme porte en lui une réduction mécaniste de la complexité sociale. Le risque pour les associations est d’empêcher l’initiative, d’empêcher le rêveur qui se lance dans un projet au bénéfice de la société, et cela nie l’esprit associatif à proprement parler », a considéré Olivier Baron.

« Repolitiser l’action sociale »

Pour Roland Janvier, « de la mise en ordre à la mise aux ordres, il n’y a qu’un pas ». Selon lui, « le formatage des associations », « cette standardisation », s’inscrit dans une mutation sociétale générale, « la tendance de notre civilisation à tout rationaliser ». Pour le directeur général de la Fondation Massé-Trévidy, Seraphin-PH (projet de réforme de la tarification des établissements et services médico-sociaux pour personnes handicapées) est « l’avatar de ce fantasme de toute-puissance de l’ordre sur la complexité du monde ».

Quelles possibilités d’action s’offrent aux associations pour défendre leur identité ? Parce qu’elles occupent « une place essentielle et irremplaçable dans le contrat social », Roland Janvier appellent les associations d’action sociale à « défendre leurs spécificités originelles » et à refuser « d’être réduites à de simples courroies de transmission chargées de mettre en œuvre des politiques sociales étatiques ». Défendant de longue date l’idée de « repolitiser l’action sociale », le directeur général de la Fondation Massé-Trévidy affirme : « La dimension fortement politique qui a prévalu à la création des premières associations dans le champ du handicap ou de l’éducation retrouve dans le contexte actuel toute sa légitimité. C’est en réaffirmant la dimension politique de leur projet que les associations résisteront à l’instrumentalisation des opérateurs du travail social […]. Plus les associations affirmeront la dimension politique de leur projet, plus les professionnels seront assurés de pouvoir être innovants dans leurs pratiques de terrain. Il nous faut donc réhabiliter la médiation associative. Les associations doivent réinvestir cette fonction de médiation entre les pouvoirs publics et les citoyens. Le fait associatif est un fait politique, en ce sens qu’il manifeste en actes que la société ne peut se satisfaire ni du “tout Etat” ni du “tout marchand”. La vie de la cité et la participation des citoyens au destin commun supposent des espaces intermédiaires de délibération, de médiation institutionnelle, de mise en œuvre du principe républicain de solidarité. »

En conclusion du colloque, Michel Caron, président de l’Alefpa et vice-président de Nexem, a salué la création, en avril dernier, de la Confédération des employeurs du secteur sanitaire, social et médico-social à but non lucratif, composée de la Croix-Rouge française, de la Fehap, de Nexem et d’Unicancer. « C’est un outil majeur que, librement, les associations ont choisi de construire, a-t-il commenté.Cela représente pour l’avenir de nos politiques de solidarité, pour l’Etat, pour les départements, pour les pouvoirs publics, un interlocuteur nouveau, majeur pour l’avenir de nos métiers. Aujourd’hui, l’économie sociale et solidaire est une part des perspectives positives que peuvent porter les politiques publiques. Dans la multiplicité des difficultés, nous avons aussi une multiplicité d’opportunités et de potentiels. Cette économie sociale et solidaire constitue des raisons de penser que nous pouvons porter des solutions. »

Notes

(1) Le paysage associatif français. Mesures et évolutions – V. Tchernonog et L. Prouteau – Ed. Dalloz Juris Associations (mai 2019, 3e éd.).

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