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Une situation toujours plus difficile pour les défenseurs des droits

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Criminalisation, violences policières, harcèlement… Dans un rapport à charge, publié le 5 juin, Amnesty International revient sur la situation des personnes qui défendent à Calais et à Grande-Synthe les droits des migrants.

Après avoir assisté à des violences policières contre des bénévoles qu’il a filmées à Calais en juillet 2018, Tom Ciotkowski, un défenseur des droits britannique, a été placé en garde à vue 36 heures et poursuivi pour« outrage et violence ». Son procès devait s’ouvrir le 13 juin. Comme lui, de nombreux défenseurs des droits, qu’ils soient bénévoles ou salariés, ont été témoins ou ont fait l’objet, selon Amnesty International de violences et d’intimidation. Dans un rapport intitulé « La solidarité prise pour cible », rendu public le 5 juin, l’organisation non gouvernementale (ONG) décortique la politique mise en place 30 mois après le démantèlement de la « jungle de Calais » et pointe de nombreuses violations des droits des exilés.

« Les attaques dont font l’objet ces défenseurs des droits humains sont liées à la situation dans laquelle se retrouvent les personnes déracinées qui vivent dans la région de Calais et de Grande-Synthe. Des centaines de personnes – des adultes, des adolescents, des familles avec des enfants en bas âge – continuent d’arriver à cet endroit dans l’espoir de pouvoir se rendre au Royaume-Uni », soulignent les auteurs du rapport.

1 200 personnes toujours sur place

Car si la « jungle », qui comptait jusqu’à 6 500 personnes, a été évacuée en octobre 2016, le flux de personnes arrivant à Calais dans l’espoir de partir pour le Royaume-Uni ne s’est jamais véritablement tari. Il y aurait aujourd’hui environ 1 200 personnes vivant entre les campements de Calais et Grande-Synthe, près de Dunkerque. Elles viendraient, pour la plupart, d’Irak, d’Iran, d’Afghanistan, du Pakistan, d’Erythrée, d’Ethiopie et du Soudan. La politique mise en place depuis vise pourtant à ne créer aucun point de fixation : le nombre de camps et de tentes détruits à Calais et Grande-Synthe a augmenté depuis un an. Pas moins de 391 expulsions ont été comptabilisées pour les cinq premiers mois de 2019. Dans le même temps, les observateurs sur place pointent régulièrement l’absence de relogements suite aux évacuations, et l’absence d’accès aux services essentiels tels que l’eau courante et les installations sanitaires. De l’autre côté de la Manche, la position à l’égard des étrangers s’est aussi durcie. En janvier 2018, le traité de Sandhurst est venu renforcer les accords du Touquet de 2003 qui permettent aux autorités frontalières britanniques d’opérer des contrôles sur le sol français. En vertu de ce traité, Londres augmente sa contribution de 50 millions d’euros afin de « renforcer la sécurité des frontières » à Calais et dans d’autres ports.

Des centres d’accueil saturés

Face aux critiques, des maraudes régulières financées par l’Etat ont été mises en place pour permettre aux exilés d’accéder à des centres d’accueil et d’examen des situations (CAES) ou des centres d’accueil et d’orientation (CAO), où ils peuvent également obtenir des informations sur la procédure d’asile. Dans un rapport rendu en décembre 2018, le défenseur des droits a pourtant dénoncé le sous-dimensionnement de ces dispositifs et la saturation chronique des centres d’accueil. « Pendant une visite à Grande-Synthe, un jour de grand froid et de neige fin janvier 2019, Amnesty International a observé un groupe de plus de 20 personnes attendant d’être prises en charge à un point de rendez-vous près des camps. Environ 12 d’entre elles, dont deux familles avec de jeunes enfants, ont été laissées sur place sans aucune solution de repli, car les centres d’accueil étaient complets. Des associations indépendantes locales ont dû intervenir pour leur trouver un hébergement d’urgence en remplacement », soulignent les auteurs du rapport. En mars 2017, deux arrêtés municipaux ont été pris pour interdire des distributions alimentaires. Ils ont été annulés trois mois plus tard par un tribunal administratif qui a reconnu que la situation des migrants et réfugiés de Calais s’apparente à un « traitement inhumain et dégradant ». En avril 2019, la rapporteuse spéciale des Nations unies sur le droit à un logement convenable a fait part de ses inquiétudes concernant les expulsions systématiques à Calais sans solution d’hébergement d’urgence.

Des plaintes classées sans suite

Au manque de dispositifs et d’organisation de la vie sur place s’ajoutent les pressions et les violences perpétrées par les agents de police dont témoignent des migrants interrogés par Amnesty International. Confiscation des biens, destruction des tentes, mais aussi coups et humiliation ressortent des témoignages, comme celui de Suleyman(*), un Soudanais de 17 ans, qui raconte avoir été insulté, puis aspergé de gaz lacrymogène. Ibrahim(*), un Soudanais de 25 ans, explique à Amnesty International, avoir été arrêté par des policiers en civil, emmené en voiture et abandonné plus loin. Il a dû marcher huit heures pour revenir au camp. Mais peu de cas aboutissent à un dépôt de plainte, soit par crainte d’une expulsion, soit par manque d’informations ou par conviction qu’une plainte ne changera pas leur situation. De fait, seules 11 plaintes pour pratiques abusives de la police ont été reçues par le ministère de la Justice entre 2016 et 2017, dont la plupart ont été classées sans suite. D’autres organisations se sont également penchées sur la question des violences : Human Rights Watch dans un rapport publié en juillet 2017, Refugee Rights Europe dans une enquête en octobre 2017, suivis par quatre ONG en août 2018, qui se concentraient davantage sur le harcèlement subi par les travailleurs humanitaires.

Amnesty International y consacre également une partie de son rapport. « Autour de Calais et de Grande-Synthe, cela fait longtemps que des défenseurs des droits humains pallient les manquements de l’Etat français en offrant les services de base que celui-ci devrait assurer […]. Cependant, au lieu de reconnaître leur travail et de prendre leurs plaintes au sérieux, les autorités considèrent qu’ils se mêlent de ce qui ne les regarde pas et les traitent comme des fauteurs de troubles », regrette l’ONG. Depuis l’instauration de la politique « zéro point de fixation », les défenseurs des droits affirment subir de plus en plus de pression de la part des autorités qui tentent d’entraver leurs activités humanitaires, comme cela a été le cas lors des distributions de vivres à Calais tout au long de l’année 2017. Si depuis mars 2018, une distribution alimentaire quotidienne et financée par l’Etat a été instaurée, les intimidations se poursuivent. Amnesty International détaille : « Ces deux dernières années, ils se sont heurtés notamment à des campagnes de dénigrement, des arrêtés et instructions imposant des restrictions arbitraires qui déterminent où, quand et par qui l’aide peut être apportée, des propos injurieux, des menaces d’arrestation, des violences physiques et, dans certains cas, des placements en détention et des poursuites judiciaires pour différents motifs, tels que la diffamation, l’outrage et l’agression. » En témoigne le cas du Secours catholique (Caritas France) de Calais. Les membres du personnel et les bénévoles ont été victimes de harcèlement de la part des autorités : début 2017, une benne a été installée par la municipalité à l’entrée de leurs bureaux et de leur entrepôt afin d’empêcher la livraison de douches sur le site. Une salariée a été arrêtée, soupçonnée de faire « passer illégalement des migrants », avant d’être relâchée sans inculpation. D’autres membres d’associations et de bénévoles décrivent des contrôles d’identité incessants, des gardes à vue, parfois sans motif juridique justifiant la détention. « Nous avons constaté une multiplication des manœuvres d’intimidation à l’encontre des bénévoles en avril et en mai 2018. De nouvelles méthodes de harcèlement sont apparues : jusque-là nous avions recensé de nombreux contrôles d’identité et contraventions de stationnement, mais en avril et en mai, il y a eu aussi plusieurs fouilles au corps, pratiquées en particulier sur des femmes bénévoles, souvent par des policiers de sexe masculin. On a aussi assisté à une escalade des insultes, et des gens ont été poussés, parfois au point de tomber. Début juin, une bénévole a été tenue à la gorge. Et ces derniers temps, nous avons reçu plus de menaces de poursuites judiciaires, ainsi que de menaces d’arrestation », explique Eléonore Vigny, chargée du travail de plaidoyer et des questions juridiques pour l’Auberge des migrants, et citée par Amnesty International. Selon un registre des incidents tenu par les organisations locales, 73 incidents ont été répertoriés entre juillet et décembre 2018. Mais pour l’heure, aucune mesure préventive ne semble avoir été prise pour empêcher ces comportements, indique l’ONG.

Des recommandations à l’échelle européenne

Amnesty International plaide pour un partage équitable des responsabilités au niveau européen en matière de protection des demandeurs d’asile et des réfugiés. Elle invite l’Union européenne à améliorer les procédures de regroupement familial et à accroître les possibilités d’intégration. En ce qui concerne les autorités britanniques, elle recommande surtout de permettre à un plus grand nombre de personnes migrantes, demandeuses d’asile et réfugiées, d’accéder au Royaume-Uni par le biais de voies sûres et légales. L’ONG demande également à la France de reconnaître publiquement le rôle que jouent les défenseurs des droits humains, de veiller à ce que toute information faisant état de violation des droits humains à l’encontre d’étrangers et de défenseurs des droits humains donne lieu à une enquête, et d’assurer à toutes les personnes déracinées l’accès à des conditions de vie décentes.

Notes

(*) Les prénoms ont été modifiés.

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