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“Un management maltraitant aboutit à un accompagnement maltraitant”

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Victime d’un burn-out, Laurent Guenebaut a quitté la protection de l’enfance pour devenir formateur. Ce professionnel engagé invite dans un ouvrage les travailleurs sociaux à être fiers de ce qu’ils font et à ne pas se taire, afin de ne pas perdre le sens de leur travail.

Le livre de Laurent Guenebaut commence par une anecdote. Un jour, alors qu’il emmène des adolescents en pique-nique au bord d’un lac, certains lui demandent de faire du pédalo avec eux. Problème, il a peur de l’eau mais n’ose pas leur avouer, de crainte de leur dévoiler une part de son intimité et de n’être plus crédible à leurs yeux. Il choisit finalement de leur dire : « A partir de ce moment-là, le groupe ne se moqua pas, bien au contraire. Les jeunes tentaient de me rassurer jusqu’à la rive et restaient attentifs à leurs gestes. Depuis cet épisode, j’ai compris que la “bonne” distance ne se met pas entre soi et l’autre, mais juste entre soi et sa propre capacité à accompagner la personne, à être authentique et à accepter d’apprendre et de recevoir d’elle. » Cette philosophie, Laurent Guenebaut continue de la mettre en pratique, quitte à « l’ouvrir », comme il dit. Et à y laisser des plumes.

En 2014, âgé de 50 ans, il s’effondre. « Le burn-out, c’est une rencontre entre une organisation qui dysfonctionne et un professionnel très investi qui, à un moment, se retrouve seul », affirme t-il. Impliqué dans son travail, ce professionnel l’est depuis longtemps. Il a 32 ans quand il s’inscrit à l’institut régional de travail social de Dijon pour devenir moniteur-éducateur. Diplôme en poche, il intègre un centre éducatif et professionnel réputé difficile, dans lequel il devient chef de service. Il exerce ensuite cette fonction dans une maison d’enfants à caractère social (Mecs), où il participe à la création d’un service à domicile parents-enfants. « C’était très nouveau sur le département », souligne-t-il. Il impulse également la mise en place d’un lieu d’accueil et d’écoute à la parentalité et ouvre un espace de rencontre parents-enfants séparés sous la forme d’une association dont il est toujours président.

« Les professionnels s’essoufflent »

De fil en aiguille, l’homme devient directeur adjoint d’un service de prévention familiale. Et c’est là que tout bascule : « J’ai suggéré d’organiser des groupes de travail, dont un sur la place des personnes accueillies et accompagnées, en leur présence ou celle de leur famille. L’idée a été retenue, mais alors que les éducateurs étaient satisfaits de cette initiative, certains cadres m’ont reproché de donner trop de pouvoir aux usagers. La directrice générale m’a même suspecté de vouloir prendre sa place et l’a fait savoir. » Laurent Guenebaud tombe des nues tant la relation d’aide est au centre de sa vie : « L’accueil et l’accompagnement sont le cœur de notre métier. Il n’est pas concevable pour moi de ne pas interroger nos pratiques en faisant participer le public concerné et les équipes de terrain. » Cassé, il part en vacances, mais, à son retour, silence total. Quelques critiques sur l’institution étaient remontées des bénéficiaires, mais pas question pour la direction de remettre quoi que ce soit en cause ou de faire preuve de « réflexibilité ». Pire, Laurent Guenebaud, dont l’objectif est d’œuvrer pour le collectif, se voit renvoyer à une volonté de pouvoir, le contraire de ce qu’il est. Sans soutien de l’équipe dirigeante, il commence à tourner en boucle, à broyer du noir, à culpabiliser, à se dire que son travail n’est pas reconnu, à se sentir impuissant à faire bouger les choses… Une seule collègue est venue le voir, pour lui dire, fataliste : « Ce management est malveillant mais on n’y peut rien. » Deux mois plus tard, son médecin lui prescrit un arrêt de travail qui durera dix-huit mois. « J’ai vécu six mois d’enfer car, en cas de burn-out, en plus de l’effondrement psychologique, le corps parle. Je ne pouvais plus bouger, j’avais très mal au dos. »

Laurent Guenebaud n’est jamais revenu travailler dans cette structure : « Un management maltraitant ne peut aboutir qu’à un accompagnement maltraitant. » L’année dernière, il a fondé son entreprise de formation dans le secteur de l’éducation spécialisée. Pour autant, il ne regrette rien de son expérience : « La participation des usagers, ce n’est pas juste leur demander la couleur qu’ils souhaiteraient sur les murs. Dans l’éducation spécialisée en protection de l’enfance, il y a des conseils départementaux qui font des réunions sans les familles ou en les invitant juste à la fin. Penserait-on qu’elles ne peuvent pas tout comprendre, comme je l’ai entendu parfois ? C’est grave. Lors de ces échanges, nous allons apporter nos outils de professionnels et les familles vont apporter leur expertise par rapport à leur enfant. Elles ont autant de savoir que nous, voire plus, mais il est différent et pas assez valorisé. »

Une crise de sens

Le désormais formateur le répète : « Dans la relation d’aide, on travaille avec de l’humain. » Que ce soient les personnes accompagnées ou les équipes de travailleurs sociaux. Une réalité qui ne fait pas forcément bon ménage avec les objectifs de gestion comptable des directions d’établissement et des tutelles, que Laurent Guenebaut dénonce. « Avant, on pouvait négocier avec les responsables de l’aide sociale l’arrivée en urgence d’un jeune dans une structure déjà sous tension et, éventuellement, la reporter. Aujourd’hui, ce n’est pas possible, vous êtes face à des gens qui ne connaissent pas le travail de terrain. Ils raisonnent en gestionnaires et en termes de remplissage. » Résultat, les professionnels s’essoufflent. « On leur demande de faire mieux avec moins, cela engendre un malaise et une crise de sens », déplore Laurent Guenebaut, qui constate que, ces cinq dernières années, beaucoup de travailleurs sociaux quittent le métier. En cause, selon lui, la solitude professionnelle, l’épuisement moral et physique, aussi lié à l’énergie mise en place pour ne pas sombrer, le manque de soutien et de cohérence des hiérarchies directes, lesquelles se noient ou se réfugient derrière les contraintes administratives, les impératifs financiers, l’urgence toujours plus grande, l’obligation de résultats…

Malgré tout, l’ancien éducateur ne baisse pas les bras. Au contraire, il encourage les professionnels à ne pas se taire et à être des « impertinents constructifs ». Mais il comprend la difficulté, dans un monde du travail où l’individualisme a pris le pas sur le collectif et où les salariés ont peur de perdre leur emploi. « Lorsqu’on dit ce que l’on pense, que l’on s’oppose, on se retrouve isolé, c’est ce que j’ai vécu. Pourtant, un des axes centraux de nos métiers repose sur l’intelligence collective, même si travailler ensemble ne se décrète pas. Le manager a une grosse responsabilité dans l’affaire. Il est le garant de la sécurité physique et mentale de ses salariés, il ne faut pas l’oublier », rappelle-t-il. Et d’ajouter : « Il n’y a rien de mieux pour diviser les salariés que d’avoir mis en place une évaluation individuelle annuelle. Moi, je plaide pour une évaluation collective et pour que les salariés puissent évaluer aussi leur hiérarchie. »

Après son burn-out,

Laurent Guenebaud a écrit Petit traité du bien-être au travail. Comment redonner un visage humain au travail social ? (éd. du Panthéon, 2018). Et a créé son entreprise de formation pour les professionnels de la relation d’aide. Site : www.concilioformations.fr.

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