« Nos pratiques sont souvent trop tutélaires et paternalistes », expose Pascal Mariotti, président de l’Association des établissements du service public en santé mentale, en introduction de la journée d’études de l’Orspere-Samdarra. « Les usagers insistent sur le fait de choisir leur type de logement, d’avoir un appartement à soi. Pas une collectivité rassemblant des personnes présentant des troubles psychiques. » Autrement dit, « le modèle idéal, quand on les écoute, est proche du “Un chez-soi d’abord” ». Ce dispositif « postule que le logement est un droit fondamental et que si une personne souhaite occuper un logement, il ne doit rien lui être demandé de plus que ce qui est demandé dans le droit commun », fait valoir Pascale Estecahandy, coordinatrice technique nationale d’« Un chez-soi d’abord » à la délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement (Dihal). « A cela s’ajoute un principe de rétablissement, d’accompagnement, d’appropriation du pouvoir d’agir. »
Ne rien demander de plus : pour les personnes souffrant d’addictions ou de troubles de santé mentale, cela revient, entre autres, à ne pas conditionner l’accès au logement à une obligation de soins. Jean-François Krzyzaniak, ancien sans-abri alors alcoolique, se souvient « des travailleurs sociaux qui me disaient : “Vous allez d’abord faire une cure de désintoxication, ensuite on vous trouvera un logement !” Mais moi je ne voulais pas aller en cure. Je voulais d’abord trouver un emploi… » Dans les approches « Logement d’abord » et « Un chez-soi d’abord », « le logement n’est pas que le lieu de mise à l’abri, mais celui où l’on peut se soigner. Il peut ainsi être repensé comme le lieu d’une intervention et de la rencontre entre professionnels », observe la sociologue Mathilde Sorba.
Rétablissement, « empowerment », approche axée sur les forces : les termes sont multiples pour désigner une volonté commune : laisser place à l’autonomie de la personne accompagnée. Virginie Bulliod, travailleuse sociale à LAHso, présente la mise en place « d’un travail de multiréférence dans le cadre d’une mission de rétablissement » au sein de cette association lyonnaise de réinsertion sociale. La personne est désormais « accompagnée par un service plutôt que par un référent ». Surtout, « nous partons du principe que la personne est garante de son projet et de son parcours ». Cela étant, laisser la personne décider pour elle-même nécessite une certaine posture professionnelle : « Une confiance, une ouverture de l’attention sur les savoirs, capacités, souhaits et valeurs de la personne accompagnée », liste Elodie Gilliot, psychologue et doctorante autour des questions du pouvoir d’agir.
La dynamique participative de l’usager n’est pas nouvelle. Selon Mathilde Sorba, elle est engagée depuis les années 1990 mais a rencontré ses limites : « Lorsqu’elle prend une forme trop institutionnalisée, elle peut être vécue comme une injonction à participer. » Le collectif des SDF de Lille, grâce au travail pair, évite cet écueil. Lorsqu’il s’agit de l’aider à accéder à un logement privé, « on demande à la personne où elle veut habiter, car quand on est dans la rue, il y a certains quartiers où l’on n’a pas envie de remettre les pieds », précise le président Dominique Calonne. Une fois la location trouvée, « les personnes concernées sont actrices : on n’a pas de bail glissant, c’est à leur nom ! » Un accompagnement est mis en place pour trois à six mois. Il cesse lorsque le bénéficiaire n’est plus demandeur, mais peut reprendre plus tard en cas de besoin. Sur plus de 450 personnes relogées depuis 2012, seuls trois cas de retour à la rue ont été décomptés. Le temps de l’adaptation dans le logement est aussi à respecter. Devenu sous-locataire grâce à une association, Jean-François Krzyzaniak se rappelle : « J’ai mis six mois à ne plus ramener des cartons de la rue pour dormir avec dans l’appartement. Puis il y a eu cinq à six mois pendant lesquels je dormais dans le lit, mais avec mon sac de couchage et mes deux chiens. Au bout d’un an, j’ai fait mon lit normalement. Ce n’est pas toujours accepté… Pourtant, c’est comme ça que ça a marché. J’ai pu réapprendre à habiter. »
« Attention, la vision capacitaire doit être adossée à une réduction des risques : les capacités peuvent être aussi celles de (se) nuire », met en garde Thomas Bosetti, médecin psychiatre et coordinateur de projets à Médecins du monde. Notamment en ce qui concerne les risques liés aux addictions. Parmi les personnes que son équipe accompagnait au sein du dispositif « Un chez-soi d’abord » à Marseille, « toutes celles qui sont décédées étaient consommatrices d’opiacées ». D’où son interrogation : « Nous n’avons rien conclu sur la question suivante : est-ce que l’on fait courir un risque pour la vie des personnes avec “Un chez-soi d’abord” ? Avoir une vision capacitaire c’est très bien, mais il ne faut pas que cela revienne à une forme d’abandon des personnes dans les appartements. » Se pose la question de la contrainte de soins alors même que l’usager n’est pas demandeur. Entre paradigme de l’autonomie et nécessité d’agir en situation d’urgence, un équilibre est à trouver dans la posture professionnelle.