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Personnes handicapées, des patients de seconde zone ?

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L’accès aux soins des personnes en situation de handicap est un véritable parcours du combattant. Les nombreux obstacles sont identifiés de longue date, mais il manque encore la volonté des différents acteurs d’en faire une réelle priorité.

En mars dernier, 22 % des personnes vivant avec un handicap ont subi un refus de soin, selon le questionnaire Handifaction conçu par l’association Handidactique pour permettre de savoir si les personnes vivant avec un handicap ont été correctement prises en charge au cours des deux derniers mois. Les refus de soins concernent pour 13,1 % des cas les médecins généralistes en ville, pour 28,5 % les spécialistes, l’hospitalisation à domicile pour 20,1 %, les maisons de santé de proximité pour 10,2 % et l’hôpital pour 16 %. « La personne handicapée a pour réflexe d’aller se faire soigner à l’hôpital quand ce n’est pas aux urgences. Si la médecine de ville continue à faire des refus de soins, cela embolisera l’hôpital », souligne Pascal Jacob, fondateur de l’association Handidactique et instigateur de la charte « Romain Jacob » intitulée « Unis pour l’accès à la santé des personnes en situation de handicap ». Le 11 mars, un collectif composé d’associations, dont deux du champ du handicap (APF France handicap et Unapei), a dénoncé « les pratiques illégales de refus de soin » dont sont victimes les personnes handicapées, mais également les bénéficiaires de la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C), de l’aide à l’acquisition d’une complémentaire santé (ACS) et de l’aide médicale de l’Etat (AME).

Pour accéder à des soins, les personnes handicapées doivent franchir plusieurs obstacles : l’insuffisance de l’offre de soins, l’inadaptation fréquente des locaux et du matériel médical aux spécificités du handicap, le niveau élevé des restes à charge ou des avances de frais, les difficultés de communication, la place insuffisante accordée à l’entourage du patient et à son expertise propre, les problèmes d’articulation et de coordination des professionnels des secteurs sanitaire, médico-social et social. Un parcours du combattant qui peut conduire à un renoncement aux soins, à des retards et à des besoins de soins alourdis du fait d’une dégradation de l’état de santé. De nombreux rapports et études ont mis en exergue ces freins : le rapport « Pascal Jacob » en 2013, le rapport « Zéro sans solution » de Denis Piveteau en 2014, une étude de l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (Irdes) parue en 2015. Le dernier éclairage sur cette problématique a été apporté, fin 2018, par le rapport remis au Parlement par Philippe Denormandie, membre du conseil de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), et Marianne Cornu-Pauchet, directrice du fonds CMU sur « l’accès aux droits et aux soins des personnes en situation de handicap et des personnes en situation de précarité ». « L’accès à la santé des personnes handicapées, à la prévention, aux vaccinations…, jusqu’à maintenant, tout le monde s’en fout », a déploré Philippe Denormandie, le 23 mars dernier, lors d’un « café Nile », débat organisé par l’agence de conseil éponyme. Selon lui, cette question intéresse peu le secteur médico-social et les associations. « Jusqu’à récemment encore », expliquait-t-il, la CNSA renvoyait le sujet vers la Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam) qui, elle-même, renvoyait vers la direction générale de la cohésion sociale (DGCS), laquelle passait la « patate chaude » à la direction générale de l’offre de soins (DGOS)…

La formation, clé de voûte

Les difficultés perçues par les personnes handicapées dans le cadre de leurs parcours de soin sont en partie liées à une mauvaise formation des professionnels de santé, peu à l’aise avec la situation de handicap. Etablie en décembre 2014, la charte « Romain Jacob » décline 13 objectifs, et engage notamment ses signataires à mettre en œuvre une formation pluridisciplinaire et pluriprofessionnelle pour proposer à ce public un accès aux soins équitable et de meilleure qualité. « Il est important que les futurs professionnels de santé prennent conscience de ce qu’est le handicap, considère Philippe Denormandie. Le service sanitaire, mis en place dernièrement, peut permettre aux étudiants de se rendre dans des établissements médico-sociaux, d’être au contact de personnes en situation de handicap et de se rendre véritablement compte de leur présence. Il faut encourager les établissements accueillant les personnes en situation de handicap à ouvrir leurs portes aux étudiants. Le monde associatif doit être plus agressif à ce niveau-là, pour permettre aux futurs professionnels de santé de réfléchir différemment. »

Pascal Jacob explique que ce manque de formation est en passe d’être levé. « Tous les étudiants en médecine vont avoir un stage obligatoire dans un lieu de vie pour personnes handicapées qui sera pris en compte dans les examens de fin de deuxième année. Depuis trois ans, c’est le cas dans l’université de médecine de Reims, et cela donne des résultats spectaculaires, se satisfait-il. On constate une baisse de moitié des refus de soins, deux fois moins de refus de l’accompagnant, trois fois plus de personnes vivant avec un handicap à qui les soignants expliquent le soin et une prise en compte de la douleur deux fois supérieure au reste du pays. »

Tarification des actes

Pour améliorer l’accès aux soins des personnes handicapées, il va falloir également faire sauter le verrou économique. « La notion chronophage des soins aux personnes en situation de handicap n’est pas accompagnée par des aides de l’Etat. La France est l’un des seuls pays où il y a la même tarification des actes pour les personnes vivant avec un handicap que pour celles valides », fait remarquer Pascal Jacob. Avant d’ajouter : « Il n’y a pas de réelle analyse objective des besoins financiers pour couvrir économiquement l’accès aux soins des personnes vivant avec un handicap en termes d’aide, de temps, d’une organisation de l’accueil en salle d’attente. » La convention médicale des médecins libéraux de 2016 devrait faire bouger les lignes puisqu’elle prévoit des majorations de rémunération pour la prise en charge de ce public.

« Comme pour les professionnels libéraux, une valorisation pour les établissements sanitaires – médecine, chirurgie, obstétrique (MCO), hospitalisation à domicile (HAD) – est nécessaire pour assurer l’accès aux soins dans ces structures et prendre en compte les spécificités (accompagnement humain, environnement adapté…) et pour maintenir l’autonomie des personnes en situation de handicap ou de précarité pendant leur parcours de soins durant leur hospitalisation », notait le rapport « Denormandie-Cornu ».

Des évolutions de tarification sont déjà entrées en vigueur. Ainsi, l’article 12 de l’accord signé entre l’assurance maladie et les représentants des dentistes prévoit, depuis le 1er avril, une majoration spécifique pour les séances de soins dentaires dispensés aux patients en situation de handicap lourd. « Les patients bénéficiaires de l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé ou de la prestation de compensation du handicap, atteints de handicap physique, sensoriel, mental, cognitif ou psychique sévère, d’un polyhandicap ou d’un trouble de santé invalidant », précise l’Ordre des chirurgiens-dentistes.

Consultations dédiées

Même s’ils n’ont pas vocation à remplacer l’obligation d’accessibilité des dispositifs de droit commun, la mise en œuvre de dispositifs de consultations de soins courants dédiées aux personnes en situation de handicap en échec de soins en milieu ordinaire a été prévue par une circulaire d’octobre 2015. Pensés pour les maisons de santé pluriprofessionnelles, les centres de santé ou les établissements de santé (en fonction de l’offre de soins présente sur les territoires), ces dispositifs sont censés proposer des consultations dans un cadre adapté (accessibilité des locaux, équipements adaptés, formation des professionnels…) et faciliter l’accès aux soins courants dans les conditions du droit commun. Un des enjeux de ces consultations est également l’articulation avec le secteur médico-social afin de garantir l’accès aux soins aux personnes en situation de handicap. La circulaire précise : « Ce dispositif de consultations dédiées doit également aboutir à ce que les ESMS [établissements sociaux et médico-sociaux] soient acteurs de l’accompagnement à la santé et de l’accès aux soins des personnes qu’ils suivent ou accueillent, afin qu’elles puissent être actrices de leur santé. Les ESMS doivent être associés à différents moments : en amont de la consultation pour la préparer, pendant si nécessaire, et après la consultation. » Toutefois, ces consultations dédiées sont encore peu nombreuses sur les territoires, même si, pour les développer, la DGOS a alloué des crédits du fonds d’intervention régional (FIR) à hauteur de 10 millions d’euros. Et les agences régionales de santé ont accompagné leur déploiement plus ou moins rapidement. Le centre hospitalier d’Annecy-Genevois a été le premier à mettre en place un dispositif Handiconsult « pour répondre aux attentes et apporter une plus-value dans l’accès aux soins courants » aux enfants et aux adultes lourdement handicapés résidant en institution ou à domicile et en échec de soins en milieu ordinaire. D’autres plateformes Handiconsult ont suivi à Nice, à Montpellier, à Marseille, à Lyon ou récemment à l’hôpital de Brioude (Haute-Loire). Pour répondre à de nombreuses sollicitations des acteurs de terrain, le pôle de psychiatrie du groupe hospitalier de La Rochelle – Ré – Aunis a monté le dispositif « Cap soins 17 » afin de faciliter l’accès aux soins somatiques aux personnes handicapées psychiques, autistes ou souffrant de troubles apparentés.

Peu de consultations gynécologiques

Des progrès restent à faire, notamment dans l’accès des femmes en situation de handicap à une prise en charge gynécologique et obstétricale. Comme l’indique le rapport « Denormandie-Cornu », la probabilité moyenne de recours des femmes à des soins gynécologiques est de 49 % en population générale, mais ne s’élève qu’à 37 % pour les femmes déclarant des limitations motrices, à 30 % pour celles en fauteuil roulant et à 40 % pour celles déclarant des limitations cognitives. Actuellement, rares sont les consultations de soins gynécologiques dédiées aux femmes handicapées. A Paris, on en recense seulement deux : la consultation « parentalité et handicap » de l’institut mutualiste Montsouris et celle du groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière. La Fondation hospitalière de la Miséricorde a lancé, le 22 mai, le dispositif Handiconsult dans sa clinique à Caen pour permettre aux femmes en situation de handicap (physique, mental, psychique, inné ou acquis) de bénéficier de consultations gynécologiques adaptées dès l’âge de 16 ans. Le rapport « Denormandie-Cornu » préconisait « d’établir un état des lieux partagé de consultations dédiées pour, le cas échéant, augmenter leur nombre ». Le déploiement de cette offre complémentaire ne supprime pas la nécessité d’une réflexion globale sur l’accès des personnes handicapées aux dispositifs de soins de droit commun.

Favoriser l’accès au dépistage du Cancer

Selon une étude de l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (Irdes), les personnes en situation de handicap ont un recours réduit aux dépistages des cancers du col de l’utérus et du côlon ainsi qu’à la mammographie (voir interview page 26). Alors que, pour la population générale, les campagnes de dépistage des cancers sont financées directement par l’assurance maladie, elles se voient incluses dans le budget des établissements médico-sociaux pour les personnes handicapées prises en charge. « Dès l’automne 2019, la prise en charge des programmes organisés de dépistage des cancers du sein, du col de l’utérus et du côlon ne relèvera plus du budget mais du droit commun de l’assurance maladie », a annoncé, le 25 mars, le comité interministériel pour la santé.

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