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Isic, espace privilégié de l’empowerment

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Sylvie Kowalczuk, assistante sociale, revient sur la notion d’intervention sociale d’intérêt collectif (Isic). Un outil important, selon elle, dans l’accompagnement de l’usager, qui est mis au cœur de la démarche. Elle y a d’ailleurs consacré un ouvrage(1).

« L’intervention sociale d’intérêt collectif (Isic) est un concept né dans les années 1980, mais le travail social de groupe existait déjà dés le XIXe siècle sous des formes différentes, et notamment les maisons sociales où l’on organisait des actions collectives, formation ou information en direction de la population. L’Isic regroupe le travail social de groupe, le travail social communautaire, le développement social local.

Aujourd’hui, l’Isic est un outil du travailleur social dans l’accompagnement de la personne. Elle est considérée comme favorisant la co-construction permettant de visualiser la problématique, les objectifs à fixer, les moyens pour les atteindre, en stimulant la part active de l’usager dans le processus de changement de sa situation. En cela, elle peut être considérée comme espace privilégié de l’empowerment.

Le concept d’empowerment émerge en travail social dans les années 1970, à la faveur d’un ouvrage signé Barbara Solomon(2). Ce concept est inspiré également par les travaux de Paulo Freire qui prône la conscientisation de la problématique de la personne et de son état de sujet. Anne Emmanuelle Calvès dans son article “Empowerment” explique que le concept d’empowerment prend sa source dans l’oppression des minorités et des plus précaires aux Etats-Unis. Le concept d’empowerment s’applique à considérer les destinataires des projets d’aide au développement “comme des acteurs plutôt que des récipiendaires passifs”(3). L’empowerment peut être partiellement traduit par le pouvoir d’agir des personnes. Au sein d’un groupe, il prend tout son sens.

Le travailleur social est le professionnel le plus indiqué pour établir un diagnostic. En effet, l’analyse des problématiques récurrentes observées sur le terrain par le professionnel, et son expertise, sont seules à même de favoriser la verbalisation par les usagers pressentis, de leur désir de changement. Il ne s’agit donc pas là de répondre à une commande institutionnelle, une injonction du haut vers le bas, mais de répondre à un processus de transformation qui prend déjà forme dans la conscientisation de sa problématique. Le professionnel se place dans la maïeutique, recherchant à faire naître chez la personne le sens véritable de son désir d’évolution. C’est là où s’affiche la récurrence des problématiques similaires que va se former la nécessité de proposer l’Isic.

Cristina De Robertis indique que “cette méthode a comme objectifs :

• de créer des réponses collectives à des problèmes collectifs ;

• de faciliter l’accès aux ressources existantes et en créer de nouvelles ;

• de développer l’autonomie personnelle et sociale par la participation citoyenne des personnes ;

• de dynamiser la vie sociale”(4).

Une adaptation permanente

L’Isic demande au travailleur social d’adapter sa posture habituelle aux objectifs de l’intervention qui tend à faire naître l’empowerment, et ainsi de s’éloigner de la posture de l’expert derrière son bureau. Mon expérience en la matière m’a permis d’observer très rapidement que l’usager adopte, quant à lui, une posture plus volontaire, laissant grandir et se développer toutes ses potentialités habituellement sclérosées par des procédures standardisées. Chaque entité en présence trouve sa place. Lors des séances, les membres du groupe s’approprient peu à peu l’espace, le temps, les sujets abordés. Le professionnel accepte d’être bouleversé dans ses habitudes de fonctionnement. Les membres du groupe passent facilement par le tutoiement, par exemple. Le professionnel adapte sa posture en permanence parce qu’il est vigilant dans les interactions qui se créent au fil des séances. Au début, il sera plutôt directif, s’appliquera à rechercher avec les participants un cadre de fonctionnement. Il visera à supprimer tout ce qui peut parasiter le bon déroulement des séances. Puis il ne sera plus qu’un guide, stimulant le pouvoir d’agir du groupe et de chacun de ses membres. Claire Jouffray, dans son ouvrage Développement du pouvoir d’agir, invite les travailleurs sociaux “à lâcher prise sur leur envie de résoudre tous les problèmes”(5). Elle prône la transformation du travailleur social-expert, en travailleur social-agent de changement. Dans cette posture, le professionnel considère les ressources de la personne et non plus ses problèmes. L’usager s’autorise naturellement à faire évoluer sa situation : “L’usager prend appui sur le groupe pour échanger sur son mal-être, sa problématique. Il se sent valorisé grâce au groupe. Il peut ainsi se tourner vers l’extérieur et mieux habiter sa citoyenneté”(6). La personne est reconnue dans ce qu’elle vit. Germain Duclos le confirme : “Nous avons besoin d’être reconnu pour exister”(7). La personne a le sentiment d’appartenir à un tout, ce qui est une notion primordiale dans l’estime de soi, élément sur lequel la personne pourra prendre appui pour aller vers l’extérieur, prendre des décisions importantes pour elle-même… Le climat de liberté qui existe dans le groupe laisse toute latitude à ses membres pour s’autoriser des aspirations nouvelles, des voies de progression inédites. Le groupe a le pouvoir fabuleux de rendre la personne actrice sur le chemin qu’elle se sera fixée. Par sa force “thérapeutique”, comme le nomme Carl Rogers, son espace sécure, son climat de liberté, la rencontre authentique advient, favorisant le processus de changement. Le groupe est tout à la fois stimulant, bouleversant, émouvant. Il est une réponse à l’isolement et “il aide l’individu à s’adapter au changement”(8). Il est source de bien être.

Au plus près de l’usager

Pour le professionnel, l’intervention sociale d’intérêt collectif est un espace de valorisation, de liberté. Elle permet une approche au plus près des besoins de l’usager. L’intervention n’est pas parasitée par des procédures lourdes ne prenant pas en compte l’unicité de la personne, et de sa situation. Le professionnel n’est pas contraint par des injonctions, des délais, des démarches administratives. Le travailleur social est au cœur de l’essence même de sa profession, ce qui fait le sens du travail social. Il est dans la relation d’aide avec l’usager au sens d’accompagner la personne vers où elle va, et non vers où elle devrait aller selon un paradigme convenu, en complétant des imprimés, des prescriptions. Dans l’intervention sociale d’intérêt collectif, il n’existe pas de cases dans lesquelles faire rentrer les gens à tout prix. Il y a des personnes, toutes différentes et uniques, et des aspirations singulières. C’est un outil extrêmement efficace dans l’accompagnement social car il produit un lien de confiance quasi immédiat, favorisant un accompagnement plus efficient dans le cadre de l’intervention sociale d’aide à la personne (Isap). Le va-et-vient entre Isic et Isap permet une évolution rapide. La verbalisation des freins et des désirs de changement devient naturelle. La co-construction prend toute sa force dans cette relation entre groupe, individu et professionnel. Ainsi mobilisée par l’Isic, la personne s’appuie sur l’existant pour poursuivre sa démarche d’insertion et de mieux-être.

Un dispositif à peu de frais

Pour l’institution, l’Isic est possible à peu de frais. Elle permet un accompagnement efficient rapidement, entraînant ainsi des économies substantielles. Elle rend visible un travail social positif où les personnes se montrent actives, et où le changement est directement mesurable. Ainsi, au travers de mon expérience, j’ai pu constater des sorties durables du dispositif du revenu de solidarité active. L’intervention sociale d’intérêt collectif se présente donc comme un outil peu onéreux, vecteur d’économie et de valorisation d’une politique sociale efficiente. La seule condition de réussite est de laisser le temps nécessaire au travailleur social pour s’investir dans cet outil qui a déjà fait ses preuves depuis longtemps et pour lequel il a toutes les compétences requises. »

Notes

(1) Oser l’Isic, espace de liberté et de créativité – Editions de l’EHESP, 2018.

(2) Black Empowerment : Social Work in Oppressed Communities – Columbia University Presses, 1976.

(3) Anne-Emmanuelle Calvès – « Empowerment », Revue tiers monde 2009/4 n° 200, p. 735-749.

(4) Sylvie Kowalczuk, op. cit., préface de Cristina De Robertis – p. 10.

(5) Presses de l’EHESP, 2014, p. 23.

(6) Sylvie Kowalczuk, op. cit. p. 45.

(7) Germain Duclos –  L’estime de soi, un passeport pour la vie – Editions du CHU Sainte Justine, 2010, p. 105.

(8) Rogers Carl, « Le groupe de rencontre, animation et conduite d’un groupe », InterEditions, 2006, p. 167.

Contact : kwkstella@gmail.com

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