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RSA contre bénévolat, « travail gratuit » sous contrainte ?

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A la suite du département du Haut-Rhin, les Alpes-Maritimes expérimenteront à partir de juillet un dispositif d’heures de « volontariat » en Ehpad par des bénéficiaires du RSA, en contrepartie du versement de leur allocation. Outil de retour vers l’emploi ou travail non rémunéré imposé ?

Dès juillet prochain, les bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA) dans les Alpes-Maritimes se verront proposer des heures de « volontariat » en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) en échange du versement de leur allocation. Le département souhaite « encourager les personnes éloignées de l’emploi à y revenir, tout en apportant des éléments de réponse au manque de moyens, notamment en personnels, des Ehpad ». Durant deux mois, les bénéficiaires pourront occuper des activités d’animation non rémunérées auprès des résidents, à hauteur de trois heures par jour, trois jours par semaine. Précurseur, le département du Haut-Rhin avait provoqué une levée de boucliers du monde associatif en annonçant, en février 2016, vouloir imposer des heures de bénévolat aux bénéficiaires du RSA. Retoqué, puis validé par le Conseil d’Etat, le dispositif se base désormais sur du « volontariat » et ne porte plus de caractère obligatoire.

« Une mesure qui place des devoirs en face des droits », se satisfait le département des Alpes-Maritimes sur son site. Tout en bas, une petite ligne indique : « Dans le cadre du respect des devoirs liés à la perception du RSA, les personnes ne respectant pas leur contrat d’engagement réciproque seront susceptibles de voir leur droit au RSA suspendu. » Entre bénévolat obligatoire et volontariat, la frontière est-elle si claire ? Camille Morini, directeur de l’insertion et de la lutte contre la fraude au département des Alpes-Maritimes, affirme que rien n’est obligatoire : « On respecte la loi. » Mais il confirme la possibilité de suspendre le versement de l’allocation si le contrat de bénévolat n’est pas respecté. Tout en refusant de donner plus de détails : « Je ne souhaite pas que l’on communique là-dessus : nous ne sommes pas sur de la répression. » Pour certains responsables associatifs, la notion de « volontariat » est dévoyée. « Beaucoup de choses vont se jouer dans le dialogue avec le conseiller CAF. Or quand on est au RSA, on est souvent dans une perte d’estime de soi, de repères… Démuni, le bénéficiaire va avoir du mal à refuser. Il s’agit de relations de pouvoir qui ne sont pas égalitaires ! », estime Jean-Christophe Sarrot, responsable du réseau « travail » à ATD quart monde.

Zéro bilan réel

Sur les plus de 23 000 bénéficiaires du RSA des Alpes-Maritimes, le département espère en faire participer une centaine aux premiers mois d’expérimentation. Des personnes « relativement éloignées de l’emploi » qu’il s’agit d’« immerger en situation professionnelle afin d’éveiller quelque chose chez eux », précise Camille Morini. L’idée reste, répète-t-il, de « proposer le plus possible des opportunités de mise en situation professionnelle ». L’objectif affiché est le retour à l’emploi, ou au moins la réinsertion. « On est un peu sur l’idée d’un chantier d’insertion », soutient le responsable.

« Le but n’est pas de réinsérer les gens, mais de les faire travailler gratuitement ! », réagit Pierre-Edouard Magnan, président du Mouvement national des chômeurs et précaires (MNCP). De fait, le dispositif dit de « volontariat » est loin d’avoir fait ses preuves en termes d’insertion professionnelle. Aucun bilan chiffré n’a été fait de l’expérimentation renouvelée dans le Haut-Rhin. « Nous avons toujours les effets d’annonce, mais jamais les évaluations ni les retours terrain faits avec les professionnels et les bénéficiaires… », pointe Jean-Christophe Sarrot. Si des rencontres avec les départements porteurs de ce dispositif, dont le Haut-Rhin, sont prévues les 6 et 7 juin, Camille Morini lui-même reconnaît que l’on ne lui a pas à ce jour « communiqué de bilan en termes de retour à l’emploi ». De toute façon, « les gens nous disent que le bénévolat ne débouche pas sur des emplois », assure de son côté le responsable d’ATD quart monde.

Onze Ehpad sont concernés par l’expérimentation. Des établissements publics ou privés à but non lucratif, situés à Nice, Cannes, et Puget-Théniers. « Un vrai cap est franchi par rapport au Haut-Rhin, où l’expérimentation ne s’adressait qu’au secteur associatif », signale Pierre-Edouard Magnan. Selon Camille Morini, il s’agit de « répondre à un besoin de solidarité : les Ehpad ont des manques de personnel sur le volet de l’animation, et il s’agit d’une mission qui relève du département ». Autrement dit, comme le souligne Pierre-Edouard Magnan, le département est à la fois « juge et partie » … D’un côté, il est un financeur de ces Ehpad ; de l’autre, il est prestataire du RSA. Cela pose un « problème de conflit d’intérêts », estime le président du MNCP.

Des emplois en Ehpad menacés

Le volet juridique de cette expérimentation est pour le moins « très délicat », considère Pierre-Edouard Magnan. Le code du travail interdit qu’un bénévole fasse le travail d’un salarié. Le fait qu’aucun Ehpad privé à but commercial ne soit dans la liste montre que le département est conscient de cette pente glissante. Reste que « le sujet va se poser lorsqu’il y aura un vrai problème, par exemple un accident du travail qui ne sera pas reconnu comme tel », prédit Pierre-Edouard Magnan. Sur la liste des activités officielles que pourront réaliser les personnes, on lit par exemple « sorties à proximité de l’établissement » … Tout cela restera dans le cadre de l’« animation et non des soins », assure Camille Morini. Le balisage des activités sera contenu dans le contrat de bénévolat, préconçu par le département puis signé entre l’Ehpad et le bénéficiaire. Un contrat qui lie juridiquement l’établissement au bénéficiaire, y compris sur le recouvrement des responsabilités en cas d’accident.

Mais pour le président du MNCP, avec les heures de « volontariat » en Ehpad, « on atteint un summum… S’occuper de personnes âgées dépendantes, c’est un métier, ça s’apprend ! » Se pose la question du message envoyé aux salariés en exercice : « C’est manquer de respect aux auxiliaires de vie », poursuit Pierre-Edouard Magnan. Jean-Christophe Sarrot va plus loin : « Cela va détruire des emplois dans les Ehpad. On enlève des postes occupés par des personnes précaires. » Les bénéficiaires participant à l’expérimentation ne seront pas formés à l’animation. Seul un entretien préalable avec un psychologue, employé par l’opérateur associatif missionné pour faire le lien entre bénéficiaires et Ehpad (le département ne souhaite pas encore dévoiler son nom), est prévu. « Nous ne sommes pas sur de la formation, mais sur du savoir-être, de l’assise psychologique », spécifie Camille Morini. Pour les vraies formations professionnelles, il faudra attendre : le directeur de l’insertion assure qu’elles pourront être mises en place « si le bénéficiaire en exprime le souhait », suite à ses deux mois d’expérience. Se feront-elles avec l’opérateur en question, par ailleurs « organisme de formation d’aide à la personne » ? Des éléments de réponse seront sans doute apportés dans l’évaluation du dispositif, qui doit être rendue « courant décembre ».

Stigmatiser et infantiliser

Si le dispositif est « scandaleux sur le fond, il l’est tout autant sur le plan des représentations », appuie Pierre-Edouard Magnan. Le principe d’une contrepartie citoyenne au versement du RSA vient de la droite politique, et fut lancée notamment par Nicolas Sarkozy. Ce dernier surfait sur une image de l’assistanat qui ne correspondait pas à la réalité. « Ces départements cherchent à stigmatiser, à faire croire que les gens profitent du système, vivent des aides sociales, qu’il faut donc les contrôler et les pousser », résume Jean-Christophe Sarrot. Dans les faits, « environ un tiers des bénéficiaires ont déjà un emploi, précaire », rappelle-t-il. De plus, « beaucoup sont déjà engagés dans le bénévolat associatif : notre mouvement en est la preuve », témoigne Pierre-Edouard Magnan. Un discours politique « infantilisant », à même d’encourager le non-recours aux droits.

« Avant, Pôle emploi faisait la chasse aux bénéficiaires du RSA qui devaient se cacher pour faire du bénévolat, car cela était jugé peu compatible avec la recherche d’emploi. Quinze ans après, retournement de situation : on veut les forcer au bénévolat », raille le président du MNCP. Pourtant, d’autres perspectives existent. ATD quart monde défend entre autres la réévaluation du RSA par rapport au Smic, un financement du RSA par l’Etat et non plus par les départements, ou encore le fait de « se donner les moyens d’un véritable accompagnement des bénéficiaires ». Et Jean-Christophe Sarrot de rappeler que l’« on peut trouver d’autres solutions pour l’insertion, comme les territoires “zéro chômeur” ».

Un dispositif contentieux… et contagieux ?

En février 2016, le Haut-Rhin a été précurseur de l’idée d’obligation d’un temps « bénévolat » en contrepartie du versement du RSA, avant que le Conseil d’Etat ne tranche la polémique en estimant que les bénéficiaires pouvaient y être incités, mais non pas obligés. Emboîtant le pas à son voisin, le Bas-Rhin a édité en février 2017 une charte encadrant un dispositif similaire – dont les résultats se font également toujours attendre. Au nom de la « réciprocité des aides sociales », le département de l’Isère a aussi tenté l’expérimentation. Particularité, cette fois : le tribunal administratif de Grenoble a néanmoins exigé, fin 2018, que ces heures de « volontariat » aient un apport en termes d’insertion professionnelle pour le bénéficiaire (ce qui implique un examen détaillé du juge). Enfin, l’idée avait fait son chemin jusqu’en Seine-Saint-Denis, en mars 2016, sur proposition de la mairie LR d’Aulnay-sous-Bois – avant que la présidence du département ne monte au créneau et ne qualifie cette suggestion de « mépris à peine voilé » pour les pauvres.

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