« Il faut dissoudre nos établissements traditionnels pour les transformer en services de proximité. Les professionnels ne doivent plus être des substituts parentaux mais des conseillers qui interviennent auprès de l’environnement. Les éducateurs spécialisés doivent devenir des conseillers en éducation, qui apportent du conseil aux acteurs ordinaires sans chercher à les remplacer. » L’invective, lancée par le psychosociologue Jean-René Loubat devant un parterre de professionnels de l’accompagnement, est pour le moins culottée. Et pas un secteur n’échappe à sa fronde : instituts médico-éducatifs dont la scolarité est « ségrégative », établissements et services d’aide par le travail, qui intègrent « moins de 1 % de leurs travailleurs dans le milieu ordinaire »… En omettant peut-être le fait que, dans certaines situations, l’inclusion n’est pas toujours la voie royale, dans les cas de polyhandicap par exemple. Et que transiter d’un système où le professionnel décide pour l’usager à un système où l’inclusion est vécue comme une injonction ne sera pas forcément un gage d’autodétermination pour la personne. Un constat que dresse Julia Boivin, consultante patiente experte au sein des établissements médico-sociaux. « “T’es avec tout le monde, t’es pas content ?” Non, certaines personnes handicapées sont entre elles, avec leurs amis, leurs habitudes. Dans un espace où on a le droit d’être handicapé, d’avoir des limites. »
Autre facteur à prendre en compte, l’impréparation de la société à l’accueil de ce public. « Il ne suffit pas de mettre la personne handicapée au milieu de la place publique en lui expliquant que l’on fait société », argue Marie-Anne Montchamp, présidente de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie. « Faut-il l’amener dans un environnement professionnel qui ne l’attend pas, qui ne la connaît pas, qui ne la comprend pas ? », questionne-t-elle, avant de rappeler l’échec du gouvernement sur la question de l’accessibilité. « Un message de réorientation d’une politique publique a été lancé, mais la production contingente ne va pas jusqu’au bout de la logique de l’inclusion. Sur l’accessibilité du logement notamment, en se situant plus sur une politique du logement que de l’autonomie, limitant ainsi la portée de la loi »(1).
Pour que les personnes ne se sentent pas projetées dans un milieu ordinaire hostile, c’est un ensemble de politiques qui doit être repensé, affirme Julia Boivin. « Comment se faire des amis quand notre fauteuil roulant n’entre pas dans un café ? Je suis d’accord avec l’inclusion si la société est prête à mettre en place les infrastructures adaptées, les formations pertinentes, les logements accessibles… »
Enfin, les professionnels, même avec la meilleure volonté du monde, ne disposent pas des leviers nécessaires pour impulser cette transformation. « Si on veut permettre l’émergence de nouvelles organisations, il faut les reconnaître juridiquement, leur donner des marges de manœuvres financières, que les maisons départementales des personnes handicapées n’orientent plus vers des services traditionnels mais vers de nouveaux dispositifs », conclut Jean-René Loubat.
(1) Référence à la loi « Elan » qui n’impose que l’évolutivité des logements neufs au lieu de leur accessibilité, à rebours de la loi « handicap » du 11 février 2005.