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Faut-il fermer les Mecs ?

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Ancien directeur d’une maison d’enfants à caractère social, aujourd’hui formateur-consultant, Francis Batifoulier s’empare du débat lancé en mars dernier par la rapporteuse de l’ONU, qui juge nécessaire une désinstitutionnalisation des champs de l’accompagnement social, entre autres de celui de la protection de l’enfance.

La protection de l’enfance connaît une profonde crise de légitimité. Cette dernière affecte particulièrement les structures d’hébergement. Et pas seulement dans ce champ. C’est ainsi que la rapporteuse de l’Organisation des Nations unies, Catalina Devandas Aguilar, recommande au gouvernement de fermer les institutions médico-éducatives existantes (1).

On peut considérer tout à fait injuste le procès fait aux maisons d’enfants à caractère social (Mecs) qui, depuis une vingtaine d’années, s’emploient à diversifier leurs pratiques et y réussissent. Toutefois, il ne faut pas sous-estimer les effets dévastateurs de l’ère du soupçon que nous traversons aujourd’hui et il importe d’adopter une posture proactive en valorisant la qualité des accompagnements, mais également en poursuivant la mise en pensée des enjeux que doivent relever aujourd’hui les Mecs.

La défense et l’illustration de la qualité de l’accompagnement mis en œuvre dans les Mecs passeront, selon nous, par l’investissement dans plusieurs chantiers majeurs (2).

Garantir un toit

Le premier chantier concerne le fait que certains enfants et certains adolescents doivent disposer d’un lieu où habiter, dans la mesure où leurs familles ne sont pas en situation de les héberger positivement et dans la durée. “Habiter” est un verbe qui renvoie à la façon dont on préserve son humanité ou dont on la relance, nous rappelle Gérard Guieze : “Habiter ne renvoie pas à un lieu de résignation, mais à un lieu de sociabilité possible et non pas un simple espace protégé, afin de fonder ce qui demeure, d’ouvrir à ce qui est possible, d’être ensemble séparément, de façonner un environnement et un esprit. Car un lieu est aussi un milieu, pas seulement une identité propre.” (3)

L’impératif est de garantir aux jeunes accueillis une “demeure”, “non seulement un lieu, mais un seuil, entre un dedans et un dehors. Un lieu qui renvoie à soi-même, qui puisse être un seuil entre l’intime et le commun, entre le proche et le lointain, le privé et le public” (4), c’est-à-dire un espace qui permette de s’habiter soi-même (5), d’exister dans une certaine permanence et dans une certaine durée.

La réflexion sur l’accueil résidentiel doit donc être poursuivie en tenant compte des acquis et des échecs de cette forme d’accompagnement, mais aussi de nouveaux paramètres ou de paramètres déjà présents auxquels l’évolution de l’environnement donne une ampleur nouvelle : dans une société du “tout à l’ego” (Régis Debray) où le collectif est affinitaire et électif, comment donner sens à un collectif de vie contraint, pour des sujets en difficulté profonde quant à leur individuation, sachant que nombre de professionnels s’interrogent aujourd’hui sur ce qu’éduquer veut dire ?

Il nous faut reprendre une réflexion de fond sur le sens, les conditions et modalités de l’hébergement résidentiel : le vivre à plusieurs, le cadre architectural (qui garantit le mieux l’intimité, la présence à soi, la sécurité), la situation géographique, l’ouverture sur l’environnement, la formation des encadrants… Celle-ci implique des adossements solides et renouvelés (6) car le défi ici est de penser la question d’habiter tout en poursuivant la nécessaire réflexion sur le passage d’une logique d’établissement à une logique de plateforme de services dans le champ de la protection de l’enfance.

Deux modèles sous tension

Le deuxième chantier doit prendre en compte la nécessaire tension à soutenir entre un modèle clinique et un modèle civique au niveau des pratiques institutionnelles.

Une approche clinique de qualité n’est pas toujours garantie dans les maisons d’enfants, faute d’adossements théoriques suffisamment construits, d’espaces et de temps dédiés efficaces et de la difficulté des cadres intermédiaires à accompagner au quotidien les équipes ; difficultés dues à l’accroissement de leurs tâches en lien avec l’évolution organisationnelle des associations mais aussi à des carences formatives, le Caferuis étant dans bien des cas insuffisant sur ce registre.

Il y a donc nécessité de réinvestir la dimension clinique que la souffrance psychique présentée par nombre des jeunes accueillis rend indispensable. Mais cet investissement doit s’opérer dans une mise en tension avec ce que Jean-Yves Barreyre appelle le modèle civique ; ce modèle reconnaissant prioritairement la personne accompagnée comme un citoyen disposant de droits et d’un pouvoir agir.

La difficulté actuelle à faire monde commun sur le plan sociétal pose avec acuité la question de la mise en œuvre du modèle civique dans le cadre éducatif : comment préparer les enfants et adolescents, en difficulté d’individuation, à prendre place dans une société fracturée et peu disposée à leur faire une place ?

L’éducation à la citoyenneté passe par une relecture des pratiques institutionnelles quant à la place faite aux usagers dans la vie des établissements et services. On connaît la difficulté à faire vivre des conseils de vie sociale en tant qu’espaces de construction d’une gouvernance solidaire associant toutes les parties prenantes dans la construction de compromis, pour reprendre les termes de Joseph Haeringer, et pourtant nous sommes attendus sur notre capacité à révolutionner “démocratiquement” nos pratiques.

La place des familles

Le troisième chantier est déjà investi mais de manière très éclatée sans qu’on puisse identifier quelque chose qui ressemblerait à une doctrine partagée sur la place des familles dans l’offre des Mecs. La loi du 14 mars 2016 avec une “recentration” sur l’intérêt de l’enfant n’a peut-être pas facilité le positionnement des établissements. L’histoire continue à peser également dans le phénomène de minorisation des parents que l’on peut constater encore dans un certain nombre de structures.

Il n’est pas question de vouloir uniformiser les pratiques mais de les professionnaliser par une meilleure caractérisation des prestations qui peuvent être offertes aux parents, par l’objectivation des modalités de réalisation de ces prestations et de leur évaluation et par la formation des professionnels.

Le défi managérial

Nous retiendrons pour finir un chantier qui concerne le management. Les conditions pour qu’un enfant ou un adolescent “habite une maison d’enfants” sont que les professionnels disposent de conditions de travail qui les amènent à investir la Mecs comme un lieu de vie, un espace d’humanisation pour tous les acteurs.

Comment à la fois garantir un cadre institutionnel qui a une fonction unificatrice et de portage collectif, qui soutient et sécurise les professionnels tout en veillant au développement de l’autonomie de ces derniers, autonomie requise notamment par la généralisation de nouvelles pratiques à partir du domicile de la personne accompagnée et par l’avènement d’interventions territorialisées et interinstitutionnelles ?

Ces options managériales dépassent à la fois le champ des Mecs et le concernent. La mise à l’épreuve des professionnels, “soumis à des bombardements quotidiens de souffrance, de violence, d’agirs” (7), exacerbe la question de la contenance institutionnelle, mais ne doit pas occulter le fait qu’il n’y a pas de pratiques de qualité et innovantes si l’on ne garantit pas aux professionnels la part d’indétermination constitutive d’une relation de service suffisamment bonne, quelle que soit la structure dans laquelle ils interviennent.

C’est ainsi qu’on honorera la question du sens, permettra à chacun de faire œuvre et que, du côté du management, l’on fera échec à la menace de “dé­sœuvrement” (8) aujourd’hui très présente dans nombre d’établissements et services. La relégitimation des Mecs est à ce prix.

En conclusion, dans une période de remise en cause assez radicale des pratiques et institutions de la protection de l’enfance, la multiplicité des politiques départementales de protection de l’enfance comme la diversité et l’hétérogénéité des fonctionnements institutionnels des Mecs ne garantissent pas la lisibilité des pratiques mises en œuvre. La nécessité de construire un socle commun de références et de modes d’intervention demeure à notre sens un objectif à poursuivre(9). C’est en dessinant les contours d’une enveloppe commune qu’on créera les conditions d’un portage collectif qui ne ligote pas, n’uniformise pas mais pose des fondations solides à partir desquelles chaque équipe est invitée à faire de l’inédit au service des jeunes accompagnés.”

Contact : contact@francisbatifoulier.com

Notes

(1) Rapport de l’ONU sur le droit des personnes handicapées en France, 2019.

(2) Nous ne prétendons pas à une quelconque exhaustivité qui impliquerait, par exemple, des développements conséquents sur la prise en compte des situations complexes mais aussi des mineurs non ac­com­pagnés. Le cadre de cette tribune ne le permet pas.

(3) « Qu’est-ce qu’habiter », G. Guieze – Actes des journées de l’Anmecs de Saint-Etienne, 2018.

(4) G. Guieze, art.cit.

(5) 20 questions pour penser le travail social, J. Riffaut – Ed. Dunod, 2007.

(6) Nous pensons par exemple aux contributions de Marcel Jaeger, « Du toit au moi : un avenir hors sol pour les Mecs » et de Gérard Guieze, art.cit.

(7) « Le travail à plusieurs en institution et entre institutions », E. Grange Ségéral, in Travailler en Mecs, Batifoulier et Touya – Ed. Dunod, 2014.

(8) Le manifeste des œuvriers, R. Gori, B. Lubat et Ch. Silvestre – Ed. Actes Sud, 2017.

(9) C’est un chantier dans lequel l’Anmecs s’est engagée depuis presque dix ans avec détermination et efficacité. La difficulté des temps rend absolument nécessaire la poursuite et l’approfondissement de la réflexion initiée.

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