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Une maison de retraite à domicile

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Une grande majorité des personnes âgées en perte d’autonomie veulent rester chez elles. Des projets d’« Ehpad à domicile », entre le tout-institution et le tout-domicile, se mettent en place. A Sartrouville (Yvelines), la Croix-Rouge expérimente Ehpad@dom, dispositif original qui s’appuie sur sa résidence, ses services à domicile et une téléassistance 24 heures sur 24.

Chaque vendredi, en fin de matinée, toute l’équipe se re­trouve au 115, avenue de la République, à Sartrouville (Yvelines). C’est un temps fort du nouveau dispositif Ehpad@dom, expérimenté depuis l’automne 2017 par la Croix-Rouge pour offrir aux personnes âgées, chez elles, les prestations d’une maison de retraite médicalisée, et ce, à moindre coût. La réunion hebdomadaire se tient dans la grande salle du pôle « domicile » de l’association, qui regroupe un service d’aide et d’accompagnement à domicile (Saad) et un service de soins infirmiers à domicile (Ssiad). L’Ehpad Stéphanie, principal pilier de ce projet 100 % Croix-Rouge, est à quelques rues de là. « Nous avons choisi Sartrouville pour cette expérimentation de deux ans, car nous y avons les compétences gérontologiques en accompagnement à la fois à domicile et en établissement. Toutes les forces sont réunies sur un même territoire, avec en plus la présence de bénévoles et une ville tournée vers les solutions innovantes », explique Hélène Meilhac-Flattet, directrice du pôle gérontologique des Yvelines.

A ses côtés, Céline Vallet, cadre de santé, qui se partage entre Ehpad@dom et la résidence Stéphanie. Elle y gère notamment les admissions : « Les critères sont les mêmes que pour l’entrée en Ehpad, indique-t-elle. Je fais une visite au domicile pour voir si les conditions d’un maintien en toute sécurité sont assurées. » Les familles ont son numéro de téléphone et n’hésitent pas à l’appeler le week-end. Anne de Luzy, infirmière, a pris place à la table. Embauchée au lancement du dispositif, elle avait auparavant arrêté de travailler pour élever ses enfants mais, une fois ceux-ci devenus grands, a voulu reprendre un emploi avec des horaires compatibles avec sa vie de famille. « Un temps partiel m’a été proposé, dont une large part consacrée au relationnel avec les personnes âgées. Il était parfait pour moi », précise-t-elle. Outre de faire les toilettes, de s’occuper des médicaments ou de prendre la tension artérielle, elle a surtout un rôle de liaison entre tous les intervenants : « Par exemple, une bénéficiaire m’a annoncé qu’elle part en pèlerinage à Lourdes, et je vais avertir de son absence son kiné, l’aide ménagère, le restaurant de sa résidence… » Nathalie de Chaisemartin, psychomotricienne également recrutée pour Ehpad@dom, Espérance Ngonzi, l’une des aides-soignantes, et Gabrielle Lecorre, responsable des services à domicile, participent aussi à la réunion consacrée à la vingtaine de bénéficiaires du dispositif. Attendue dans les jours prochains, une psychologue complétera l’équipe.

Ce jour-là, la séance commence par l’accueil, pour la première fois, de Claire Coste, ergothérapeute du réseau de santé Gryn (Groupement des réseaux Yvelines-Nord), qui a été sollicitée pour évaluer l’environnement et le logement d’un bénéficiaire et proposer des aménagements et des équipements adaptés à sa dépendance et à ses déficiences sensorielles. Le vieil homme vient d’être hospitalisé pour une fracture, mais l’ergothérapeute lui a rendu visite avant sa chute. Elle rend compte des bilans moteur et cognitif qu’elle a réalisés à son domicile. L’octogénaire marche habituellement avec une canne, mais il lui est difficile de se relever de son lit et de son fauteuil, qu’il faudrait rehausser. Il ne voit pas très bien, mais suffisamment pour les actes de la vie quotidienne. En revanche, il est très désorienté et se montre, selon Claire Coste, incapable de s’adapter aux situations nouvelles. Il ne sait plus faire le café, nouer un lacet ou retrouver son chemin quand il sort de chez lui. Il perd régulièrement ses clés et ne savait plus où était son appareil auditif – ce qui n’a pas facilité l’entretien d’évaluation. S’il s’habille seul, il ne pense pas à prendre des vêtements propres. Quant à la toilette, l’ergothérapeute s’interroge. « Si, si, il prend des douches », intervient Céline Vallet. La cadre de santé chargée de coordonner le dispositif a eu un retour en ce sens de la part des aides-soignantes qui viennent chez lui chaque matin, et Espérance Ngonzi le confirme. En réponse à ces troubles des fonctions exécutives, Claire Coste donne des recommandations, en particulier pour sécuriser le domicile : rigidifier un tapis, retirer le loquet de la salle de bains et des toilettes, simplifier l’aménagement du domicile, vider une partie des penderies et placards remplis de trop de vêtements, ou encore bloquer le four à micro-ondes sur une durée maximale de deux minutes – « c’est tout à fait possible en bricolant une sécurité sur la molette », affirme l’ergothérapeute.

Le choix de rester chez soi

« La question est de savoir si, à sa sortie de l’hôpital, il retourne chez lui ou s’il entre en établissement, indique Hélène Meilhac-Flattet en résumé de la situation. Il est déjà allé à la résidence Stéphanie, comment cela s’est-il passé ? » Les bénéficiaires d’Ehpad@dom ont en effet accès aux prestations hôtelières et aux activités de l’Ehpad Stéphanie, à Sartrouville. L’objectif est double : d’une part, permettre aux personnes isolées de créer du lien avec les résidents et leur donner une image positive de l’institution où, peut-être, elles entreront un jour ; d’autre part, ouvrir l’établissement à l’extérieur. Avec un demi-sourire désolé, Céline Vallet explique que le vieil homme est déjà venu deux fois pour participer aux animations, mais qu’il garde obstinément son manteau sur le dos, toujours prêt à partir. Les autres membres de l’équipe confirment le refus absolu de l’octogénaire d’entrer en maison de retraite, malgré l’insistance de sa famille, qui juge cette option plus raisonnable. « Aujourd’hui, c’est un peu juste pour un maintien à domicile, estime la directrice du pôle gérontologique. Mais on va tout faire pour respecter son choix. »

Un service d’entretien et de petites réparations est assuré par les services généraux de l’Ehpad (prévu à hauteur d’environ une heure par mois et par résident), et c’est lui qui pourra s’occuper du micro-ondes. Toutefois, Ehpad@dom ne prend pas en charge les aménagements et autres investissements, qui relèvent du plan d’aide du bénéficiaire et de sa famille. Il alerte, oriente, conseille, mais ne finance pas. « Nous allons également voir avec notre intervenant pour la téléassistance les possibilités de géolocalisation par GPS quand la personne sort de chez elle », poursuit la directrice. La plateforme de téléassistance 24 heures sur 24 (Bluelinéa) propose déjà, pour le domicile, un abonnement avec bouton d’appel et détection de chute à un tarif préférentiel (24 € par mois).

La réunion se poursuit avec les sujets d’actualités, parmi lesquels la livraison du véhicule pour le transport de personnes à mobilité réduite. « L’un des points forts d’Ehpad@dom est la possibilité pour les personnes de venir à l’Ehpad pour y déjeuner et pour participer aux animations collectives avec les résidents. Mais nous avions sous-estimé le problème du transport, confie Hélène Meilhac-Flattet. Peu de bénéficiaires peuvent venir par leurs propres moyens ou avec l’aide de leur famille. Il faut donc mobiliser un chauffeur et quelqu’un pour aider la personne âgée à l’arrivée et au départ. On demande une petite participation qui ne couvre pas les frais. Nous avons dû aussi investir dans un véhicule adapté à un fauteuil roulant, et donc faire appel à des mécènes. Ça y est, il est arrivé ! » Une autre difficulté rencontrée par le dispositif a été le recrutement d’aides-soignantes, mais le manque dans ce métier « n’est pas propre à notre structure », ajoute-t-elle.

Puis est examiné un cas très particulier. Depuis deux ou trois jours, un bénéficiaire harcèle littéralement Céline Vallet d’appels téléphoniques. Il a appelé toute la matinée pour se plaindre. Il refuse d’écouter les réponses à ses griefs, menace « d’en référer à son supérieur » et se montre même insultant. « Ce monsieur a un problème d’alcool, on le sait. En ce moment, il ne va visiblement pas bien, mais il ne peut pas accaparer tout notre temps et nous ne sommes pas des punching-balls », explique la cadre de santé. La situation est difficile à gérer, mais elle le serait aussi en établissement. Le recours à une équipe mobile spécialisée dans les addictions est évoqué. « En attendant, je vais lui envoyer tout de suite un courrier de “recadrage” en lettre recommandée pour rappeler ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas », conclut la directrice.

Les autres prises en charge sont passées en revue, une par une. Mme M. se plaint que le service de restauration de son foyer-logement continue de lui imposer un régime sans sel, alors qu’elle peut aujourd’hui manger salé : « Il faut joindre son médecin traitant ». M. G., qui souffre de la maladie d’Alzheimer, a vu le médecin, qui est d’accord pour un hébergement temporaire à l’Ehpad afin de soulager son conjoint épuisé – hébergement qui deviendra peut-être définitif… Mme A. n’est pas allée à la selle depuis plusieurs jours : il faut rappeler l’infirmière libérale. M. D. a des difficultés pour s’alimenter seul : « Il lui faudrait un verre adapté pour boire », estime Hélène Meilhac-Flattet, et Espérance Ngonzi préconise qu’il ait aussi les mêmes couverts qu’à l’Ehpad. M. F. a été dé­sagréable ce matin avec l’aide-soignante : « Il n’y a pas de raison de s’inquiéter. Le matin, c’est souvent un ours, mais à midi, il est vraiment adorable », intervient l’infirmière. Mme A est dans le dispositif depuis un an, et tout se passe bien…

Un dispositif sécurisant

« Notre valeur ajoutée, c’est la coordination de tous les intervenants, explique Hélène Meilhac-Flattet. Les familles sont favorables en général au maintien à domicile, mais sont en difficulté pour porter l’accompagnement nécessaire, soit parce que leurs membres habitent trop loin pour un suivi régulier, soit parce que la mise en œuvre est trop complexe. » L’équipe s’occupe donc de la bonne articulation de l’ensemble des interventions à domicile (professionnels de santé libéraux, laboratoires, livraison de médicaments, aides à domicile, portage de repas, etc.) et de l’hôpital (ambulatoire et hospitalisation), en particulier le week-end et la nuit, où la permanence est assurée par une infirmière de l’Ehpad.

L’accompagnement rassure à la fois les familles et les bénéficiaires. « Ehpad@dom, c’est la sûreté. S’il m’arrive quelque chose, je sais que je ne suis pas seule », estime Ginette Lévy, souriante nonagénaire, qui habite un coquet pavillon. Elle est assise dans le canapé de son salon, le déambulateur qui l’aide à se déplacer, est devant elle, à portée de main. L’infirmière, comme les autres intervenants, a les clés de la maison et a sonné pour avertir de son arrivée. En octobre dernier, la vieille dame a découvert Ehpad@dom en lisant le journal de la ville. Elle était affaiblie par la maladie, et la question se posait alors d’une entrée en maison de retraite. « Mais j’aime bien prendre les décisions moi-même », dit-elle pour expliquer son intérêt immédiat pour le nouveau dispositif. Son choix a été conforté par l’avis positif de son médecin traitant et de ses enfants, tandis que ses voisins annonçaient qu’ils l’aideraient, par exemple pour faire les courses ou pour ouvrir et fermer les volets. Elle se dit aussi attachée à sa maison, qui était celle de ses parents, où elle est née et où elle est revenue peu avant de prendre sa retraite. Autour d’elle, il y a les statuettes en bois rapportées de ses nombreux voyages, en Afrique, en Asie, en Polynésie. « Je me lève et je prends mon petit déjeuner seule le matin. La chambre est à l’étage. Il était question d’acheter un monte-escalier électrique, quand ma chaudière est tombée en panne. C’était l’un ou l’autre ! Cela me prend beaucoup de temps pour descendre, mais il ne faut pas se laisser aller », explique-t-elle. Une aide-soignante passe pour la toilette le matin, mais « il n’y a pas vraiment d’horaire », regrette-t-elle. Outre l’infirmière, la psychomotricienne d’Ehpad@dom vient aussi la voir régulièrement pour lui proposer des exercices, qu’elle fait avec beaucoup de volontarisme. Pour le reste, la vieille dame a gardé les intervenants qu’elle avait avant d’entrer dans le dispositif : la dame qui l’aide tous les jours pour le déjeuner, son kiné trois fois par semaine, le pédicure. « Non, pas de coiffeur à domicile, je préfère aller à un salon », précise-t-elle. Ginette Lévy a ses habitudes, dit ne pas voir le temps passer et n’est pas tentée pour l’instant par les activités à l’Ehpad.

Pour sa part, Gérard Covemaeker dit s’être inscrit à Ehpad@dom afin de rassurer sa sœur et son médecin, car il tombe souvent. De quatorze ans sa cadette, sa sœur habite la maison voisine et veille sur lui, mais il lui arrive de partir en vacances. La formule convient tout à fait à ce nonagénaire. « J’aime ma tranquillité », dit-il. Lors de sa visite ce jour-là, la psychomotricienne Nathalie de Chaisemartin lui fait passer des tests de mémoire, de qualité de vie et de marche. Elle remplit les questionnaires pour une étude qui mesure l’impact de ce dispositif innovant par rapport aux solutions classiques. Pour évaluer l’expérimentation, la Croix-Rouge a fait appel aux chercheurs de l’université de Paris-Dauphine pour le volet socio-économique et au gérontopôle de Reims, piloté par le professeur Jean-Luc Novella, pour les aspects médicaux. Les résultats sont attendus d’ici un an.

Ehpad@dom en chiffres

• 24 places prévues pour les habitants de Sartrouville. Au moment du reportage, 21 bénéficiaires (il y a eu trois décès et une personne sortie, le dispositif ne lui convenant pas).

• Tarif : 174 € par mois (dont 24 € pour la télé-assistance).

• Budget pour deux ans : 793 000 € (dont un quart pour l’étude socio-économique).

• Equipe : 0,8 équivalent temps plein (ETP) de cadre de santé et d’infirmière ; 4,3 ETP d’aides-soignantes ; 0,5 ETP de psycho­motricienne ; 0,2 ETP de psychologue ; 0,3 ETP de services généraux ; une astreinte d’infirmière de nuit (mutualisée avec la résidence).

Hélène Meilhac-Flattet, directrice du pôle gérontologique des Yvelines
« Faire de l’Ehpad une plateforme de services »

Quel bilan tirez-vous, à mi-parcours, du dispositif ?

Pour nous, l’important est d’avoir lancé la démarche permettant aux personnes âgées de rester chez elles dans des conditions satisfaisantes d’hygiène, de sécurité, d’accompagnement, et de pouvoir trouver différentes modalités de prise en charge pour ces seniors en perte progressive d’autonomie. On a réussi à unir les forces des différents acteurs pour parvenir à cet objectif, et on espère bien faire bouger les lignes. Je pense qu’il faut s’appuyer sur les Ephad pour renforcer le soutien à domicile. Il est facile d’étendre les compétences gérontologiques au domicile à partir de l’établissement, qui deviendrait une plateforme de services.

A-t-il évolué ?

On avait imaginé au départ s’appuyer sur nos trois entités (Ehpad, Siaad, Saad) et, au début, on a refusé des personnes âgées qui voulaient garder leur aide à domicile. Celles-ci ont un attachement personnel aux intervenants qui leur viennent en aide depuis plusieurs mois, voire plusieurs années. Il faut respecter cette priorité pour elles, donc c’est nous qui nous adaptons. On a élargi notre partenariat à d’autres structures.

Comment est-il financé ?

L’agence régionale de santé (ARS) a donné l’autorisation de fonctionner, mais il n’y a pas eu de financement des partenaires institutionnels habituels. Le financement vient de mécènes, Malakoff Médéric et Fondation Médéric Alzheimer, ainsi que des fonds propres de la Croix-Rouge. C’est un véritable investissement car nous sommes convaincus du bien-fondé de cette expérimentation. J’ai fait une demande de financement à l’ARS dans le cadre de l’article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale pour pérenniser le dispositif. Celui-ci correspond aux attentes.

Propos recueillis par S. F.

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