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“Partager les mêmes choses, c’est ça, la grande idée”

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Mordu de vols en ballon, Philippe Foubert a créé La Montgolfière pour tous, une association de Charente-Maritime qui permet aux personnes à mobilité réduite et aux handicapés sensoriels de piloter une montgolfière et de voler. Un projet inédit en France.

Sa toute première paie de policier est passée dans un vol en ballon. Philippe Foubert s’en souvient parfaitement : « C’était en mars 1984 ! » Depuis, ce Francilien de 56 ans a piloté des dizaines de montgolfières sur la plupart des continents, survolé l’Amazonie, les Etats-Unis, le Sahara ou les forêts du Canada. Une passion dévorante qui l’a conduit, en avril 2018, à opter pour une retraite anticipée et à s’installer à Jonzac (Charente-Maritime), dans un département réputé pour ses conditions de vol extrêmement favorables. Fini les escortes motorisées, les horaires décalés, les gardes interminables : cet ancien motard et major de police voulait tourner la page, prendre l’air et se consacrer à un projet inédit en France : La Montgolfière pour tous. Derrière ce nom – un clin d’œil sarcastique à La Manif pour tous et aux heures passées à encadrer ses cortèges – se cache une association fondée en 2015 et dédiée aux personnes à mobilité réduite et à celles atteintes d’un handicap sensoriel. L’idée ? Leur proposer des vols en aérostat, et bien mieux encore : un accès direct aux commandes de vol et à « ce sentiment de liberté, cette magie » qui habitent les pilotes. Le pari de Philippe Foubert est une promesse : accéder au ciel avec son handicap, faire fi de la gravité dans « un engin totalement irrationnel, un jouet des vents qui appelle à la contemplation, à la rêverie ».

Les montgolfières équipées de nacelles accessibles à tous les handicaps existent depuis belle lurette. Mais aucune d’entre elles n’autorise le pilotage, pas même une initiation. Philippe Foubert, lui, voulait « donner de son temps et partager son hobby » lorsque son métier, un accident de trop et les couloirs d’un hôpital lui ont donné à voir le handicap et toutes ces vies chamboulées. « J’ai découvert des parcours fantastiques, pris des leçons de vie », se souvient-il. Le pilote instructeur commence dès lors à se creuser les méninges : « Comment voler avec un handicap, et avec quel matériel ? En aviation, un brevet de pilote existe pour les paraplégiques depuis 1976. Mais pour les montgolfières, rien ! » Le déclic se produit en 2014. Cette année-là, Brian Jones – ancien de la Royal Air Force et auteur, avec le Suisse Bertrand Piccard, du premier tour du monde en ballon en 1999 – initie une personne handicapée à la montgolfière. Le Britannique utilise une nacelle révolutionnaire sortie des ateliers Cameron Balloons, le principal fabricant d’aérostats au monde. « Ça a fait “tilt”, mon projet était bien pertinent, j’en avais la preuve », sourit Philippe Foubert.

« Pas besoin de ses jambes »

Le policier se rencarde : l’enveloppe (la toile) est semblable à toutes les autres, seule la nacelle diffère. Celle-ci se compose d’un cadre en inox spécial et compte deux places. « Ça ressemble à une banquette de 2 CV. Mais tout est homologué, s’amuse-t-il. D’habitude, hormis les brûleurs, toutes les commandes se trouvent sur les côtés. Cette fois, tout a été placé à portée de main, pas besoin des jambes. » Des harnais conçus pour la voltige aérienne permettent d’installer les personnes paraplégiques en toute sécurité, les jambes posées sur des cale-pieds. « Vingt minutes et une personne tierce suffisent à préparer le ballon, et on décolle ! » Et l’atterrissage ? L’arrière de la nacelle est recouvert d’une plaque d’aluminium courbée à ses extrémités. Il suffit au pilote d’actionner les vantaux de rotation pour faire pivoter l’enveloppe : la montgolfière se couche alors sur le dos, tout en douceur. « Nous ne volons pas rapidement avec ce type de ballon, rassure Philippe Foubert. Au décollage, les vents ne doivent pas dépasser les 15 km/h, contre une trentaine pour les ballons classiques. Les sensations, elles, sont là. Et sans la nacelle, la vision est totale. »

Gérard Masson, paraplégique depuis 1966, confirme. Président d’honneur de la Fédération française de handisport et du Comité paralympique et sportif français (CPSF), le septuagénaire a eu la primeur du vol inaugural, en novembre dernier. « Au départ, j’avais la trouille, avoue-t-il. Mais c’est vraiment extraordinaire… L’appréhension disparaît rapidement et laisse place à l’émerveillement. Vous êtes dans la nature, avec le paysage au complet, libérés de cette contrainte qu’est le handicap. J’étais époustouflé. » Les frissons de Gérard Masson ont disparu, pas son enthousiasme : « Le handicap existe, et il concerne tout le monde. Partager les mêmes choses, c’est ça, la grande idée. Ce qu’a fait Philippe Foubert, c’est de rendre accessible le vol en montgolfière. Désormais, c’est possible. »

Un an pour convaincre

Pour en arriver là, le Francilien a d’abord dû convaincre son monde. La nacelle coûte près de 20 000 €. Il faut aussi pouvoir s’appuyer sur une équipe de bénévoles prêts à se relayer pour préparer les vols. « Pourquoi personne n’y a pensé avant ? Parce que ça ne rapporte pas d’argent », résume, amer, Philippe Foubert. Motivé, sûr de son projet associatif, lui s’est tourné vers une collectivité locale, la communauté de communes de la Haute-Saintonge. « Ça m’a pris un an pour convaincre les élus », calcule-t-il. « L’homme est persuasif », reconnaît Claude Belot, le président de cette intercommunalité. Si elle n’a aucune compétence en matière de handicap, la Haute-Saintonge a en effet décidé d’acquérir la nacelle pour le compte de La Montgolfière pour tous, et d’assurer toute la logistique. « Notre logique, c’est d’aider, de soutenir les personnes handicapées, abonde Claude Belot. Partager, c’est bien. Rendre accessible, c’est mieux. » Ce soutien se matérialise aussi dans le tarif d’un vol : 150 € reversés à la collectivité, une somme abordable, comparée aux prix habituels.

Philippe Foubert et la quinzaine de membres de l’association sont, eux, tous bénévoles. Féru de ballons depuis l’adolescence, ce dernier rêve désormais d’un brevet de pilote de montgolfière et commandant de bord destiné aux personnes paraplégiques. Philippe Foubert a déjà commencé à plancher sur le manuel de vol et les protocoles d’instruction. « Il suffirait d’un équipier, formé au sol, pour aider à décoller », assure-t-il, en rappelant que la direction générale de l’aviation civile (DGAC) se montre aujourd’hui « très ouverte sur la question du handicap ». Les demandes de réservation commencent, elles, à pleuvoir sur l’association. Philippe Foubert aura mis près d’une décennie pour concrétiser son idée. Enthousiaste forcené, il espère bien convertir de nouveaux adeptes et former une nouvelle génération de passionnés. « Tous mes élèves sont partis de rien. Ils n’avaient aucune connaissance. Il faut apprendre, tout simplement. Et dans le ciel, lorsqu’on est assis dans cette nacelle, valide ou non valide, les gens ne font pas la différence. »

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