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Un colloque pour demander une vraie protection

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Le 18 mai dernier, à Paris, l’association Coup de pouce – Protection de l’enfance a organisé son troisième colloque annuel sur le sujet du consentement de l’enfant lors d’un acte sexuel avec un adulte. Une critique assumée de la loi du 3 août 2018 « renforçant la protection des mineurs contre les violences sexuelles ».

« Un enfant peut-il consentir a un acte sexuel avec un adulte ? » Tel est l’intitulé du colloque organisé le 18 mai dernier par l’association Coup de pouce-Protection de l’enfance (CDEP). Une question ouverte, qui a interpellé et suscité quelques incompréhensions dans le monde de la protection de l’enfance. Certains y ont vu l’affirmation du discours des pédocriminels, à tel point qu’Hélène Romano, docteure en psychopathologie clinique et intervenante à ce colloque, a témoigné de pressions pour ne pas y participer. Pour faire taire cette polémique, le président de l’association organisatrice, Pascal Cussigh, avocat en protection de l’enfance, a introduit le colloque en justifiant un tel choix : « Quand on pose cette question, le bon sens amène à répondre “non”. C’est néanmoins la question qui est posée par la loi française, aussi absurde que cela puisse paraître, dans chaque affaire de viol sur mineur. Ce n’est donc pas le discours seulement des pédocriminels, c’est surtout la question à laquelle les juges sont tenus de répondre par la loi. »

Ce colloque vient remettre en cause le caractère protecteur de la loi « Schiappa » du 3 août 2018 à l’égard des mineurs, en s’appuyant sur le fait que le principe de non-consentement en deçà d’un seuil d’âge n’a pas été retenu pour qualifier le viol. Pour rappel, cette loi dispose : « Lorsque les faits sont commis sur la personne d’un mineur de 15 ans, la contrainte morale ou la surprise sont caractérisées par l’abus de vulnérabilité de la victime ne disposant pas du discernement nécessaire pour consentir à ces actes. »

Les aberrations de la loi

Le texte de loi avait vivement faire réagir lors de son vote. Regroupant une quinzaine d’associations, dont CDEP, Enfance et Partage ou encore Enfance majuscule, un Collectif pour l’enfance s’était formé (1) pour dénoncer une loi qui renonce à protéger les enfants et pour défendre la reconnaissance légale de l’incapacité de l’enfant à consentir à une relation sexuelle avec un adulte par l’instauration d’un seuil d’âge à 15 ans.

Durant le colloque, Pascal Cussigh, président de CEDP, a démontré les paradoxes, voire les aberrations de ce texte sur le plan juridique. Pour lui, il n’y a pas de doute, le droit français marche sur la tête dans ce domaine. Il s’en explique : « Il n’y a aucune spécificité qui est reconnu pour les enfants, la contrainte doit être démontrée en cas de viol comme pour les victimes adultes. J’ai déjà eu à plaider une affaire de viol et d’acte de torture et de barbarie sur un nourrisson de 15 jours. Juridiquement, avant de retenir la qualification de viol, il aurait fallu démontrer que le nourrisson n’était pas consentant. C’est aberrant, il y a une réforme urgente à mener dans le droit français. » Sur ce cas, il existe cependant une jurisprudence : par un arrêt du 7 décembre 2005, la chambre criminelle de la Cour de cassation a jugé que « l’état de contrainte ou de surprise résulte du très jeune âge des enfants qui les rendait incapables de réaliser la nature et la gravité des actes qui leur étaient imposés ». Néanmoins, la Cour de cassation n’a pas fixé dans cette décision un seuil à l’âge de 5 ans pour l’absence de consentement d’un mineur puisqu’elle a statué dans un cas d’espèce, mais elle a clairement posé le principe selon lequel la contrainte ou la surprise peuvent être caractérisées par le seul jeune âge de la victime. C’est ce qui fait foi aujourd’hui, mais pour Pascal Cussigh cela n’est ni suffisant ni satisfaisant : « Ce n’est qu’une jurisprudence, elle peut donc être modifiée. Pour des interdits aussi fondamentaux que celui-là, c’est le législateur qui doit poser le principe. »

Ladite jurisprudence n’avait pas permis d’éviter, en février 2018, l’affaire de Pontoise, qui avait suscité l’indignation, le parquet ayant considéré qu’une fillette de 11 ans pouvait consentir à un acte sexuel avec un adulte de 28 ans, et l’agresseur présumé ayant donc été poursuivi pour atteintes sexuelles et non pour viol. A cette époque, Marlène Schiappa, secrétaire d’Etat à l’égalité entre les femmes et les hommes, ainsi que le président de la République s’étaient dits favorables à un seuil d’âge en deçà duquel la question du consentement ne se pose pas – l’âge arrêté devant être de 15 ans. Mais le gouvernement a fait machine arrière, arguant que cela serait retoqué par le Conseil constitutionnel. Par conséquent, la loi n’y fait pas référence. Et c’est là tout le problème, alors même que ce principe est appliqué dans d’autres pays (voir encadré ci-contre).

La loi « Schiappa » fait référence à l’abus de vulnérabilité et aux capacités de discernement de l’enfant pour consentir à l’acte sexuel. Pour Pascal Cussigh, c’est un refus de poser un principe de non-consentement tout en maintenant le régime d’atteinte sexuelle, qui présuppose ainsi que l’enfant a pu consentir. « Cette loi n’a apporté aucune protection supplémentaire aux mineurs de moins de 15 ans. Il est crucial d’ouvrir les yeux sur ces incohérences », affirme-t-il.

Des incohérences scientifiques

Outre le cadre juridique, la question de la formation des professionnels, que ce soient les magistrats, les experts des tribunaux ou encore les enquêteurs des brigades des mœurs, se pose, selon Hélène Romano, spécialisée dans le psychotraumatisme. « Les enquêteurs font des auditions d’enfants alors qu’ils ne sont pas formés à parler à un petit ou un adolescent. Le vocabulaire utilisé par l’adulte n’est pas celui de l’enfant, ce qui explique de nombreux malentendus », argumente-t-elle. Hélène Romano parle d’expérience, car elle intervient également en tant qu’experte dans des affaires judiciaires. Pour démontrer le manque d’écoute, elle est revenue sur l’affaire de viol d’une fillette en maternelle par son instituteur. Elle explique ainsi qu’il y avait des preuves– du sperme sur ses vêtements et son corps –, mais il lui a néanmoins été demandé si elle avait vu le sexe de l’homme. Elle n’a pas répondu par l’affirmative, mais a parlé d’un Carambar. « Un enfant n’est pas un adulte, il n’a pas les capacités cognitives, affectives, la maturité psychocognitive et psychosexuelle pour consentir sexuellement, argumente Hélène Romano. La France laisse penser que c’est possible. C’est faux ! D’autant plus quand il y a des liens avec la personne mise en cause, alors qu’on sait que 98 % des agressions sont intrafamiliales. C’est une ineptie de penser qu’un enfant puisse consentir sexuellement. » Elle ajoute avec colère : « Les conséquences sont un taux de suicide effarant chez les enfants prépubères. Mais ça, on n’en parle pas. » Et de conclure : « Combien de vies sacrifiées faudra-t-il encore pour que nos politiques protègent réellement les enfants ? »

Une incapacité à consentir qui s’explique également scientifiquement. C’est, en tout cas, la démonstration qui a été faite par le pôle « neuroscience » de l’association Coup de pouce – Protection de l’enfance. Une intervention surprenante dans ce cadre, mais qui a permis de donner un éclairage sur le neurodéveloppement du cerveau de l’enfant et ses facultés à réagir et à analyser avec discernement les situations.

A l’issue de ce colloque, où est intervenue notamment Michèle Créoff, vice-présidente du Conseil national de la protection de l’enfance, l’association CDPE a rappelé ses propositions en espérant que ce débat sur le consentement de l’enfant soit le dernier et que la loi définisse enfin un âge en deçà duquel la question ne se pose plus. Le Collectif pour l’enfance, dont elle est membre, milite pour que la reconnaissance légale de l’incapacité de l’enfant à consentir à une relation sexuelle avec un adulte soit introduite dans la loi par l’instauration d’un seuil d’âge à 15 ans.

Le non-consentement à l’international

Pays qui retiennent une présomption d’absence de consentement de l’enfant victime d’actes sexuels par un majeur, et seuil d’âge retenu :

• Espagne et Etats-Unis (12 ans)

• Angleterre-Pays de Galles (13 ans)

• Danemark (15 ans)

• Belgique (14 ans)

• Autriche et Italie (14 ans)

• Tunisie (16 ans)

Sources : « Les infractions commises sur les mineurs » – Etudes de législation comparée n° 113 (mars 2004) – Service des études juridiques du Sénat.

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