Plutot que recourir à l’expression « mineur non accompagne » (MNA) consacrée depuis 2016, Sébastien Cacioppo, membre du laboratoire interdisciplinaire de droit, médias et mutations sociales d’Aix-Marseille Université, préfère continuer à dire « mineurs isolés étrangers » (MIE). Un choix de langage « qui reflète davantage la situation de ces jeunes », à l’heure où les institutions attribuent aux MNA des définitions en apparence convergentes, en réalité distinctes. D’un côté, une définition que le doctorant qualifie d’« extensive », incluant tout mineur non accompagné par son représentant légal. Le droit français s’y tenait, jusqu’à un arrêt de la Cour de cassation du 16 novembre 2017 qui mentionne désormais la nécessité de chercher si le mineur dispose d’un représentant légal ou est « effectivement pris en charge par une personne majeure ». Un basculement vers la définition « restrictive », excluant les jeunes accompagnés par un représentant légal « ou tout autre adulte » … Cela n’est pas sans conséquence sur le choix de solliciter ou non l’aide sociale à l’enfance.
Les mineurs isolés arrivant en France peuvent soit être totalement coupés de leurs proches (orphelins, perte du contact avec la famille) soit avoir conservé un lien avec eux. S’ajoute aussi le cas de tuteurs présents sur le territoire et représentant un danger pour l’enfant. « Un mineur étranger peut être, dans les faits, non accompagné quand ses représentants légaux sont dans la démission totale à son égard », pointe le doctorant. Est cité le cas d’une jeune fille marocaine réduite en servitude domestique par ses parents adoptifs, objet d’un arrêt de la Cour de cassation en avril dernier. Sébastien Cacioppo prône donc la distinction entre mineur « juridiquement non accompagné » – c’est-à-dire privé de la protection de sa famille en France – et mineur « factuellement non accompagné » – c’est-à-dire accompagné par des représentants légaux défaillants ou maltraitants. Remanier ainsi la définition permet que celle-ci « ne se restreigne pas aux liens juridiques mais pointe la nécessité d’un cadre bienveillant pour l’enfant ».
Hors du terrain conceptuel, dans les pratiques, la reconnaissance des mineurs non accompagnés reste l’objet d’abus. Une avocate au barreau de l’Essonne alerte sur « les policiers aux frontières qui refusent les documents d’identité des mineurs » et souligne : « La présomption de validité des documents n’est pas respectée ! » En vertu de l’article 47 du code civil, les documents d’état civil étrangers font foi, sauf si des éléments « établissent, le cas échéant et après toutes vérifications utiles », leur falsification. Or l’avocate affirme que « la police aux frontières fait parfois une comparaison entre leurs documents d’identité et les documents français – une comparaison formelle qui n’est pas pertinente et entraîne des problèmes de prise en charge… » Restent enfin les tests osseux, validés par le Conseil constitutionnel dans une décision du 21 mars dernier, sous le feu des critiques. « Dans certains départements, les tests osseux sont pratiqués de manière quasi systématique, et sans le consentement du jeune », rapporte Sébastien Cacioppo. La Cimade, ou encore le défenseur des droits, s’en étaient fait l’écho. Or ces examens doivent être pratiqués uniquement en cas de doute sérieux, et le Conseil constitutionnel avait réaffirmé la nécessité du consentement éclairé.
En droit, la protection de l’enfance ne pose aucune condition de nationalité à la protection d’un mineur en danger. Comme pour tous les autres jeunes, le juge des enfants est amené à intervenir sur des situations de mineurs non accompagnés. Or « d’aucuns ont pu critiquer le rôle du juge des enfants dans le mécanisme de l’assistance éducative » à destination des MNA, renseigne Sébastien Cacioppo. Par définition, les parents du jeune sont absents du territoire et de la procédure. Si « les mesures de placement et d’assistance éducative doivent avoir comme perspective de ressouder la famille », le MNA, lui, porte la spécificité de ne bénéficier d’aucune présence parentale.