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L’état de santé et l’espérance de vie des gens du voyage sont moins bons que ceux de la moyenne de la population. Si la médiation en santé améliore l’accès aux droits et aux soins des voyageurs, les acteurs du terrain insistent sur l’urgence d’améliorer leurs conditions de lieux de vie et de se pencher sur la problématique de l’accompagnement de la perte d’autonomie.

IL EXISTE PEU D’ENQUÊTES ÉPIDÉMIOLOGIQUES CONCERNANT LES GENS DU VOYAGE. Celle souvent citée en référence est une enquête menée, en 2000, par Médecins du monde dans le cadre du projet Romeurope. Elle montrait que l’espérance de vie des populations tsiganes est, en moyenne, inférieure de quinze ans à celle de la population générale : de l’ordre de 50 à 60 ans, contre plus de 80 ans en France actuellement. Dans un constat établi en juin 2017, Santé publique France pointait du doigt « un cumul de déterminants sociaux, économiques et environnementaux défavorables, entraînant une forte vulnérabilité face aux problèmes de santé et d’accès aux soins. Ces expositions multiples doivent entraîner des fréquences élevées de maladies et un état de santé dégradé  ». L’agence scientifique rappelait toutefois qu’« il n’existe pas de système de surveillance sanitaire, ponctuel ou répété, qui permettrait d’avoir des données sur l’état de santé et ses déterminants dans cette population  ».

Les gens du voyage sont identifiés, par les agences régionales de santé (ARS), comme une population prioritaire dans le cadre de plusieurs programmes régionaux d’accès à la prévention et aux soins (Praps), compte tenu du danger lié à leur habitat et à leur mode de vie. Beaucoup de leurs lieux de vie se trouvent encore dans des zones de nuisances (pollution, nuisances sonores, environnementales…), qui ne sont pas sans incidences sur leur santé, avec des risques d’intoxication au plomb, aux métaux lourds, ou d’inhalation de fumées toxiques… « L’amélioration de l’accès aux soins et à la santé des gens du voyage passe de manière impérative par une amélioration des conditions de vie. Cela implique de mener une réflexion sur cette question qui prend en compte la qualité de l’accueil : emplacement des aires, organisation des aires, accès à l’eau et l’électricité… Les aires d’accueil sont des lieux de vie, et pas seulement des lieux de stationnement  », alertait déjà, en 2009, le groupe de travail du Réseau français des Villes-Santé de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Dix ans après, c’est loin d’être toujours le cas et les associations plaident pour une augmentation du nombre de terrains et une amélioration des conditions d’accueil (localisation et aménagement des sites). « Les schémas départementaux d’accueil et d’habitat des gens du voyage inscrivent désormais des préconisations sanitaires en matière d’aménagement et de localisation des futurs aires d’accueil et lieux de vie des gens du voyage dans leur prévisionnel, reconnaissant ainsi un lien direct entre condition d’habitat et santé. Certains intègrent un volet santé, mais cela semble peu fréquent  », notait Santé publique France.

Impacts de l’environnement

« Des ingénieurs en environnement ont fait une étude en 2017 avec deux centres sociaux de Charente sur l’exposition au plomb sur quelques terrains. Sur 36 prises de sang réalisées sur les enfants, il y avait 20 intoxications au plomb  », expliquait Erwan Autes, chargé de mission de l’ARS de Nouvelle-Aquitaine, lors d’une journée d’étude organisée par la Dihal et la commission nationale consultative des gens du voyage, le 1er avril à Paris. Les données de cette étude sont développées par Stéphanie Vandentorren, médecin de santé publique et épidémiologiste, responsable de Santé publique France en Nouvelle-Aquitaine, en vue d’une publication.

Aires d’accueil souvent placées aux extrémités des villes, démarches administratives complexes, déplacements plus ou moins réguliers des familles de voyageurs, recours préférentiel aux services d’urgences… autant de freins à un suivi médical efficace. Piloté par la Fnasat, le programme interassociatif national de médiation santé vise à améliorer l’accès aux droits et aux soins des populations vulnérables. Employés par des associations locales, les médiateurs interviennent au plus près des gens du voyage, dans une démarche de relais et d’orientation vers les dispositifs (droits, soins et prévention). Des actions sont menées avec différents acteurs du parcours de santé : médecine de ville, PMI (Protection maternelle et infantile), associations de prévention et de réduction des risques en santé, services des agences régionales de santé…

Dispositifs de prévention

Depuis 2012, l’association Le Rocheton organise des ateliers de sensibilisation à la prévention en santé en Seine-et-Marne. « Nous adaptons au maximum nos interventions aux besoins relevés et aux spécificités du public. L’illettrisme étant important, nous avons recours à des outils de communication visuelle. Les dépistages auditifs, les tests visuels, les gestes de premiers secours, les initiations à l’utilisation d’extincteurs sont des actions de sensibilisation qui portent leurs fruits, se satisfait Marion Jarret, responsable pôle médiation des gens du voyage. Au début, nous travaillions surtout avec les enfants et les femmes. Depuis un an ou deux, de plus en plus d’hommes s’intéressent à notre action, notamment au travers d’interventions sur les risques professionnels. Il y a une meilleure connaissance des dispositifs de prévention, une amélioration des connaissances sur les méthodes de prévention, les gestes de premiers secours, etc.  »

Crainte réciproque

Des actions de médiation en santé s’adressent aussi aux professionnels, pour les sensibiliser et les former aux spécificités de cette population à risque. « Les gens du voyage s’adressent très tardivement aux structures et aux professionnels de santé, ce qui génère des situations de crises sanitaires, des diagnostics tardifs, des hospitalisations. Cela s’ajoute à une crainte réciproque entre voyageurs et professionnels de santé  », explique Cyprien Bonnet, agent de développement à l’Association régionale des Tsiganes et de leurs amis gadjé (Artag). Marion Jarret constate que les représentations des professionnels de santé ne sont pas différentes de celles de la plupart des sédentaires qui ne connaissent pas les gens du voyage. « Ils reprochent aux voyageurs d’arriver très nombreux à l’hôpital, de vouloir une prise en charge immédiate, des réponses tout de suite également. Beaucoup de médecins refusent de se déplacer sur les aires où sont stationnés les gens du voyage, de peur d’être mal reçus voire agressés. Il suffit parfois d’une seule mauvaise expérience pour qu’un médecin refuse ensuite toute intervention.  » L’association Le Rocheton a mis en place des séances d’information et de sensibilisation auprès des professionnels, notamment en 2019 auprès des membres de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) et auprès des étudiants en première année à l’Institut de formation en soins infirmiers (Ifsi) de Melun. « Les a priori sont bousculés, les peurs tombent, et il y a une meilleure compréhension du mode de vie et des problématiques rencontrées par les gens du voyage, ce qui permet une prise en charge améliorée. Le changement de comportement se fait sur du long terme, c’est donc une action qui doit être reconduite pour avoir des effets  », précise Marion Jarret.

Si la question de la santé des gens du voyage n’a pas donné lieu à de nombreuses études épidémiologiques, peu de travaux sont également consacrés au vieillissement de cette population. En octobre 2017, Vincent Mutinelli a soutenu sa thèse de médecine sur la prise en charge des personnes dépendantes chez les gens du voyage. Un travail réalisé à partir d’une étude qualitative auprès de 17 voyageurs en Normandie et en Rhône-Alpes, « qui étaient ou avaient été l’aidant principal d’un proche âgé ou dépendant  ».

Vieillissement des voyageurs

L’accompagnement familial des personnes âgées en perte d’autonomie est culturellement de rigueur chez les gens du voyage, mais il atteint ses limites dans certains cas. « L’émergence des pathologies neuro-dégénératives et des polyhandicaps met à mal cette prise en charge. Les caravanes et les stationnements en aires d’accueil sont mal adaptés aux équipements de soins : le lit médicalisé est difficile à installer, l’eau potable n’est pas à disposition sur tous les sites, le maintien de l’énergie n’est pas assuré sur les aires avec prépaiement et met en défaut les soins sous dispositif nécessitant l’électricité. Les atteintes neuro-dégénératives avancées ne peuvent être gérées dans le contexte familial, mais la prise en charge institutionnelle se heurte à la culpabilité des aidants, à la culture du groupe familial et à la réticence des établissements spécialisés vis-à-vis des gens du voyage  », peut-on lire dans plusieurs schémas départementaux d’accueil et d’habitat des gens du voyage 2018-2023 (Occitanie, Hautes-Pyrénées).

Cyprien Bonnet reconnaît une émergence des problématiques des aidants familiaux de personnes âgées en perte d’autonomie chez les gens du voyage. « Le recours à l’Ehpad suscite chez les voyageurs un sentiment d’abandon. Il y a également une appréhension des démarches administratives pour l’admission dans une maison de retraite médicalisée. Dans le cas de situations de crise sanitaire, avec des aidants familiaux complètement épuisés et eux-mêmes en difficulté de santé, les travailleurs sociaux de l’Artag travaillent avec le Réseau Intermed santé de ville de Lyon et le Bus Infos Santé de la métropole de Lyon pour accompagner les familles dans leurs prises de décision.  » Cyprien Bonnet précise qu’il est difficile de pérenniser les interventions de services d’aide à domicile : en raison du règlement intérieur des aires d’accueil, les familles sont souvent confrontées à l’obligation, au bout de six à neuf mois, de quitter leur emplacement. Certains groupes familiaux n’ont alors que deux choix : se sédentariser ou faire le choix de l’institutionnalisation.

Comme le souligne Vincent Mutinelli, malgré une culture centrée sur la famille et l’aide intergénérationnelle, cette problématique risque de se poser de plus en plus pour les gens du voyage et va devenir « sans aucun doute un problème de santé publique  ».

Entre 300 000 et 500 000 personnes

Le terme « gens du voyage » englobe une multiplicité de populations, qu’elles soient d’origine rom (Manouches, Gitans, Tsiganes ou Roms d’Europe de l’est) ou non rom (Yenniches). Estimée entre 300 000 et 500 000 personnes, cette population est à un tiers sédentaire, un tiers semi-sédentaire, et un tiers nomade. Les gens du voyage sont issus de plusieurs groupes et possèdent très majoritairement la nationalité française. Loin d’être homogène, le groupe des « gens du voyage » revêt des réalités sociales et économiques très diverses.

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