Des médecins de services des urgences m’avaient sollicité, car ils rencontraient trop de difficultés à soigner les voyageurs. Nous avions déjà fait des co-formations par la méthodologie du croisement des savoirs et des pratiques avec des personnes en situation de grande exclusion. Nous avons eu recours à cette même approche avec les voyageurs. Cette formation, organisée en 2018 à Chambéry, était portée par l’Artag, Respect 73, le centre hospitalier Métropole Savoie et ATD Quart-Monde.
Les urgences ressenties par les voyageurs ne sont pas forcément des urgences médicales ressenties par les soignants. Côté professionnels, il y avait des difficultés à recevoir les voyageurs par peur de la violence, peur de ne pas pouvoir gérer le groupe. Côté voyageurs, la difficulté portait sur les relations avec les professionnels de santé plutôt que sur l’aspect technique des soins, auquel ils accordent une très grande confiance. Le deuxième point est la peur massive de la mort, de la maladie, et de ne pas être pris en compte comme les autres. Il y a d’autres sujets de tension, comme la gestion des informations médicales, des mots à ne pas prononcer (la « vilaine maladie ») [le cancer, NDLR]… Il y a donc la rencontre de deux peurs et cela crée – souvent, mais pas toujours – des tensions, notamment dans les services d’urgences. C’est un obstacle dans l’accès aux soins pour les voyageurs et dans la démarche de soins des professionnels de santé vers les voyageurs.
Les voyageurs présents aux co-formations ne sont pas issus du même territoire que les professionnels de santé. Cela évite toute relation de pouvoir et autorise une liberté de parole. Nous commençons par travailler sur les différences de représentations. Pour les professionnels, la santé est associée à l’idée de bien-être ; pour les gens du voyage, elle est associée à la peur. Nous travaillons également sur des situations réelles, analysées selon les logiques du groupe des professionnels de santé et de celles des voyageurs. Le débat permet à chacun de comprendre la façon de penser de l’autre, de cerner les comportements liés aux représentations. Il établit des ponts, des compréhensions réciproques. La co-formation humanise la relation.
C’est un énorme travail pour les associations que d’identifier, accompagner et préparer les voyageurs à se confronter à des professionnels de santé. Nous avons créé des outils qui permettent de diffuser les enseignements issus de la co-formation aux professionnels qui n’y ont pas participé. En 2009, nous avions réalisé un film pédagogique1 qui est projeté en formation initiale et continue. Il est encore d’actualité. Pour la formation, fin 2018, nous avons réalisé de courtes vidéos. Une troupe de théâtre d’improvisation a réinterprété des situations qui questionnent la relation entre gens du voyage et professionnels. Onze saynètes ont été retenues, elles sont en cours de validation.
Bruno de Goër est responsable de la Permanence d’accès aux soins (Pass) du centre hospitalier Métropole Savoie et membre du conseil d’administration de l’association Respects 73 (Réseau santé précarité égalité coordination dans les territoires de santé de Savoie).
(1) Santé et Gens du Voyage, au croisement des savoirs et des pratiques.