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Plan « ESMS numérique », un virage décisif

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La ministre des Solidarités et de la Santé vient d’annoncer un plan « ESMS numérique » pour 2020. Dans les établissements et services médico-sociaux, le déploiement de systèmes d’information adaptés, interopérables et évolutifs sera un chantier décisif pour réussir la mise en œuvre des parcours de soins et de vie.

Mettre à disposition l’information attendue à la bonne personne, par le bon canal, dans le bon contexte, au bon moment et selon la forme la plus appropriée… Cette formule résume l’enjeu du partage, du décloisonnement, de la fluidité de l’information dans une logique de parcours des personnes accompagnées par des établissements et services sociaux et médico-sociaux ou par des établissements de santé. Au sein de la stratégie « Ma santé 2022 », le numérique est inscrit comme un levier essentiel de la transformation du système médico-social et de celui de santé. Un levier pour décloisonner l’organisation des soins, améliorer la prise en charge des usagers tout au long de leur parcours et fluidifier la coopération interprofessionnelle. Le 25 avril, en présence de Cédric O, secrétaire d’Etat chargé du numérique, Agnès Buzyn, la ministre des Solidarités et de la Santé, a présenté la feuille de route « Accélérer le virage numérique », qui doit fixer les grandes orientations de la politique du numérique en santé. Une feuille de route définie dans le cadre de cette stratégie « Ma santé 2022 ». Avec les plans « Hôpital 2012 » puis « Hôpital numérique » (doté de 400 millions d’euros), les établissements sanitaires ont pu développer et moderniser leurs systèmes d’information hospitaliers (SIH) sur la période 2012-2017. Lancé en février dernier, le programme « Hop’EN » (Hôpital numérique ouvert sur son environnement) a pris le relais. Ce sont 420 millions d’euros qui seront mobilisés autour de trois nouvelles ambitions : « accélérer la transformation numérique » des établissements de santé publics et privés, « renforcer la structuration des données hospitalières » et « développer et simplifier les liens entre l’hôpital et ses partenaires ». Comparé au secteur hospitalier, le médico-social est à la traîne – notamment dans le champ du handicap – en termes d’informatisation des dossiers des usagers, en particulier dans le suivi des soins.

Un financement pluriannuel

Pour combler ce retard des établissements sociaux et médico-sociaux en matière de système d’information, la feuille de route prévoit la mise en place d’un plan « ESMS numérique » sur la période 2020-2022 (action 20). Un plan de financement pluriannuel dont « l’amorçage serait assuré par la Caisse nationale de solidarité et de l’autonomie (CNSA) sur ses fonds propres » et « dont la prolongation devra être intégrée dans une programmation budgétaire à trois ans » permettra de pallier les difficultés des ESMS « à dégager des budgets suffisants pour conduire à la fois la sécurisation, l’équipement matériel, l’acquisition de logiciels métier et leur déploiement ». Un dispositif d’accompagnement des structures sera également mis en œuvre.

Dans un communiqué en date du 26 avril, l’Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés sanitaires et sociaux (Uniopss) s’est satisfaite du lancement de ce plan « ESMS numérique », « mesure qu’elle avait portée auprès de la précédente ministre des Solidarités et de la Santé, Marisol Touraine, dès 2016, ainsi que dans sa contribution à la stratégie nationale de santé ». L’Union fédérative exprime toutefois des interrogations « sur les moyens qui y seront consacrés ». Elle considère également comme « essentiel » d’élargir le périmètre au-delà du secteur des personnes âgées et de celles en situation de handicap, pour y inclure l’ensemble des établissements et des services sociaux et médico-sociaux. Comme exposé notamment dans son livre blanc « La transformation numérique du parcours de vie », réalisé en 2015 avec le Syntec informatique, la Fehap (Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne privés non lucratifs) rappelle, dans un communiqué en date du 30 avril, que « la réussite du déploiement de plateformes digitales et du soutien de l’innovation passera par la maîtrise de l’urbanisation, de l’interopérabilité et de l’intermédiation des systèmes d’information ». La fédération souligne également « l’impérieuse nécessité » de consacrer au secteur médico-social un plan d’envergure à l’instar du programme « Hop’EN » pour le sanitaire, en y intégrant le secteur des personnes âgées, celui du handicap, et le champ du domicile. Le rapport « Libault » remis le 28 avril à la ministre des Solidarités et de la Santé proposait la mise en œuvre d’« un plan de soutien financier des gestionnaires du secteur social et médico-social non encore équipés en systèmes d’information ». Dans le cadre de la concertation « grand âge et autonomie », les membres du groupe « Données de gestion et interopérabilité des SI » ont évoqué un chiffrage global allant de 1,5 à 1,9 milliard d’euros réparti sur quinze ans, avec une part importante sur les cinq premières années, « afin d’initier la dynamique de changements ». Et ce, sans compter le champ du handicap…

Un retard conséquent

Quelle sera l’ampleur du chantier ? Où en est le secteur médico-social en matière de systèmes d’information ? En février dernier, l’Agence nationale d’appui à la performance (Anap) a publié le premier état des lieux national concernant l’usage du numérique dans le secteur médico-social, en se fondant notamment sur les données du tableau de bord de la performance. Si 96 % des établissements et services médico-sociaux ont déclaré équiper leurs fonctions administratives et de gestion de logiciels informatiques, seuls 57 % d’entre eux ont investi dans des outils numériques professionnels pour les équipes « cœur de métier » chargées directement de l’accompagnement des usagers. Un retard conséquent, à l’heure où le secteur raisonne en termes de parcours, de décloisonnement et de coordination de l’accompagnement des usagers. S’agissant de l’informatisation du dossier du résident, de l’admission et du pilotage, les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) sont un peu plus avancés que les structures relevant du champ du handicap, notamment lorsqu’ils sont adossés à un établissement sanitaire et que, de ce fait, ils peuvent bénéficier de l’informatisation de l’hôpital de rattachement. Le développement des systèmes d’information sera plus soutenu pour les établissements faisant partie d’un groupement hospitalier de territoire (GHT). « La pénétration du numérique est plus faible dans le domaine de l’intervention au domicile que dans l’ensemble du secteur, souligne l’Anap. Or c’est au domicile que le numérique paraît le plus susceptible de faciliter la production et l’échange d’informations » La mise en œuvre en 2020 d’un plan numérique pour le médico-social devrait activer la prise de conscience des directeurs d’ESMS qui, selon l’analyse de l’Anap, n’ont pas encore suffisamment identifiés les enjeux stratégiques de cette révolution numérique et sous-évaluent les besoins en ressources d’ingénierie informatique. « Déployer un SI complet n’apparaît pas assez fréquemment comme une priorité pour les fédérations et les organismes gestionnaires. Seuls le secteur privé commercial et les plus grands organismes gestionnaires du secteur du handicap semblent avoir la position stratégique du système d’information dans les changements présents et à venir. » Les deux champs se caractérisent, également, par un manque de personnel dédié à l’administration de leur SI, moins de 20 % des établissements disposant d’un responsable du système d’information ou d’un responsable sécurité de ce système.

L’Adaptation des solutions

Autre écueil : l’offre des fournisseurs de logiciels ne correspond pas toujours aux besoins et aux spécificités de la prise en charge dans les établissements médico-sociaux. Dans son état des lieux, l’Anap notait que les dossiers des résidents en Ehpad sont « souvent très médicaux et non de réels dossiers de l’usager comprenant toutes ses composantes ». Le constat est similaire dans les foyers d’accueil médicalisé (FAM) et les maisons d’accueil spécialisées (MAS). La raison en est une approche très médicale de la part des éditeurs de logiciels, avec une partie éducative, sociale et pédagogique plus compliquée à appréhender. Enfin, les structures rencontrent des difficultés à obtenir de la part des éditeurs de logiciels une adaptation des solutions à leurs réels besoins. Menée par l’agence régionale de santé (ARS) Centre-Val de Loire en lien avec un comité de pilotage des systèmes d’informations dans le médico-social, une étude(1) publiée en janvier 2018 explique : « La maturité des systèmes d’information dans le médico-social est encore très hétérogène, surtout dans le champ “personnes handicapées”, dont les outils semblent obsolètes ou peu adaptés aux métier. Les outils présents dans le secteur, ayant été construits sur le modèle des outils du sanitaire, sont adaptés pour les établissements qui ont orienté leur activité principale autour du soin de l’usager. Or le champ du handicap a orienté son activité principale vers l’accompagnement et le parcours de vie. L’une des raisons de l’écart d’informatisation qui apparaît entre les deux secteurs est due au manque d’adaptabilité des outils présents sur le marché. » Tandis que, dans son étude, l’Anap juge : « Aujourd’hui, les éditeurs proposent des solutions par métier, avec des défauts en termes de sécurité et d’interopérabilité. Par manque d’expression de besoins structurés, les éditeurs s’adaptent par essai/erreur. Ils éprouvent régulièrement des difficultés à identifier les orientations majeures et structurantes. L’opportunité de travailler à la convergence des besoins (par la réalisation de cahiers des charges nationaux, par exemple) semble pertinente dans ce contexte. »

Fort de ce constat, l’Agence nationale d’appui à la performance propose des pistes d’amélioration, parmi lesquelles la rédaction d’un cahier des charges national qui exprimerait les besoins des structures et faciliterait donc le travail des éditeurs. « Les éditeurs de logiciels en santé vont devoir adapter leur offre face à une logique de parcours qui s’impose à leurs clients, et aux exigences accrues en matière d’efficience de la production informatique », explique Philippe Gattet, directeur d’études Xerfi(2). Les réformes du secteur médico-social en cours et la synergie attendue entre les multiples parcours des personnes à l’échelle d’un territoire, mêlant la médecine de ville, le sanitaire et le médico-social, produisent une grande diversité de situations à prendre en compte dans l’élaboration des nouveaux systèmes d’information afin qu’ils soient efficaces. « Les acteurs du marché des systèmes d’information de santé (SIS) doivent s’adapter à la logique de “parcours” et aux contraintes réglementaires et financières qui s’imposent à tous les établissements et services de santé, diagnostique l’étude Xerfi. Plus concrètement, ils doivent apporter des réponses pertinentes aux exigences accrues des utilisateurs (établissements, services, professionnels de santé, patients), aussi bien en matière de production et d’échange d’informations que de sécurité et d’ergonomie. »

Un enjeu de taille soulevé également par le rapport « Libault » : « Il est nécessaire de généraliser et de rendre obligatoires la mise en œuvre et l’usage des services numériques de coordination en se basant sur les outils nationaux et locaux ayant fait leurs preuves (dossier médical partagé, messageries sécurisées de santé…), dans le cadre d’organisations structurées disposant notamment de compétences de maîtrise d’ouvrage des SI. » Afin d’accélérer le virage numérique dans le secteur médico-social, il faudra déjà lever tous ces freins.

Harmoniser les systèmes d’information de l’APA

L’action 21 de la feuille de route « Accélérer le virage numérique » prévoit d’harmoniser les systèmes d’information de gestion de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA). C’est l’une des 175 propositions du rapport « Libault ». « Sur la base d’un diagnostic approfondi, un système d’information unifié de la prestation doit permettre de favoriser l’équité de traitement entre les personnes âgées, de simplifier les démarches, notamment pour l’accès aux droits, et de disposer d’informations populationnelles sur les bénéficiaires de l’APA et leurs proches aidants, afin d’adapter l’offre et la politique dédiées aux personnes âgées », précise la feuille de route.

Notes

(1) « Etat des lieux des systèmes d’information dans le secteur médico-social en région Centre-Val de Loire », A. Mabondo et D. Pierre, ARS Centre-Val de Loire (2018).

(2) « E-santé : les systèmes d’information de santé à l’horizon 2022. Quelles dynamiques et stratégies sur les marchés hospitaliers, ambulatoires, médico-sociaux et sociaux ? », Xerfi Precepta (octobre 2018).

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