Un pas en avant, deux pas en arrière ? Il a suffi d’une déclaration du Premier ministre pour que l’optimisme qui avait suivi la remise du rapport « Libault » laisse la place, chez certains représentants du secteur du grand âge à la colère, à l’inquiétude, voire à un air de déjà-vu et déjà-vécu. A l’issue du séminaire du 29 avril avec le gouvernement et des représentants de la majorité, Edouard Philippe a fait savoir qu’une « loi de programmation sur la dépendance » serait présentée « au cours de l’automne » et « devra permettre de trouver les réponses financières, organisationnelles, de formation ». Jusque-là, ça va. Mais le Premier ministre a aussi déclaré : « Nous allons créer finalement, non pas une nouvelle branche de la sécurité sociale, non pas un nouveau risque, mais un dispositif extrêmement puissant. » Et là, ça coince. Un mois et un jour après la remise à la ministre de la Solidarités et de la Santé du rapport de Dominique Libault sur « le grand âge et l’autonomie », cette annonce a fait l’effet d’une douche froide.
La fédération Adessadomicile et l’Union nationale de l’aide, des soins et des services aux domiciles (UNA) dénoncent, dans leur communiqué respectif du 3 mai, un « rétropédalage » du gouvernement. « Alors que le soutien financier de 550 millions d’euros pour l’aide et l’accompagnement à domicile préconisé par le rapport “Libault” reste largement insuffisant, cette nouvelle annonce de ne pas créer une 5e branche de la sécurité sociale fait naître une très forte inquiétude pour la prise en charge de la perte d’autonomie et plus particulièrement celle à domicile », déplore Adessadomicile. Laurence Postel, présidente de la conférence des directeurs d’établissements pour personnes âgées et handicapées (CNDEPAH), qualifie, dans un communiqué de presse en date du 3 mai également, cette déclaration du Premier ministre de « premier signal très décevant ». Elle déplore que « les promesses d’Emmanuel Macron en juin dernier semblent, en l’espèce, balayées d’un revers de manche, sans concertation ». Tandis que la présidente de la Fédération nationale des associations et des amis des personnes âgées et de leurs familles (Fnapaef), Claudette Brialix, fulmine : « On nous mène en bateau une fois de plus ? Où est la cohérence d’orientation du gouvernement et du Président ? Qui doit-on croire ? Le Président ou le Premier ministre ? » Avant de s’irriter : « Nous voyons bien que le gouvernement gagne du temps en lançant des petits ballons, des mesurettes, dans l’attente des élections européennes. »
Pour sa part, Laurène Dervieu, conseillère technique « autonomie et citoyenneté des personnes âgées et des personnes en situation de handicap » à l’Uniopss, reconnaît ne pas être très étonnée qu’il y ait un recul sur le cinquième risque. Elle rappelle que déjà, avant Emmanuel Macron, ses prédécesseurs Nicolas Sarkozy et François Hollande « l’ont promis et ne l’ont pas fait ». Avec le retour aux oubliettes illico presto du cinquième risque, le financement de la perte d’autonomie s’éloigne-t-il à nouveau ? « Ce n’est pas qu’une question de principe ou de philosophie : la reconnaissance de la perte d’autonomie comme un risque de protection sociale à part entière emmenait de facto la nécessité d’en asseoir un financement pérenne et fléché », juge Laurence Postel.
L’inquiétude est d’autant plus forte qu’un mystère, voire un grand flou, plane pour le moment sur ce que le Premier ministre entend par « dispositif extrêmement puissant ». Un lot de consolation ou le gros lot pour le secteur ? Ne concernera-t-il que les personnes âgées en établissement, puisque le Premier ministre a évoqué l’« angoisse quand il s’agit de financer le reste à charge ou même de trouver des places » ? « Le prisme large, riche et ambitieux dont nous pouvions nous satisfaire dans le rapport “Libault” laisse ici place à quelques mots bien pauvres et à un projet très réducteur », tacle la présidente de la CNDEPAH. La fédération Adessadomicile estime que, « encore une fois, le choix des Français [de vieillir chez eux] n’est pas respecté ». Et UNA exprime sa « colère » face « au manque de précisions du gouvernement concernant les détails techniques des réformes à venir, et particulièrement celle relative à la prise en charge des personnes âgées qui ne pourra se limiter à un nom et un calendrier ».
« Parler d’un dispositif extrêmement puissant, cela pourrait être encourageant, positif. Pour le moment, nous attendons de voir comment cela sera mis en œuvre. Tout est flou, tout est imprécis. On ne nous dit rien sur le périmètre, ni sur les délais, ni sur son articulation avec les autres réformes. Quelles sont les sources de financement disponibles ? Qui va être concerné ? Est-ce seulement les personnes âgées ou également les personnes en situation de handicap ? Quelle articulation avec la réforme des retraites ? », s’interroge Laurène Dervieu. « Le secteur attend depuis longtemps une loi d’envergure. Si ce n’est pas un cinquième risque, l’Uniopss en prend acte. Si c’est un dispositif extrêmement puissant, l’Uniopss en prend acte aussi. Mais il faut que le niveau d’ambition reste à la hauteur des enjeux et des attentes », ajoute-t-elle. La fédération Adessadomicile indique également qu’elle restera « extrêmement vigilante quant aux moyens légaux et financiers qui seront alloués » à ce « dispositif ». Un financement qu’elle souhaite pérenne, « sans quoi toute solution pour accompagner dignement les personnes ayant fait le choix de vieillir à domicile serait illusoire ».
« Nous ne voyons pas de cohérence, nous ne voyons pas d’orientation très nette. » Une critique que Claudette Brialix adresse aussi bien à la future loi de programmation sur la dépendance qu’à la réforme des retraites. « Des hypothèses comme l’allongement de la durée des cotisations pour financer la dépendance sont abordées alors qu’elles n’ont jamais été posées lors de la concertation “grand âge et autonomie”. Nous sommes également inquiets pour le cas des carrières incomplètes, et particulièrement celles des femmes qui sont “le gros de la troupe” dans les établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes », explique la présidente de la Fnapaef. La CNDEPAH s’inquiète « quant à la réelle ambition du gouvernement » et appelle celui-ci « à infléchir sa position [et] à traduire l’ambition originelle par des actions cohérentes et dynamiques ».