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Un colloque pour une tribune peu convaincante

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Le 13 mai, Xavier Iacovelli, sénateur (PS) à l’origine d’un groupe de travail informel et « transpartisan » sur la protection de l’enfance, a organisé un colloque sur le sujet au Palais du Luxembourg. Moins d’une semaine après le vote à l’Assemblée nationale de la proposition de loi dite « Bourguignon », tant contestée depuis, cette actualité a largement occupé les discussions.

Prévu depuis des semaines, avant même l’annonce de la date du vote à l’Assemblée nationale de la proposition de loi de Brigitte Bourguignon sur la prise en charge des jeunes majeurs, ce colloque organisé le 13 mai au Sénat sur la protection de l’enfance proposait deux tables rondes, l’une sur le principe « Mettre l’enfant au cœur du système » et l’autre sur une interrogation : « Quelle articulation entre l’Etat et les départements ? » Xavier Iacovelli, sénateur et organisateur de ce colloque – également à l’origine du groupe de travail informel et « transpartisan » au Sénat sur ce sujet – ne s’attendait certainement pas à ce qu’Adrien Taquet, secrétaire d’Etat chargé de la protection de l’enfance, devant introduire ce colloque en fasse une tribune pour défendre cette proposition de loi, tant contestée, après la modification notamment de son article 1er. C’est pourtant ce qui s’est passé.

Une mise au point

Alors que de nombreux acteurs de la protection de l’enfance – professionnels comme anciens enfants de l’aide sociale à l’enfance (ASE) – étaient présents, Adrien Taquet s’est saisi de cette occasion pour « initier le dialogue afin de clarifier quelques points et acter, peut-être, quelques divergences ». Dialogue qui n’a eu que le nom étant donné que le secrétaire d’Etat s’est éclipsé juste après son intervention.

Il a ainsi fait part de son étonnement sur les réactions de regrets au sujet de la non-adoption de la systématisation des contrats « jeune majeur ». « Le texte initial ne le prévoyait pas, il prévoyait la poursuite de la prise en charge à l’aide sociale à l’enfance, de mon point de vue, ce n’est pas la même chose. » Et d’ajouter : « Lorsqu’on parle de contrat “jeune majeur”, on n’a rien dit car derrière ce terme-là, il y a un certain nombre de réalités. » Une inégalité territoriale sur le sujet qui est effectivement régulièrement dénoncée du fait que d’un département à l’autre, l’accompagnement des contrats « jeune majeur » n’est pas le même. « Pour moi, le risque du prolongement de la prise en charge est d’adopter un amendement “Creton” pour la protection de l’enfance. Ce serait contreproductif en termes d’accompagnement vers l’autonomie et cela pourrait créer des difficultés pour la prise en charge des moins de 18 ans. »

Cet amendement « Creton », dont le secrétaire d’Etat s’est fait l’écho, permet en fait aux personnes handicapées devenues adultes de rester dans leur établissement pour enfants après leurs 18 ans s’ils n’ont pas une autre solution d’accueil. Aujourd’hui, certains établissements pour enfants en situation de handicap sont occupés en grande partie par des adultes. Une situation que dénoncent les associations de parents et de personnes en situation de handicap qui ne fustigent néanmoins pas cet amendement « Creton » mais qui regrettent qu’il n’y ait pas plus de structures pour adultes sur le territoire. Une analyse que n’a pas évoquée Adrien Taquet lors de sa présentation.

Ce dernier est ensuite revenu sur la colère que soulève la condition pour accéder au nouveau « contrat d’accès à l’autonomie », c’est-à-dire le fait que le jeune doit avoir été pris en charge par l’ASE au moins 18 mois entre 16 et 18 ans. Adrien Taquet justifie ce choix : « D’une part, pour éviter des effets d’aubaine de placement de la part des juges, et surtout pour éviter des pratiques hétérogènes des départements qui auraient pu inscrire et déterminer la durée de parcours à leurs convenances. » Une condition d’entrée qui apparaît clairement comme une clause anti-mineur non accompagné (MNA) pour de nombreux acteurs du secteur, ce que nie le secrétaire d’Etat. Ce dernier a annoncé d’ailleurs à propos des MNA que le ministre de l’Intérieur s’apprête à faire passer une circulaire à l’ensemble des préfectures pour que celles-ci mettent en place des conventions avec les départements afin qu’il y ait une évaluation automatique de la situation de ces jeunes à 17 ans au sujet de leur titre de séjour. Une mesure qui ne règle en rien la question de la continuité de leur prise en charge par l’ASE après 18 ans, la majorité d’entre eux intégrant le système de protection de l’enfance après 16 ans.

Et des désaccords persistants

Après le départ d’Adrien Taquet, Xavier Iacovelli a tenté de reprendre le cours normal des tables rondes mais le sujet est revenu à plusieurs reprises sur le tapis. Lyes Louffok, membre du Conseil national de la protection de l’enfance et ancien enfant placé, a ainsi réagi aux propos du secrétaire d’Etat : « Dans cette proposition de loi, la continuité de la prise en charge à l’ASE jusqu’à 21 ans [article 1er d’origine] aurait pu changer l’avenir de dizaines de milliers d’enfants placés. Et la charge des dépenses supplémentaires serait reprise par l’Etat. » Et d’ajouter : « On a soutenu cette loi, on a demandé à des anciens enfants placés de se mettre à nu, dans les médias ou encore devant les parlementaires, pour défendre cette proposition de loi. Cette dernière ne ressemble plus à ce pourquoi on s’est battus, elle prévoit certes une obligation de nouveau contrat mais sous condition et ne garantit pas un accompagnement tel qu’on peut le connaître aujourd’hui dans certains départements. »

Sur la condition de prise en charge de 18 mois dans les 24 mois avant la majorité, la colère est grande. Lyes Louffok explique ainsi que 44 % des jeunes majeurs pris en charge actuellement par la protection de l’enfance le sont après 16 ans. « Cela ne concerne pas seulement les MNA, cette loi exclut également le mineur qui avoue son homosexualité à 17 ans, la jeune fille victime de la traite des êtres humains ou encore celle enceinte et qui se sera, elle aussi, jetée à la rue… » Et de conclure : « Ce texte est une trahison !  »

Une analyse qui est partagée par de nombreux acteurs du secteur, notamment par Léo Mathey. Le président de Repairs75, association d’entraide des anciens enfants placés de Paris, a réagi également aux propos du secrétaire d’Etat alors que lui aussi, au sein de son association, a participé aux actions de soutien : « Tout le monde était pour cette proposition de loi lors de son vote en commission des affaires sociales, Adrien Taquet, alors député, l’avait également signée. Tous étaient d’accord sur le fait que 7 milliards par an ne peuvent pas produire 25 % de jeunes sans domicile fixe sortant de l’ASE, c’est une aberration, et on s’était dit que c’était le moment de prendre les choses à bras le corps. On avait un avion de chasse, on est à présent face à un accident industriel monumental, c’est-à-dire que personne aujourd’hui ne défend ce texte. »

Une proposition de loi qui doit à présent être examinée au Sénat en première lecture. Aucune date n’étant déterminée pour le moment. Mais ce qui est certain, selon Xavier Iacovelli, c’est qu’il y a peu de chance que le Sénat vote le texte en l’état.

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