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Sortir du « tout-prison »

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Au-delà de la simple sanction, la peine prononcée pour une infraction, du délit au crime, doit permettre la prévention de la récidive. Mais dans un système obnubilé par la prison, la surpopulation carcérale reste l’un des obstacles majeurs à une bonne prise en charge des personnes condamnées. Tels sont les principaux enseignements d’un colloque organisé le 13 mai par l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice.

Quel est le rôle de la peine ? L’article 130-1 du code pénal dispose qu’elle a pour « fonctions de sanctionner l’auteur de l’infraction » et « de favoriser son amendement, son insertion ou sa réinsertion », tout cela « afin d’assurer la protection de la société, de prévenir la commission de nouvelles infractions et de restaurer l’équilibre social, dans le respect des intérêts de la victime ». Au-delà de la simple sanction, réinsérer le délinquant ou criminel dans la société est sans aucun doute l’objectif central de la peine. L’institut national des hautes études de la sécurité et de la justice a réuni élus, universitaires et magistrats le 13 mai dernier, lors d’un colloque intitulé « L’équilibre des peines : de la prison à la probation ».

Pour l’heure, c’est bien la prison qui est au centre du système de répression français : entre 2004 et 2016, le volume d’années d’emprisonnement prononcées a augmenté de 32 %. 22 points de cette augmentations sont imputables au nombre de condamnations, et 10 % au quantum des peines prononcées. En clair, les juges prononcent plus de peine de prison, et pour plus longtemps. De surcroît, certaines personnes qui n’auraient rien à faire en prison y sont cependant envoyées. « Il y a un fort tropisme pour le milieu fermé, indique Isabelle Gorce, présidente du tribunal de grande instance de Marseille et ancienne directrice de l’administration pénitentiaire. Il est fortement probable que les pouvoirs accrus des juges d’application des peines ont atténué le processus d’individualisation des peines en juridictions de jugement. Le temps du jugement est très court, c’est donc très difficile de se saisir de la personnalité du prévenu. Au stade du jugement, les enquêtes sociales sont peu vérifiées et peu vérifiables. » Toujours est-il que de plus en plus de personnes vont en prison, ce qui n’arrange pas la réinsertion.

Un obstacle majeur à l’accompagnement

« Véritable cancer » ou « poison absolu », la surpopulation carcérale est en effet un obstacle majeur à l’accompagnement des détenus, notamment parce qu’elle impacte de façon néfaste les conditions de détention. Le contrôleur général des lieux de privations de liberté, Adeline Hazan, n’a pas manqué de rappeler quelques chiffres : « Au 1er mars 2019, le taux d’occupation était de 117 %. En maison d’arrêt, il est de 139 % avec des pics à 200 %. 1 570 détenus dorment sur un matelas à même le sol. » En 11 ans d’existence, le contrôleur a eu le temps de prendre suffisamment de recul sur la situation. Et celle-ci est critique : « La surpopulation carcérale, c’est quelque chose qui empêche d’autres politiques publiques de pouvoir s’exercer avec succès, indique Adeline Hazan. C’est une situation qu’on ne peut accepter. » Même l’administration le reconnaît. Laurent Ridel est directeur interrégional des services pénitentiaires de Paris, pour lui la surpopulation est un « véritable cancer » : « C’est l’un des principaux obstacles à lever pour une meilleure prévention de la récidive. Elle rend indignes les conditions de détentions, et elle rend l’accompagnement ineffectif. On progresse, à la fois dans le recrutement des personnes de surveillance et des conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation, mais la route est encore longue. A Paris, il y a un conseiller pour 100 détenus. » L’ancien directeur de l’administration pénitentiaire Claude d’Harcourt choisit, de son côté, le « poison absolu » pour qualifier la surpopulation. « Si cela ne fait pas réagir les citoyens et les élus, ça montre qu’il y a un truc de déglingué dans le système », s’indigne l’actuel préfet des Pays de la Loire. Laurent Ridel rappelle, quant à lui, que les conditions de détention des détenus sont « les conditions de travail des personnels ».

Plusieurs solutions ont pourtant été tentées pour endiguer ce phénomène, en particulier avec le principe de l’encellulement individuel. Tentées, vraiment ? En fait, l’application de ce principe a été plusieurs fois repoussé. La dernière date connue est pour 2022. Pour Laurent Ridel, il ne s’agit pas pour autant d’une solution miracle : « Je pense qu’on a souffert pendant des années d’un débat centré au niveau de l’Assemblée nationale sur la question de l’encellulement individuel. Cette obsession ne se trouve qu’en France, et nous a empêchés de penser à la journée de détention. » Les autres tentatives n’ont pas prouvé leur efficacité. Les peines planchers, créées par l’ancienne ministre de la Justice Rachida Dati, ont eu l’effet inverse de façon immédiate et ont provoqué une forte inflation carcérale. La contrainte pénale, créée par la réforme de Christiane Taubira, avait une grande ambition pour réparer le mal causé par les peines planchers. Mais cette solution a eu du mal à s’imposer et même à être comprise par les juges.

Avec sa réforme de la justice, l’actuelle garde des Sceaux Nicole Belloubet tente d’apporter sa pierre à l’édifice dans la lutte contre la surpopulation. L’idée : développer les peines alternatives et sortir de la logique du tout carcéral. Le texte interdit par exemple au juge de prononcer des peines inférieures à un mois de prison. Pas suffisant pour Adeline Hazan, qui rappelle que ces très courtes peines ne concernent aujourd’hui que 200 personnes incarcérées en France. La loi prévoit la construction de nouvelles places de prison. Pour Adeline Hazan, ce n’est pas une solution : « Plus on construit de places, plus on enferme. Et ça n’est pas un slogan. » Elle prévoit également un aménagement automatique des peines allant de 1 mois à 6 mois de prison. Rien, en revanche, sur la détention provisoire ou les comparutions immédiates.

Le chiffre

Au 1er avril 2019, 71 828 personnes sont incarcérées dans les prisons françaises, dont 20 852 personnes en attente de jugement selon les chiffres du ministère de la justice publiés le 14 mai. Le nombre de places opérationnelles est de 61 010. Le taux d’occupation est de 117,7 %, en baisse de 0,6 point sur un an. La barre des 70 000 détenus hommes et femmes a été dépassée il y a un an.

La peine en milieu ouvert, la solution miracle ?

La dernière table ronde du colloque organisé par l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ) s’est consacrée au sujet de l’exécution d’une peine en milieu ouvert, par opposition à la peine en milieu carcéral. Ce type de peine peut avoir de sérieux avantages. Massil Benbouriche, chercheur en psychologie à l’université de Lille et docteur en criminologie à l’université de Montréal, résume : « Les peines en milieu fermé peuvent être efficaces, mais il est vrai que les peines en milieu ouvert le sont davantage, notamment parce qu’on va travailler sur le quotidien des personnes. » La prison est en effet un milieu complètement coupé du monde, dans lequel les détenus perdent tout repère de la vie quotidienne. « La prison est un milieu hors sol, renchérit Laurent Theoleyre, directeur fonctionnel des services d’insertion et de probation du Rhône. Dans le milieu ouvert, il y a un travail sur le réel qui est plus difficile en prison. » Massil Benbouriche y trouve également un intérêt pragmatique : les journées en milieu ouvert coûtent beaucoup moins cher que celles en détention. « C’est un pari qu’on doit oser car elles sont plus efficaces et moins chères », conclut le chercheur, qui ajoute que « le pari [sera] réussi si on y met les moyens ».

Un problème demeure. En France, le milieu ouvert pâtit d’un handicap majeur : il est très mal perçu par l’opinion publique, qui y voit un « cadeau » fait aux personnes condamnées. Sans doute est-ce lié à un profond attachement à la prison comme référence principale d’une peine. Nicole Maestracci, membre du Conseil constitutionnel et ancienne présidente de la Fnars (devenue la Fédération des acteurs de la solidarité), l’a également constaté : « Chaque fois que l’on crée une peine alternative, elle s’ajoute à la prison plutôt qu’elle s’y substitue. Nous avons tous du mal de parler de la peine exécutée en milieu ouvert sans avoir le référentiel de la prison. » Pour l’ancienne magistrate, la raison provient aussi du fait qu’il s’agit de la « même famille administrative ». En effet, c’est bien la direction de l’administration pénitentiaire, service du ministère de la Justice, qui doit à la fois gérer le milieu ouvert et le milieu fermé. La Belgique a ainsi trouvé la solution : le milieu ouvert y est administré par une direction totalement autonome.

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