La version de la proposition de loi sur l’accompagnement des jeunes majeurs, votée par les députés, restreint le nouveau dispositif de « contrat d’accès à l’autonomie » aux jeunes pris en charge pendant au moins 18 mois cumulés entre leurs 16 et 18 ans. Ce qui exclut presque de fait les mineurs non accompagnés (MNA), dont la plupart arrivent en France vers 16 ou 17 ans. Les arrivées de ces derniers représentent pourtant « le phénomène qui a sans doute modifié le plus l’aide sociale à l’enfance [ASE] ces dernières années », estime Frédéric Molossi, vice-président du conseil départemental de Seine-Saint-Denis chargé de l’enfance et de la famille. Le département est l’un de ceux qui reçoit le plus de mineurs isolés. Comme d’autres, il demande à ce que leur répartition sur le territoire national soit plus équilibré et en appelle au soutien de l’Etat. Muriel Eglin, sous-directrice nationale de la protection judiciaire de la jeunesse, note qu’« aujourd’hui, à peu près tous les départements nous signalent que leurs dispositifs de protection des MNA sont saturés. Ils demandent à changer la clé de répartition ». Ce travail est en cours, indique-t-elle.
Dans le public, un éducateur assure qu’il faut « deux mois d’attente » pour obtenir une réponse du PEMIE, le dispositif d’évaluation de la minorité en Seine-Saint-Denis, géré par la Croix-Rouge. « Pire encore qu’à Paris » – alors que le délai prévu par la loi est de cinq jours en théorie. Surtout, les nouvelles modalités d’évaluation, avec l’instauration d’un fichier biométrique, ont renforcé la tension avec le gouvernement. « On ne peut pas accepter que l’ASE pour les MNA soit dans un cadre repris par le ministère de l’Intérieur. Ce n’est pas notre façon de penser, et ce n’est jamais ce que l’on a demandé, martèle Isabelle Santiago. Nous ne sommes pas les services de l’Intérieur : les MNA, c’est de la protection de l’enfance. »
Les travailleurs sociaux en protection de l’enfance ont dû s’adapter aux particularités de ces jeunes de plus en plus nombreux. Que ce soit sur le plan social, professionnel ou scolaire, ils forment un « public très motivé pour aller très vite dans l’insertion », assure Isabelle Santiago, vice-présidente du conseil départemental du Val-de-Marne chargée de la prévention et de la protection de l’enfance. Sur le plan de la famille, ces jeunes forment aussi un public spécifique. « Dans la loi du 14 mars 2016, on les appelle “mineurs privés temporairement de leurs familles” : on a tout dit », explique Marie-Claude Plottu, présidente de l’association En Temps, accueillant près de 100 MNA. « On a dû apprendre à travailler avec des jeunes sans travailler avec leurs familles. Eux sont en lien avec leurs familles, mais pas l’équipe. »
Les professionnels alertent sur les difficultés d’accès aux soins et le manque de moyens en pédopsychiatrie. A la sortie de l’ASE, pour les MNA comme pour tous les enfants placés, le logement est également un « point noir », selon Marie-Claude Plottu. Grâce à son association, « ils sortent avec des solutions mais elles sont temporaires, comme les foyers de jeunes travailleurs ». Enfin, sans régularisation de leur situation à la sortie, l’accompagnement reste « de l’investissement gâché », lâche Jean-François Roger, directeur des établissements de France terre d’asile dans le Pas-de-Calais. Dans le public, un éducateur résume : « Les MNA sont les parents pauvres de la protection de l’enfance. »
Les États Généraux de la protection de l’enfance ont pris le temps de la réflexion, à quelques heures de la déception annoncée du vote des députés. Même dans un département relativement volontariste comme la Seine-Saint-Denis, « la protection de l’enfance va très mal. On ne met plus les enfants dans des structures parce qu’elles leur sont adaptées, mais parce que c’est là où il y a de la place », regrette une éducatrice au sein d’un accueil de jour. Juliette Rose, assistante sociale au service d’AEMO de l’association Sauvegarde 93, constate « des délais qui s’allongent entre le signalement et la prise en charge effective, ce qui dilue le sens de notre travail. Il y a aussi de plus en plus de ruptures dans le parcours des jeunes ».
Ashley Joseph et Mehdi Mezit, en contrats jeunes majeurs, sont présents pour apporter leurs propositions et témoigner de l’importance d’éviter ces ruptures. Mehdi Mezit, 19 ans, pris en charge depuis ses 16 ans et demi par l’ASE, a vécu dans deux familles d’accueil avec lesquelles « ça ne s’est pas très bien passé », un service intégré de l’accueil et de l’orientation (SIAO), et se trouve aujourd’hui dans un service de suite. « Il n’y a aucune cohérence entre les différents dispositifs par lesquels je suis passé. Pour un jeune, c’est difficile de suivre… » Ashley Joseph plaide quant à elle pour davantage d’écoute : il faudrait « une visite surprise de temps en temps dans les familles d’accueil, et demander au jeune son avis avant. Et puis faire une médiation entre la famille d’accueil et les jeunes : les éducateurs n’ont pas le temps de demander aux jeunes ce dont ils ont envie ».
Anne Lequenne, cheffe de service de l’association Devenir, rappelle que « la temporalité des jeunes n’est pas celle des institutions ni des adultes qui les entourent. C’est du travail sur le long terme ». Son équipe travaille en partenariat avec Essor 93, qui prend le relais pour accueillir des jeunes après 21 ans. Les partenariats font partie des principales pistes d’amélioration évoqué par les professionnels. Entre autres, en pédopsychiatrie : Thierry Baubet, professeur de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent et chef de service à l’hôpital Avicenne de Bobigny, propose ainsi des consultations indirectes, c’est-à-dire destinées aux professionnels sur les situations qu’ils ont en charge. « Cet outil nous semble génial mais il est très peu utilisé », insiste-t-il.
Le lien avec l’Education nationale est également à renforcer. Des dispositifs comme « Ouvrir l’école aux parents pour la réussite des enfants » encourage le « droit à l’éducation, y compris pour les familles les plus éloignées de l’école », mais sont encore sous-exploités, considère Catherine Albaric-Delpech, directrice académique adjointe de l’Education nationale. Encore faut-il que les cultures professionnelles dialoguent malgré leurs « divergences sur la question de l’adhésion par exemple, ou de par leurs temporalités propres : suivi psychiatrique, mesure de placement… », note Norbert Giuliani, directeur de Rencontre 93. « Pour que les professionnels arrivent à travailler ensemble, il faut qu’ils soient formés ensemble », défend Catherine Albaric-Delpech. La proposition de formations croisées, ou collectives, soulèvent l’unanimité dans le public.
Surtout, les intervenants appellent à développer des modèles novateurs (voir encadré ci-dessous). Entre autres, l’importance du relais parental est défendue par Karima Rachedi, directrice du relais parental 93 de la Croix-Rouge à Aulnay-sous-Bois. « L’accueil est sur-mesure, et nous inscrivons le parent dans toutes les démarches que l’on fait. » Le travail reste centré sur la continuité des liens familiaux et sociaux et la prévention des ruptures.
Des recherche-actions sont aussi menées pour penser le futur des métiers de la protection de l’enfance. Yann Bourhis, directeur de la prévention spécialisée 93 pour la fondation Jeunesse feu vert, en mène une sur « l’impact des outils numériques sur nos pratiques quotidiennes » et les comportements des jeunes accompagnés. Une façon de défendre la pérennité du rôle des éducateurs de rue. Car si les professionnels questionnent ainsi leurs pratiques, c’est que leurs craintes sont aigües. « J’espère que nos corps de métier ne vont pas disparaître pour laisser la place à un travailleur social gestionnaire de la protection de l’enfance », lance ainsi Aciba Mihoub, éducatrice à l’ASE de la maison des solidarités de Noisy-le-Sec, sous les applaudissements.
Dans la Gironde sont expérimentées des conférences familiales. Pour Emmanuelle Ajon, vice-présidente du conseil départemental chargée de la protection de l’enfance, il s’agit de « remettre la famille et le jeune comme acteurs au cœur de la prévention ». Et si la famille ou le jeune le souhaite, le professionnel peut être « détaché » le temps de cette conférence familiale. A l’issue de ce processus, un plan d’accompagnement de la famille est établi et validé par un travailleur social.
Des inspirations sont aussi à trouver à l’étranger. Christina Rinaldis, juge des enfants et vice-présidente du tribunal pour enfants de Bobigny, évoque ainsi les règlements à l’amiable au Canada : réunis autour d’une table, institutions, parents, enfants arrivent à un consensus en prenant en compte les besoins de chacun.