Recevoir la newsletter

“Une logique financière qu’il faut dénoncer”

Article réservé aux abonnés

Après une carrière dans la distribution automobile de luxe, Jean Arcelin s’est lancé dans la direction d’Ehpad d’un groupe privé commercial. Une reconversion de courte durée, à mille lieux de ses attentes. Il dénonce dans son ouvrage une logique de rentabilité et d’économie faite sur le dos des résidents.

Jean Arcelin a jeté un pavé de plus dans la mare. Après le témoignage de Mathilde Basset, ancienne infirmière en Ehpad, suivi de celui d’Anne-Sophie Pelletier, aide médico-psychologique(1), c’est au tour de cet ancien directeur d’établissements dans le secteur privé commercial de publier un ouvrage critique sur les maisons de retraite.

A l’heure où de nombreuses voix dénoncent l’« Ehpad bashing », Jean Arcelin se défend d’avoir écrit un réquisitoire ou un brûlot contre le secteur privé à but lucratif. « C’est d’abord un hommage aux résidents, qui m’ont bouleversé et dont je raconte la vie et les histoires, explique-t-il. J’ai dormi dans l’Ehpad pendant six mois, et donc je ne pourrai pas être plus près d’eux que je ne l’ai été. Un hommage aux soignants, qui sont, dans une très large majorité, formidables. Mon livre a pour but de dénoncer les limites d’un business, les abus d’un système mercantile. On a besoin d’Ehpad commerciaux mais il faut plus de transparence à l’égard des familles sur les prestations réellement effectuées, sur le taux d’absentéisme, car il y a les effectifs théoriques et les effectifs réellement présents. » Jean Arcelin formule une série de propositions, parmi lesquelles la création d’un label objectif de qualité, un label d’Etat avec dix critères simples. « Les évaluations externes, c’est du pipeau. L’organisme qui évalue est financé par l’Ehpad. Je suis intervenu directement lors d’une évaluation externe pour que certaines notations soient changées. » Il aura fallu seulement trois années d’expérience, de 2014 à 2017, à la tête de deux Ehpad dans le Var et dans les Alpes-Maritimes, pour amener Jean Arcelin à jeter l’éponge, à perdre toutes ses illusions, allant jusqu’au burn-out. Un parcours éclair et atypique dans le secteur.

Une pression commerciale

Après une belle carrière dans la distribution automobile de luxe, jusqu’à occuper le poste de directeur général, il a décidé, à 50 ans, de redonner du sens à sa carrière. Appréciant d’être auprès des personnes âgées à travers une expérience de bénévole en maisons de retraite, et en hommage à sa grand-mère, il a fait le choix de devenir directeur d’Ehpad, quitte à diviser son salaire par trois… Il débute à la tête d’un petit établissement privé commercial, à Bandol (Var), pendant six mois, puis se voit proposer la direction d’un Ehpad de 121 lits à Cannes. Une structure où « il y a le feu » : il n’y a plus d’infirmière coordinatrice, ni d’animatrice, il manque régulièrement du personnel et le lieu a connu déjà deux événements indésirables graves. Encore novice, Jean Arcelin devient le quatrième directeur, en trois ans, chargé de cet établissement cannois.

Alors qu’il se décrivait comme « Oui-Oui au pays des Ehpad », Jean Arcelin découvre très vite les affres de la gestion de la pénurie et la pression de la logique commerciale. « Mon établissement n’était pas un Ehpad indigne, mais il était sous tension permanente, précise-t-il. Du fait du manque de moyens, chaque jour, il pouvait se passer quelque chose de grave. Il m’est arrivé d’avoir un tiers d’effectif en moins le matin, ce qui crée des scènes très éprouvantes à observer en interne. C’est cela qui fait craquer les équipes, et c’est cela que je dénonce. » La scène qui l’a le plus marqué, qu’il qualifie même de « scène de guerre », est celle d’une résidente avec sa protection souillée à ses pieds, car elle a essayé de se changer toute seule sans y parvenir, et qui s’effondre, nue, dans les bras du directeur, dans le couloir vide de l’établissement en pénurie de personnel. « Ce sont des scènes dont l’élite du secteur médico-social n’a pas conscience », critique-t-il. « L’Ehpad dégageait 400 000 € de bénéfices. Je demandais deux aides-soignantes en plus, ce qui coûterait 100 000 €, salaires et charges comprises. Cela a été accepté, puis refusé. Il y a une logique financière qu’il faut dénoncer car elle se fait souvent avec des économies réalisées sur le dos des résidents. La pression commerciale n’est pas toujours compatible avec la prise en charge des personnes âgées dépendantes. Je suis tout à fait pour le business. Une entreprise qui gagne de l’argent, crée de l’emploi, fait tourner l’économie, participe au progrès… Mais le business libéral a une limite, celle du soin et de l’accompagnement de personnes âgées dépendantes », condamne l’ancien directeur d’Ehpad désabusé.

Pour Jean Arcelin, l’un des exemples qui illustrent le mieux cette logique financière des Ehpad privés commerciaux est la restauration. « Les résidents dont j’avais la charge payaient en moyenne 3 000 € par mois. Sur la brochure de mon établissement, il y était écrit : “Une cuisine de qualité élaborée par un chef”. Je trouve cela mensonger, quand on sait que l’on a 4,35 € par jour pour nourrir un résident, petit déjeuner, déjeuner, dîner, goûter et collations compris. Entrée, plat, dessert, pain, boissons et vins compris. Je n’incrimine pas mon groupe en particulier, car il y a des groupes commerciaux d’Ehpad dans lesquels le budget est de l’ordre de 3,60 €. On m’a imposé de faire servir du hoki, le poisson le moins cher du monde, et de remplacer les baguettes de pain traditionnelles négociées chez le boulanger du coin à un tarif imbattable, par des baguettes industrielles surgelées. »

Un système à la dérive

L’ancien directeur multiplie les illustrations pour dépeindre un univers cynique. Il devait ainsi citer le mot « Alzheimer » dans sa brochure commerciale car c’est « très vendeur », alors qu’il n’avait pas le début d’une unité Alzheimer. « 58 % des Ehpad commerciaux déclarent avoir une unité de soins spécifiques Alzheimer, contre 38 % pour les Ehpad publics. Dans le rapport parlementaire Iborra-Fiat, le taux d’encadrement dans le secteur public est de 65 équivalents temps plein pour 100 résidents, contre 49 pour le secteur privé à but lucratif. Aurait-il trouvé la solution miracle pour offrir plus de prestations avec moins de collaborateurs ? », ironise-t-il.

Jean Arcelin pointe du doigt l’incongruité entre les immenses fortunes qui se sont construites avec le business des Ehpad commerciaux, les rentabilités très importantes, les bénéfices colossaux des groupes, de l’ordre de plusieurs centaines de millions d’euros, et les économies réalisées sur le dos des résidents. « Quand un tiers du chiffre d’affaires provient des fonds publics, des subventions de l’agence régionale de santé et du conseil départemental, un tiers des bénéfices devrait revenir directement à l’Etat ! On manque de fonds pour créer de nouveaux Ehpad, Il faut absolument déverrouiller ce business qui se sclérose pour qu’il y ait une saine concurrence. Il y a des mesures à prendre immédiatement, il faut profondément revoir le financement des Ehpad. C’est un système qui a dérivé. »

Directeur de 2014 à 2017

de deux Ehpad, après avoir quitté le secteur de l’automobile de luxe, Jean Arcelin est l’auteur de Tu verras maman, tu seras bien (XO Editions).

Notes

(1) Voir ASH n° 3098 du 15-02-19, p. 36.

Portrait

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur