Flore : Il est sept heures, je viens de prendre les transmissions de la nuit. Moi, Flore, aide-soignante en Ehpad, je commence à peine ma journée et je rêve déjà de retrouver mon lit.
Première chambre, monsieur Lys dort profondément… Je referme doucement la porte, je repasserai plus tard. Deuxième chambre, madame Rose est pressée de se lever. Hop hop, je me dépêche, vite vite, faut pas traîner !
Florimonde : Il est huit heures. Je suis levée, lavée, habillée, et je sirote mon café avant de partir au marché. Et Georges, que fait-il en ce moment ? Il a toujours aimé dormir. Moi, Florimonde, j’étais plutôt du matin, j’aimais le calme de la maison avant le réveil de mes hommes. J’ai gardé cette habitude. Mais lui, a-t-il encore le choix ?
Flore : Troisième chambre. Avec monsieur Muguet, je prends mon temps. Des gestes lents, de la douceur, et des mots, beaucoup de mots. Je parle pour deux, puisqu’il ne parle plus. Parfois, il plante ses yeux dans les miens et s’y accroche quelques secondes, avant de repartir au loin, vers cet ailleurs qu’il semble être le seul à voir.
Florimonde : Avant, je lui amenais des petites douceurs. Les caramels qu’il a toujours aimés, des petits gâteaux… Et puis, on m’a gentiment fait comprendre qu’il fallait arrêter. Gentiment mais fermement. Une fausse route, ça peut être fatal. Maintenant, il ne se nourrit plus que de purées et de bouillies.
Flore : Monsieur Muguet est propre, rasé, parfumé et habillé. En route pour le petit-déjeuner ! La bouillie, c’est pas très glamour, mais avec du miel et du chocolat, c’est carrément meilleur !
Florimonde : Que fait-il de ses journées ? Au début, je passais le voir tous les jours. J’amenais des journaux, on écoutait de la musique, on sortait dans le jardin… Et puis, le temps, la maladie, la fatigue… J’ai espacé mes visites… Maintenant, je viens le vendredi, et je reste assise à côté de lui. Je lui parle mais il ne semble pas m’entendre. Il est là sans être là.
Flore : Onze heures… Et si on écoutait un peu de musique avant le repas ? Concerto pour clarinette, mélodieux et grandiose. Monsieur Lys sourit, madame Rose bat la mesure. Et monsieur Muguet ? Il se détend, je le vois à ses mains qui se relâchent doucement. Je crois qu’il aime Mozart.
Florimonde : Quand je pense à ce qu’il était, et quand je vois ce qu’il est ! On le lève, on le lave, on le nourrit, on le change, on le couche… Sait-il seulement qu’il est vivant ?
Flore : Quatorze heures. On a sorti les fauteuils de jardin, on prend le soleil, on est bien… Il va bien falloir qu’on bouge, pourtant, mais pas maintenant… Là, on profite. Le soleil, le chant des oiseaux, le petit café partagé avec les résidents… Le bonheur !
Florimonde : Et moi, si je devenais comme Georges ? Et si je ne pouvais plus rester chez moi ? Question lancinante… « Plutôt mourir que de finir à l’Ehpad ! » m’a un jour dit ma voisine. Cette phrase me hante. Mourir, c’est irréversible. Mais vivre comme Georges, est-ce encore vivre ? Vaut-il mieux vivre mort ou mourir vivant ?
Flore : Du coin de l’œil, je regarde monsieur Muguet. Est-ce qu’il dort ? Je pose doucement ma main sur son épaule, il ouvre les yeux, me regarde, et je lui souris. On est bien, là. Le soleil, le calme, le joli mois de mai… Oui, vraiment, on est bien.