« Renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et accompagner les personnes prostituées », tel est l’objectif de la loi sur la prostitution qui a été adoptée le 13 avril 2016. Cette dernière considère ainsi la prostitution comme une oppression et une violence envers les femmes et propose des mesures concrètes pour aider les personnes prostituées à s’en sortir. Cependant, si le volet pénal à l’encontre du client a été mis en place le lendemain de la promulgation de la loi, le volet social a nécessité plus de temps. Un lancement tardif qui illustre les priorités de cette loi pour Médecins du monde : « Le volet répressif prime sur le volet social », commente Sarah-Marie Maffesoli, coordinatrice du programme Jasmine pour combattre les violences faites aux travailleuses du sexe de l’association.
Lancé donc timidement en octobre 2017, ce « parcours de sortie et d’insertion sociale et professionnelle » permet aux travailleuses du sexe – elles sont plus de 30 000 en France et 93 % d’entre elles sont en situation irrégulière, selon les chiffres du secrétariat d’Etat de l’égalité entre les femmes et les hommes – d’obtenir un titre de séjour et un permis de travail de six mois renouvelable trois fois, une aide mensuelle de 330 € et un accès facilité à un logement social. Mais il semble que cet accompagnement n’ait pas le succès escompté : le 15 mars dernier, seulement 183 « parcours de sortie » avaient été accordés sur l’ensemble du territoire, et ce alors que 1 000 accompagnements avait été budgétisés en 2017 et 2018, ramanés à 500 en 2019, au motif que trop de moyens financiers y sont consacrés au vu du nombre de parcours.
Pour le Mouvement du nid, association abolitionniste agréée pour la mise en place de ce dispositif, l’argument de l’Etat ne tient pas, les conditions ne sont pas réunies pour permettre le développement de cet accompagnement. Grégoire Théry, son porte-parole, expose son propos : « Le frein principal pour qu’il y ait plus de parcours de sortie, ce n’est pas le nombre de personnes qui désire en bénéficier, car nous constatons une très forte croissance des demandes, mais c’est le manque de moyens pour en traiter plus que ce que nous faisons aujourd’hui. S’il y avait plus de travailleurs sociaux dans les associations agréées, il y aurait automatiquement beaucoup plus de dossiers présentés. » Autre obstacle, selon lui, la fréquence des réunions des commissions départementales : si une commission n’a pas le temps de traiter tous les dossiers qui lui sont présentés, il faudra attendre la prochaine session, qui peut se dérouler six mois après…
Pour bénéficier de ce parcours de sortie, la personne prostituée doit contacter une association agréée, ce qui implique une information au préalable sur ce dispositif. Or il y a encore beaucoup de territoire où il n’y a pas d’associations spécialisées qui viennent en soutien des prostituées. Passer cette étape, le dossier de demande est constitué avec l’aide de l’association agréée qui le présentera à la commission départementale. Mais tous les départements n’ont pas de commission, ils sont encore une bonne trentaine dans ce cas, ce qui implique un non-respect de la loi et par conséquence une inégalité territoriale des demandes de « parcours de sortie ». La décision finale sur le parcours de sortie reste à la discrétion du préfet, ce que dénonce de nombreuses associations. Car cela peut expliquer les différences de taux d’acceptation d’un département à l’autre comme l’indique Grégoire Théry : « Il reste un degré d’arbitraire et ce pouvoir n’est pas caché dans la loi, in fine c’est le préfet qui octroie la décision sur un avis éclairé de la commission départementale mais celui-ci peut ne pas être suivi. Il y a d’ailleurs dans quelques préfectures des pressions migratoires qui viennent en confrontation directe avec le droit au titre de séjour qui est accordé dans le cadre du parcours de sortie ». Afin de répondre à cette problématique, le Mouvement du nid envisage de déposer des recours au niveau du tribunal administratif si ces préfectures persistent à ne pas octroyer de titre de séjour au titre du parcours de sortie. Des démarches judiciaires pourraient également être prochainement lancées à l’encontre des préfectures qui ne créent pas de commission sur le motif que les personnes prostituées sont privées de leurs droits.
Du coté de Médecins du monde, on ne nie pas les difficultés constatées par le Mouvement du nid, bien au contraire, mais pour Sarah-Marie Maffesoli, le problème est que ce volet social ne répond pas aux besoins des prostituées. « Il y a de nombreuses personnes qui voudraient changer d’activité et pour autant elles sont peu nombreuses à intégrer le parcours de sortie. Et ce, parce que ce parcours ne répond pas à leurs attentes car le titre de séjour est difficile à obtenir et précaire, l’allocation est dérisoire, 330 € par mois alors que ces personnes avaient un revenu avant, ou encore et surtout du fait qu’on leur demande d’arrêter leur activité avant même d’obtenir une quelconque aide. De plus, Il n’y a aucune solution d’hébergement prévue si ce n’est de relever du système d’hébergement d’urgence qui est déjà saturé dans toutes les grandes villes. Et de conclure : Cette loi considère que tout est mieux que le travail du sexe, ce qui ne correspond peut-être pas aux réalités des personnes et même de celles qui veulent changer d’activité car elles ne sont pas prêtes à le faire à tout prix et surtout pas au prix de la misère. » Elle dénonce ainsi ce parcours de suivi car il n’a pas été pensé en lien avec les associations et les personnes concernées. Et effectivement, rien n’est prévu dans le cadre de la loi notamment pour la mise en place et le financement des cours de français, ce qui peut poser question alors que la maîtrise de la langue est un préalable pour une bonne insertion sociale et professionnelle, l’un des objectifs de ce « parcours de sortie ».
Le Mouvement du nid ne nie pas qu’il y a des manques dans ce dispositif et qu’il faut souvent faire preuve d’ingéniosité et de débrouille pour démêler les situations. Néanmoins, il n’a pas la même analyse de la situation. Pour cette association abolitionniste, ce volet social est une chance car il donne accès à de nouveaux droits tels que l’obtention d’un titre de séjour ou encore des aides financières, ce qui n’existaient pas pour les personnes étrangères ou âgées de moins de 25 ans avant cette loi. Grégoire Théry concède néanmoins qu’il n’est pas possible de s’en contenter car les spécificités de ce parcours sont confrontées à la réalité du terrain : « On se retrouve dans le manque criant d’hébergement comme toutes les associations, de logements dédiés aux femmes et plus particulièrement à celles victimes de violences notamment sexuelles. Ou encore du manque des moyens notamment des travailleurs sociaux qui a été renforcé par la suppression des emplois aidés. C’est la réalité du monde social dans lequel on doit opérer. Et de conclure : Si on veut la réussite de ce volet social, on ne peut pas faire l’impasse sur plus de logement dédié et plus de travailleurs sociaux pour les associations agréées qui sont en charge de porter ces dossiers. »
Des difficultés dénoncées par les associations et qui pourraient certainement être constatées également par l’Etat si ce dernier avait tenu son engagement – inscrit dans la loi sur la prostitution du 13 avril 2016 – de faire, dans les deux ans, un rapport de suivi de sa mise en place. Plus de trois ans après sa promulgation, il n’en est rien. Faut-il y voir l’illustration de la politique de l’autruche ? Le gouvernement refuse-t-il de faire son autocritique sur ce sujet ?
• 183 personnes bénéficiant d’un parcours de sortie dont 171 femmes et 12 hommes. Hormis deux personnes de nationalité française, toutes sont étrangères : 87 % d’Afrique, 9 % d’Europe et 4 % d’Amérique du Sud.
• 186 %, c’est le taux de progression du nombre de parcours par rapport à mai 2018.
• 105 associations agréées pour la mise en œuvre du parcours de suivis.
• 62 commissions départementales installées dont 32 ont d’ores et déjà examiné des demandes.