« Ce dispositif était pour moi comme une évidence. » Ainsi s’exprime Sandrine Delpeut, à l’origine du projet de cette plateforme « petite enfance et handicap ». D’abord responsable d’une section internat en établissement médico-social à Bailly (Yvelines), elle a rejoint par la suite l’Association pour l’éducation thérapeutique et la réadaptation des enfants infirmes moteurs cérébraux (Apetreimc). Sandrine Delpeut restera quatorze ans dans cette association de parents. Elle a participé à la création de la halte-garderie mixte Ram Dam, dans le XVIIIe arrondissement. « A partir de là, avec mon directeur, nous avons commencé à parler “soutien” et “accompagnement à la parentalité”. » La professionnelle observe les « parcours morcelés de parents qui vivent l’impensable, sans soutien ». Au-delà de l’enfant et de son handicap, elle perçoit des familles démunies, en souffrance, où bien souvent les mères s’arrêtent de travailler. « Leur fonction parentale était entravée par la prédominance des discours médicaux, souvent abscons. Ils n’étaient plus parents, mais parents d’enfant handicapé. Le soin prenait toute la place. » S’ajoutait à cela un manque de lien entre les différents professionnels gravitant autour de l’enfant. En 2007, Sandrine Delpeut rejoint l’association Crescendo du Groupe SOS, avec un objectif clair : ne pas être directrice d’une structure « classique » mais penser sérieusement le développement de l’accueil d’enfants handicapés. En mars 2008 naît Charivari, à Paris IXe, une structure d’accueil mixte où une partie des professionnels sont sensibilisés et formés directement sur le terrain, et où un tiers des enfants sont en situation de handicap. « Je ne me base que sur la loi de 2005 et la Convention internationale des droits de l’enfant », explique Sandrine Delpeut, directrice pendant dix ans de Charivari, dont la liste d’attente va exploser. « J’ai alors eu envie de monter un autre dispositif. J’avais la conviction que cette mixité devait se passer dans n’importe quelle structure. » Elle se lance donc dans le projet de plateforme « petite enfance et handicap », pense une équipe pluridisciplinaire. Guy Sebbah, médecin et directeur général du Groupe SOS Solidarités, valide son projet. Mais l’« évidence » va se heurter au manque de financeurs. « Nous avons frappé à toutes les portes, se souvient Sandrine Delpeut. Il aura fallu six ans pour trouver ! » Finalement, une enveloppe sera accordée par la caisse d’allocations familiales et le Comité national coordination action handicap (CCAH), pour expérimenter le projet sur dix-huit mois. Avec l’équivalent de 2,7 équivalents temps plein, la commande est d’accompagner une vingtaine de situations. La plateforme recevra 180 demandes et en accompagnera 65.
Les missions de la plateforme se déclinent en trois axes. Un accompagnement de la famille, ponctué par des groupes de paroles sur des thématiques choisies, des entretiens individuels ou de couples. « Nous travaillons autour du projet de vie. Comment vivre le handicap au quotidien, se construire dans cette parentalité singulière ?… » Les professionnels de la plateforme ont également un rôle de soutien et de formation auprès d’autres structures d’accueil, en accompagnant les activités, les mouvements de l’enfant, les installations de l’ordre du « pratico-pratique » pour lui faciliter l’espace. « Mais ça va au-delà des installations et des gestuelles. Le handicap n’est pas pensé en France. C’est enfoui, cela vient faire ressurgir quelque chose, toujours lié à la sphère personnelle. » Alors l’équipe travaille autour des émotions des professionnels de structures. Enfin, la plateforme a une mission « d’accordage », de mise en lien des différents partenaires du soin, pour faciliter le parcours. Sandrine Delpeut a été choquée, à ses débuts, des emplois du temps de ces enfants. « L’enfant handicapé n’est pas “à réparer”. Les nombreux soins, les trajets, font qu’il n’a même plus de temps de jeu ! Or il est d’abord un enfant, il ne doit pas devenir sa pathologie ! »
Lors de ces dix-huit mois d’expérimentation, une quinzaine de structures du groupe ont ainsi pu bénéficier des compétences et apports de la plateforme, qui les suit même au-delà de la petite enfance. « Les parents peuvent continuer à s’en saisir, explique Sandrine Delpeut. On suit les enfants à l’école, en institut médico-éducatif… Nous avons aussi des demandes de l’extérieur pour mettre des protocoles de soin en place. Hôpitaux, centres de soins, centres d’action médico-sociale précoce… »Grâce à leur expertise, des diagnostics se font plus rapidement. Lorsqu’une structure se pose des questions sur un tout-petit, l’équipe vient mener des temps d’observation et de bilan, permettant ainsi une prise en charge précoce. « On a ainsi pu détecter beaucoup d’enfants avec des troubles du spectre autistique. » L’expérimentation bénéficie d’une évaluation scientifique, menée par l’université de Toulouse et le CNRS, qui devrait rendre ses conclusions prochainement.
En janvier dernier, dans le cadre contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens, l’équipe a appris que l’agence régionale de santé allait financer le dispositif pour cinq années supplémentaires, avec un budget plus conséquent. « Fin 2018, on ne cachait pas aux familles que le financement touchait à sa fin, se souvient Guy Sebbah. C’était beaucoup de pression pour elles. » Ce qui permettra d’étoffer l’équipe et d’ajouter des temps d’ergothérapeute, de psychomotricienne, d’orthophoniste, de neuropsychologue. Un recrutement de médecin ou pédopsychiatre est également en cours. Sandrine Delpeut s’étonne toujours du peu de formation : « Sur 35 curriculum vitae reçus dernièrement, par exemple, 3 seulement avaient une expérience dans le handicap. » Mais déjà, l’équipe pense la suite. « Nous sommes certes tranquilles pour cinq ans, mais l’idée c’est de transposer ce dispositif partout. Il faut utiliser les maillages et ressources territoriaux. » En attendant, la plateforme souhaite ajouter une corde à son arc en accompagnant les fratries. Comment grandir avec le handicap d’un frère ou d’une sœur ? Quelle place pour les autres enfants, que faire du sentiment de culpabilité ? Sandrine Delpeut et Guy Sebbah s’emploient, eux, à divulguer les bénéfices du dispositif dans d’autres régions. « Plus on diffusera, plus on arrivera à sortir des représentations. Ce mot à la mode, « inclusion », c’est bien, mais comment le met-on en œuvre concrètement ? », s’interroge celle qui a fait de ce combat son métier. « Je veux qu’on soit dans le “faire”. C’est un vrai engagement, une bataille qui vaut le coup d’être menée. » Guy Sebbah constate beaucoup de retours positifs des familles. « On y croyait énormément, l’inclusion commence dès tout petit. On se disait : “Il faut que ça marche !” Après les cinq ans, on va continuer à se battre, à se rendre indispensables. »
« La plateforme a été d’une aide incroyable. Le handicap génère beaucoup de crispations, mais là, Alice a pu aller à la crèche Charivari à temps plein, auprès de gens bienveillants formés au handicap. Cela nous a permis d’avoir un mode de garde adapté. Grâce à son réseau, la plateforme m’a aidée à trouver une psychomotricienne et une orthophoniste qui se déplaçaient à la crèche. Pas besoin de courir pour les soins, ce sont eux qui viennent à elle. Nous avons également bénéficié d’un soutien à la parentalité. Avoir un enfant est un défi encore plus compliqué quand celui-ci a un handicap. Ce soutien a permis de réinventer notre parentalité, ça nous a beaucoup aidés dans ce monde inconnu du handicap, où nous ne savions pas quels choix faire. Le parcours d’un enfant handicapé est complexe, mais en France, on ne pense pas assez aux parents, souvent désemparés. Cette prise en charge globale nous est apparue comme révolutionnaire. »