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Intervenir derrière les barreaux

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Face au vieillissement de la population carcérale, la prise en charge de la perte d’autonomie constitue un enjeu important. Pourtant, l’intervention de professionnels des services d’aide et d’accompagnement à domicile (Saad) et des services de soins infirmiers à domicile (Ssiad) en prison est encore rare. Tour d’horizon des verrous à faire sauter.

« Dès que la situation de dépendance d’une personne détenue est reconnue, qu’elle soit ponctuelle ou définitive, l’assistance par un organisme d’aide à domicile local doit être mise en œuvre afin de lui assurer une prise en charge sanitaire effective et des conditions de détention dignes. L’assistance d’un codétenu bénévole ou d’un auxiliaire du service général auprès des personnes détenues dépendantes, non formés à cette fin et non supervisés par un professionnel, ne saurait être considérée comme suffisante à satisfaire l’obligation de préservation de l’intégrité et de la sécurité de ces dernières, et du respect de leur dignité. » Dans un avis publié le 22 novembre 2018 au Journal officiel, Adeline Hazan, la contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL), alertait sur les conditions de détention de personnes en situation de dépendance due à l’âge ou à un handicap.

La présence de personnes détenues en situation de handicap ou de dépendance constitue une réalité de plus en plus présente au sein des structures pénitentiaires en raison à la fois du vieillissement de la population pénale et de l’allongement des peines prononcées et exécutées. Au 1er janvier 2018, les personnes âgées de plus de 60 ans, dont certaines de plus de 80 ans, représentaient 3,8 % de la population écrouée (2 626 personnes). Leur nombre a été multiplié par 6,7 depuis le début des années 1990, d’après les chiffres de la direction de l’administration pénitentiaire (DAP). La loi du 24 novembre 2009, dite « loi pénitentiaire » prévoit l’intervention d’auxiliaires de vie pour les personnes détenues en situation de perte d’autonomie. Selon son article 50, « toute personne détenue se trouvant dans la situation de handicap prévue par l’article L. 1111-6-1 du code de la santé publique a le droit de désigner un aidant de son choix. L’administration pénitentiaire peut s’opposer au choix de l’aidant par une décision spécialement motivée. ». En complément de la prise en charge médicale assurée dans chaque établissement pénitentiaire par l’unité sanitaire, des conventions sont mises en place dans certains départements liant le service pénitentiaire d’insertion et de probation (Spip), l’établissement pénitentiaire, le conseil départemental et une structure d’aide à domicile, afin de permettre aux détenus âgés de bénéficier de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) dans les conditions du droit commun. Mais en pratique, ce type de convention demeure rare, si bien que le rôle d’assistance reste encore souvent assumé par… des codétenus. « Actuellement très peu d’infirmiers des unités sanitaires acceptent de prendre en charge les toilettes médicalisées des personnes dépendantes, cette tâche ne relève d’ailleurs pas de leur compétence », notait un rapport parlementaire de juillet 2017.

Peu de conventions

Une enquête menée par la DAP en mars 2016 sur l’intervention en détention des services d’aide et d’accompagnement à domicile et de soins infirmiers à domicile (Saad et Ssiad) a permis d’établir que 0,28 % de la population détenue avait besoin d’une aide. Cette même enquête recensait seulement 38 conventions d’un établissement pénitentiaire avec un Saad et 15 avec un Ssiad. « Même si le recours à un intervenant extérieur doit être privilégié, force est de constater que les personnes détenues ayant besoin d’une aide dans les actes de la vie quotidienne sont davantage aidées par un codétenu (45 %) que par un intervenant extérieur (32 %). Par ailleurs, une part importante des personnes ayant besoin d’une aide ne sont pas prises en charge à ce titre (23 %) », constatait le rapport du Sénat. Adeline Hazan a ainsi observé qu’une personne détenue classée comme auxiliaire du service général peut être chargée du déshabillage et de la toilette d’un codétenu ou de la distribution des traitements médicamenteux pour les personnes qui ne peuvent se rendre à l’unité sanitaire. « Cette pratique fait peser des responsabilités trop importantes sur une personne qui n’y est pas préparée et ne peut en aucune manière conduire à une prise en charge de qualité », a-t-elle critiqué dans un avis du 17 septembre 2018(1).

Les freins à l’intervention extérieure

« L’intervention des organismes extérieurs est souvent empêchée par l’absence de financement résultant d’obstacles procéduraux. L’APA, qui permet à certaines personnes âgées de plus de 60 ans de financer l’intervention d’un service d’aide et d’accompagnement à domicile ou des aides techniques, repose sur l’évaluation du niveau d’autonomie du demandeur. Une équipe médico-sociale dépendant du conseil départemental doit pour cela se déplacer à son domicile. Cependant, il arrive fréquemment que, lorsque cette personne est incarcérée, cette visite ne soit pas réalisée, ce qui empêche le versement de l’allocation. Les médecins des unités sanitaires sont parfois sollicités pour procéder eux-mêmes à l’évaluation, mais cette pratique soulève une question de déontologie, le médecin se trouvant alors en position de soignant et d’expert », observait Adeline Hazan. Pour la contrôleure générale des lieux de privation de liberté, « des questions d’organisation administrative ne sauraient conduire à priver une personne de ses droits ». Et d’interpeller le ministère de la Justice et le ministère des Solidarités et de la Santé pour qu’une action concertée soit menée en direction des conseils départementaux afin que l’évaluation du niveau d’autonomie des personnes détenues dépendantes soit effective. Afin d’augmenter le nombre de partenariats entre l’administration pénitentiaire et les acteurs du droit commun, le ministère des Solidarités et de la Santé assurait, en novembre 2018, que la direction de l’administration pénitentiaire planchait avec la direction générale de la cohésion sociale (DGCS) et la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), sur l’élaboration d’une convention nationale type.

Autre obstacle à dépasser : la grille nationale AGGIR (Autonomie gérontologie groupe iso-ressources) permettant une évaluation de la perte d’autonomie afin d’attribuer l’APA s’avère inadaptée au milieu carcéral dans la mesure où elle ne prend pas en compte le milieu environnemental et le cadre de vie de la personne. L’outil est peu adapté à l’appréciation du degré d’autonomie d’une personne détenue, les limites et restrictions inhérentes à l’univers carcéral n’étant pas prises en considération. Fort de ce constat, un outil, le système de mesure de l’autonomie fonctionnelle (Smaf), a été expérimenté, en 2008, par le centre pénitentiaire de Liancourt (Oise). Cet instrument évalue 29 fonctions regroupées en cinq catégories (cotées sur une échelle comprenant quatre degrés) : les activités de la vie quotidienne, la mobilité, la communication, les fonctions mentales et les activités de la vie domestique. Le Smaf s’est avéré être un outil efficace, facile d’utilisation pour tout intervenant préalablement formé, et adapté à la réalité carcérale et aux particularités de prise en charge sanitaire et médico-sociale de la population détenue. Sera-t-il bientôt généralisé ? « La direction de l’administration pénitentiaire et le service correctionnel du Canada dans le cadre de la mise en œuvre de l’accord de coopération judiciaire du 25 avril 2015 entre la France et le Canada ont élaboré une grille de repérage des personnes en risque de perte d’autonomie et destinée à être utilisée par les personnels de surveillance. Sur cette base, une expérimentation a été menée entre le 1er septembre 2017 et début janvier 2018 au centre pénitentiaire de Nantes. Ces grilles sont actuellement en cours d’analyse par la DAP », indiquait Nicole Belloubet, ministre de la Justice, dans un courrier en date du 6 décembre 2018, à l’intention de la contrôleure générale des lieux de privation de liberté.

Des établissements inadaptés

Entre quatre murs, le quotidien est plus difficile encore avec la perte d’autonomie. L’espace et l’organisation des centres pénitentiaires n’ont pas été pensés pour accueillir des personnes âgées et/ou en situation de handicap. Un environnement qui ne se prête pas non plus à l’intervention, dans des conditions adéquates, de professionnels de l’aide à la personne. Afin de faire changer la donne, un arrêté du 4 octobre 2010 relatif à l’accessibilité des personnes handicapées dans les établissements pénitentiaires lors de leur construction pose des règles très précises d’aménagement des locaux. Pour les établissements pénitentiaires de plus de 120 places, au moins 3 % des cellules doivent être aménagées, contre 2 % pour les établissements d’une moindre capacité. Ces cellules doivent répondre à des caractéristiques précises en termes de dimensions (taille de la porte d’entrée, hauteur des poignées de fenêtre, des prises électriques…) et d’aménagements (salle d’eau et cabinet de toilettes accessibles en fauteuil roulant…). Toutefois cette obligation de création de cellules aménagées, dites cellules « personnes à mobilité réduite » (PMR), ne s’applique qu’aux constructions neuves. Pour les établissements existants une obligation de mise en conformité a été fixée au 1er janvier 2015. Mais pour l’heure, l’inadaptation de la plupart des établissements perdure. « Concernant l’adaptation des lieux, il existe actuellement 472 cellules adaptées aux personnes à mobilité réduite réparties dans 90 établissements pénitentiaires en France métropolitaine et en outre-mer. Tous les établissements neufs sont en conformité avec les dispositions de l’arrêté du 4 octobre 2010. […] S’agissant de la mise en conformité des anciens établissements pénitentiaires avec les normes prescrites par l’arrêté du 29 décembre 2016, les phases d’études ont débuté en 2018 dans 35 établissements. En 2019, les travaux de mise en conformité débuteront dans ces 35 établissements et des études seront lancées dans 24 nouveaux établissements », détaille Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé, dans sa réponse du 29 novembre 2018.

Des professionnels réticents

Outre les obstacles administratifs et financiers, il n’est pas facile de trouver des associations d’aide à la personne qui acceptent d’intervenir en établissements pénitentiaires, soulignaient Caroline Touraut, sociologue, et Aline Désesquelles, démographe et directrice de recherches à l’Institut national d’études démographiques (Ined), dans une étude en 2015(2). Les temps de trajet souvent longs pour se rendre jusqu’au détenu (du domicile jusqu’à la prison, puis dans la prison, de l’entrée jusqu’à la cellule) et l’absence du matériel nécessaire pour les soins ne facilitent pas l’intervention de ces professionnels. « Les représentations sociales des prisons pèsent aussi lourdement. Les fantasmes sur leur fonctionnement, sur leur architecture mais aussi les images communes sur les personnes détenues participent de la peur exprimée par les professionnels de l’aide à la personne. La proximité corporelle avec le détenu de même que le fait de devoir se trouver seul avec lui dans la cellule, sans surveillance particulière, sont aussi des motifs de réticences importants », notaient également la sociologue et la démographe. Il reste donc un travail pédagogique à mener afin que le milieu carcéral et les professionnels du secteur médico-social apprennent à collaborer davantage.

Un guide méthodologique

Le guide méthodologique relatif à la prise en charge sanitaire des personnes détenues a vocation à répondre aux questionnements des professionnels sur l’ensemble des domaines qui constituent la prise en charge sanitaire et sociale des personnes sous main de justice majeures ou mineures. Une nouvelle édition a été publiée en 2017(1). Dans le livret 4 consacré à l’organisation des prises en charge spécifique, le cahier n° 8 concernant les personnes âgées et les personnes handicapées est en attente de publication en 2019. Selon le ministère des Solidarités et de la Santé, ce chapitre « apportera des repères pour la continuité des soins et la préparation à la sortie de toute personne détenue en situation de handicap ou de perte d’autonomie liée à l’âge ».

Notes

(1) « La prise en compte des situations de perte d’autonomie dues à l’âge et aux handicaps physiques dans les établissements pénitentiaires ».

(2) « La prison face au vieillissement. Expériences individuelles et prise en charge institutionnelle des détenus “âgés” » – Recherche réalisée avec le soutien de l’Ined et du GIP-Mission de recherche « droit et justice ».

(1) Disponible sur solidarites-sante.gouv.fr.

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